8 arguments contre la planification écologique
« Le despote n’est pas un homme. Le despote, c’est le Plan. Le plan juste, vrai, exact, qui apporte la solution, le problème ayant été posé, posé dans son ensemble, dans son harmonie impensable. Le Plan a été établi en dehors des fièvres de la mairie ou de la préfecture, des cris des électeurs ou des cris des victimes. Il a été établi sereinement, lucidement. Il n’a tenu compte que des vérités humaines. Il a fait fi des réglementations en cours, des usages, des moyens existants. Il ne s’est pas occupé de s’il pouvait être exécuté suivant la constitution en vigueur. Œuvre biologique destinée aux humains et réalisable par les techniques modernes. »
– Le Corbusier, La Ville radieuse, 1935 (cité par James C. Scott dans L’œil de l’État)
La première ministre Élisabeth Borne a récemment annoncé le lancement d’un plan de transformation de l’économie française qui sera piloté par le Secrétariat général à la planification écologique. Ridiculement baptisé « France nation verte », le plan s’attaque à 22 chantiers prioritaires (rénovation des logements, décarbonation des industries, etc.). En guise de verni démocratique, un « Conseil National de la Refondation[1] » (CNR) a été créé afin de « mettre en œuvre une nouvelle méthode pour construire, ensemble et au plus près des Français, des solutions concrètes sur les grandes transformations à venir[2]. »
Avant d’expliquer pourquoi le concept de planification écologique est au moins aussi absurde que les oxymores « développement durable » ou « croissance verte », rappelons les « quatre points incontournables » d’une telle entreprise selon Sébastien Treyer, directeur de l’Institut du développement durable et des relations internationales (Iddri) interrogé par France Info :
« “des objectifs à moyen et long termes, impératifs et portés par une ambition politique au plus haut niveau”, des “investissements publics” qui entraînent des investissements privés, une “mobilisation collective” de tous les acteurs de la société et un “suivi d’évaluation exigeant, avec des points d’étape et une logique contraignante si le changement n’a pas lieu”. La neutralité carbone, “on ne va pas y arriver par hasard[3]” […]. »
Essayons de démontrer en quoi la planification écologique n’est pas souhaitable, et encore moins réalisable.
1) La planification étatique est toujours autoritaire
Selon la définition donnée par le directeur de l’Iddri (voir plus haut), la planification consiste bel et bien à relancer l’activité économique de façon autoritaire, en « mobilisant tous les acteurs de la société » (la planification est « inclusive »), avec une « logique contraignante » quand tarde la réalisation des objectifs. Après traduction de la novlangue technocratique, on obtient quelque chose de cet ordre : si vous êtes militant et que vous préférez la jouer non-inclusif en sabotant la planification, par exemple en bloquant la construction de nouvelles lignes LGV, d’autoroutes électrifiées, de méthaniseurs, de centrales solaires, éoliennes ou nucléaires, ça risque de barder pour vous.
Rappelons que nous devons ce concept insensé de « planification écologique » au technolâtre Jean-Luc Mélenchon, terme qu’il a employé en 2008 lors du Congrès de Reims, alors qu’il était sénateur du parti socialiste[4]. La planification, c’est la solution magique invoquée par le Shift Project, la Nupes, et vers laquelle se tourne la plupart des écologistes abusés par la propagande du Mouvement Climat. Il est aisé de comprendre pourquoi. De nombreux écologistes se sentent impuissants face à aux industriels et aux multinationales. Fatigués par des années de lutte, frustrés par des échecs en cascade, assommés par l’ampleur de la catastrophe socioécologique, ils en viennent ainsi à considérer – et pour certains à plébisciter – l’instauration d’un régime autoritaire pour faire appliquer des mesures écologiques. Chose que les écologistes ignorent peut-être, l’autoritarisme et la planification sont une seule et même chose. Déplacés de force lors de la mise en fonction d’un barrage hydroélectrique, les habitants du village de Tignes font partie des nombreuses populations paysannes sacrifiées sur l’autel de la modernisation d’après-guerre. Ces victimes peuvent témoigner de la violence extrême employée par l’État-stratège contre ceux qui osent se dresser contre ses plans[5].
2) Les objectifs du plan sont inatteignables
Le gouvernement Macron souhaite ainsi réduire les émissions de gaz à effet de serre de 55 % d’ici 2030 et d’atteindre la neutralité carbone en 2050. Élisabeth Borne précise que « cela suppose de faire en huit ans ce que nous avons fait en 32 ans[6]. »
La seule manière rationnelle d’atteindre un objectif aussi ambitieux passerait par le démantèlement des infrastructures énergétiques et l’effondrement du système industriel – donc par une révolution écologique. Ça n’est évidemment pas dans l’intérêt de l’État qui tire sa puissance économique et militaire de l’industrie. À la lumière de ce constat, on peut émettre quelques doutes sur le sérieux de cette entreprise de planification écologique.
3) La planification est une politique de croissance
Récemment, un papier intéressant publié par le journal Le Monde revenait sur l’histoire de la planification. Le journaliste rappelle une condition de possibilité de la planification soigneusement dissimulée au grand public par la plupart de ses promoteurs :
« La possibilité même de planifier dépend, en effet, de la capacité à collecter des informations sur les flux de matière et les flux financiers entre entreprises, entre patrons et employeurs, entre pays, et à les traiter statistiquement[7]. »
Pour se projeter dans le futur et « planifier » le développement de la société, l’État a donc besoin de la rendre plus lisible. Cette lisibilité, il l’obtient en collectant un maximum d’informations sur l’environnement et la société. Plus la lisibilité augmente, plus les possibilités de contrôle s’étendent. Ainsi, pour un plan visant la décarbonation de l’économie, il faudrait par exemple que l’empreinte carbone individuelle de chaque personne soit connue et suivie quotidiennement via un système de traçage. Un système de permis ou « pass carbone » a récemment fait débat suite à la diffusion d’un documentaire d’anticipation sur la chaîne BFM TV. Chaque consommateur se verrait attribué annuellement un quota carbone sur une carte de crédit :
« Concrètement, à chaque achat, le montant carbone est décompté de la carte. Une fois tout le crédit dépensé, elle se bloque. Au consommateur de voir comment il souhaite le dépenser, dans la limite de 2 tonnes par an, en sachant qu’un steak de bœuf de 250 g équivaut à 6 kg de CO2, un plein de 50 litres de à 50 kg, une baguette à 150 g… Un aller-retour en avion Paris/NYC est très coûteux : 1 tonne de CO2 – en un voyage long-courrier, la moitié du quota annuel est dilapidé[8]. »
En théorie, plus aucune activité humaine ne doit échapper à la comptabilité carbone. Au-delà de l’aspect totalitaire d’une telle politique, mettre en place un système de contrôle de ce type mobiliserait des ressources matérielles et énergétiques colossales pour collecter, stocker et traiter cette masse de données. Seuls de grands groupes industriels disposent des capacités pour répondre à ce besoin ; ils seront naturellement les principaux bénéficiaires de la décarbonation de l’économie. Autant vous dire que la décroissance planifiée par l’État restera une utopie. La planification étatique est une politique croissanciste. Nous sommes par conséquent face à un cas où les moyens déterminent la fin. Parler de « planifier la décroissance », c’est ne rien comprendre à la mécanique de l’État.
4) Les GAFAM, principales bénéficiaires de la planification
L’article du Monde précise également pourquoi l’expérience des plans de l’après-guerre a fini par se désintégrer. Les partisans de l’idéalisme l’expliqueraient probablement par le changement idéologique (le passage progressif au néolibéralisme), or cette évolution était appelée par un changement matériel. On peut interpréter le néolibéralisme comme une forme d’adaptation du système-monde technologique à des conditions matérielles nouvelles imposées par la troisième révolution industrielle – développement de l’électronique, des télécommunications et de l’informatique qui ont permis l’automatisation de la production, l’accélération des échanges de marchandises et des déplacements de personnes à l’échelle internationale. Le choc de la Seconde Guerre mondiale et le spectre d’une guerre nucléaire ont probablement aussi joué en faveur d’une dilution croissante du pouvoir des États-nations au profit d’institutions supranationales.
« [A]u fil des ans, les instruments et les conditions qui avaient fait le succès de la planification disparaissent progressivement.
Tout d’abord, les planificateurs peinent à intégrer dans leurs calculs l’effet des échanges internationaux, de plus en plus volumineux. D’autant que la construction du marché européen et les accords du GATT (sur les tarifs douaniers et le commerce) en empêchent le contrôle et donc la prise en compte quantitative, avec la suppression du contingentement des importations (1959), puis du contrôle des changes (1966). La disparition de l’étalon-or aux États-Unis (1971) et la libéralisation du marché international des capitaux au début des années 1980 achèvent de faire perdre le contrôle – et la prévisibilité – des flux financiers extérieurs.
La marche vers la monnaie unique et les traités européens sur la limitation des déficits publics privent l’État des moyens monétaires et budgétaires d’agir à l’échelle macroéconomique. La délocalisation des industries, la privatisation des grandes entreprises et des banques, l’opposition de plus en plus frontale entre syndicats et patronat le privent du contrôle des outils de financement (crédit et investissements) et des paramètres de la productivité (salaires et innovation). »
L’apparition d’institutions supranationales et la dépendance croissante des États-nations à une économie mondialisée leur ont retiré des moyens d’action. Malgré l’arrivée d’outils de calcul plus performants, les gouvernements se sont tout de même désintéressés de la planification :
« Les gouvernements font de moins en moins confiance aux calculs des « experts », au moment où ceux-ci bénéficient pourtant à plein de la remontée des données collectées par un appareil statistique plus efficace, d’une comptabilité nationale enfin au point, de la puissance de calcul des ordinateurs et de la sophistication de modèles économiques toujours plus perfectionnés, comme le modèle “Fifi” (intégrant données financières et physiques), élaboré à la fin des années 1960 par Michel Aglietta et Raymond Courbis pour le VIe Plan (1971-1975). À vrai dire, la croyance en la toute-puissance de l’expertise trouve sa propre contradiction dans la difficulté à faire “rentrer” dans les modèles la complexité d’un monde échappant de plus en plus aux concepts et aux catégories d’ingénieurs trop confiants dans les possibilités de formalisation d’activités humaines, trop humaines, dans les carcans de l’équation. »
On comprend mieux pourquoi le « facteur humain » est l’ennemi du technocrate. Plus généralement, toute vie autonome, par définition spontanée et hasardeuse, passe pour une nuisance aux yeux du grand planificateur.
Selon l’historien de l’économie Pierre Dockès, « la libéralisation et la mondialisation ont éliminé la possibilité même de planifier ». Concrètement, pour décarboner l’économie, le journaliste du Monde explique qu’ « il faudrait disposer d’une “comptabilité carbone” pour chaque acte de production et de consommation, afin de construire des prix en lien avec les quantités physiques de carbone échangées, y compris les prix internationaux. »
L’économiste Robert Boyer confirme :
« Tout comme les prix des matières premières et de l’énergie, dont les fluctuations souvent spéculatives perturbent les anticipations des entrepreneurs et empêchent tout calcul économique. Les économistes ont des indicateurs fétiches, mais pas les données réelles sur les facteurs économiques pertinents. Nous n’avons plus de modèles économiques valides en termes d’input-output. »
Même chose pour l’économiste et historien Pierre-Cyrille Hautcoeur :
« Même une bonne partie des données financières des entreprises réelles sont faussées. Des planificateurs aujourd’hui seraient à peu près dans la même situation que le Gosplan soviétique, quand tout le monde mentait d’un bout à l’autre de la chaîne d’informations ! »
Pour l’auteur de l’article comme pour Robert Boyer, seuls les GAFAM auraient aujourd’hui la capacité de mener à bien un projet d’ingénierie sociale d’une portée globale. Bientôt l’État mondial ?
« Cinquante ans de mondialisation et de croyance dans l’ “efficience des marchés” ont privé l’État des moyens de diagnostiquer, de piloter et de financer les mutations nécessaires. Les données appartiennent maintenant à Google, Apple, Facebook, Amazon, Microsoft (Gafam), sans même parler des métavers (mondes virtuels) qui leur donnent les moyens de créer des individus virtuels aux comportements par définition prévisibles […]. “Seuls les Gafam sont en mesure de définir un “sentier” et ont la persévérance, la puissance de calcul et les moyens financiers de le suivre”, observe Robert Boyer. »
En imposant la collecte, le stockage et le traitement de données nouvelles sur l’empreinte carbone individuelle, la planification écologique ouvrirait de nouvelles perspectives de croissance pour l’industrie numérique. Il se pourrait bien que la planification écologique renforce l’hégémonie des entreprises les plus puissantes de la planète.
5) La planification ne fonctionne jamais à long terme
La planification écologique se doit en théorie d’être un effort constant et à long terme. Or d’innombrables exemples historiques montrent l’impossibilité de contrôler rationnellement le développement d’une société sur le temps long.
Dans le premier chapitre de son livre Révolution Anti-Tech (résumé ici), le mathématicien Theodore Kaczynski détaille, sur la base d’exemples historiques éclairants, pourquoi il est impossible de piloter le développement d’une société de façon rationnelle. Selon lui, il est possible de « formuler des prédictions assez fiables à court terme » dans des « contextes spécifiques où les données empiriques abondent », ce afin « de contrôler, de manière relativement efficace, le comportement d’une société. »
Il ajoute cependant :
« En dehors de ces contextes où les éléments empiriques abondent, ou bien lorsque des effets à plus long terme sont en jeu, les prédictions vérifiées – et ainsi la gestion fructueuse du développement d’une société – sont bien plus rares. En réalité, l’échec est la norme.
[…]
Des raisons très simples peuvent expliquer l’incapacité manifeste des humains à contrôler le développement de leurs sociétés. Afin d’accomplir une telle performance, il faudrait être capable de prévoir la moindre réaction de la société face à n’importe quelle action susceptible d’être entreprise ; or, de telles prévisions se sont généralement révélées très peu fiables. Les sociétés humaines étant des systèmes complexes – et tout particulièrement les sociétés technologiquement avancées –, la prédiction de leurs réactions ne dépend en fait ni de l’état de leurs connaissances ni de leur niveau de développement technologique[9]. »
Kaczynski cite des auteurs et des personnalités politiques – Norbert Elias, Franklin D. Roosevelt, Harry S. Truman, Henry Kissinger – qui sont tous arrivés, au cours de leurs observations et par leur expérience personnelle, à un constat similaire. En ce qui concerne l’évolution du système-monde technologique, les puissants ne contrôlent rien, n’ont jamais rien contrôlé et ne contrôleront jamais rien.
Toujours selon Kaczynski, l’évolution du système-monde technologique ne peut être contrôlée en raison de la concurrence qui existe entre des groupes rivaux (États, partis politiques, sectes religieuses, syndicats ou entreprises), tous en quête de puissance pour assurer leur survie à court terme :
« Jusqu’à présent (2013), des personnes dont on aurait espéré mieux continuent d’ignorer le fait que le développement des sociétés ne peut jamais être contrôlé de manière rationnelle. Ainsi voyons-nous souvent des technophiles déclarer des choses aussi absurdes que : “l’humanité contrôle son propre destin” ; “[nous allons] prendre en charge notre propre évolution” ; ou encore, “les gens [vont] s’emparer du processus évolutif”. Les technophiles veulent “orienter la recherche de manière à ce que les nouvelles technologies améliorent la société” ; ils ont créé une “Université de la Singularité” et un “Institut de la Singularité” censés “déterminer les avancées et aider la société à faire face aux ramifications du progrès technologique, et “s’assurer […] que l’intelligence artificielle […] demeure favorable” aux humains.
Bien évidemment, les technophiles ne parviendront ni à “déterminer les avancées” du progrès technique ni à s’assurer qu’elles “améliorent la société” et demeurent favorables aux humains. À plus long terme, les améliorations technologiques seront “déterminées” par des luttes imprévisibles et incontrôlables entre groupes rivaux, qui développeront et utiliseront la technologie à seule fin de maximiser leurs avantages aux dépens de leurs concurrents. »
L’auteur technocritique Langdon Winner estime de son côté dans La Baleine et le Réacteur (1988) que « personne ne tient les rênes » du système-monde technologique. Le culte de la technologie, point de ralliement idéologique de la majorité des Modernes, qu’ils penchent à gauche ou à droite, conduit irrémédiablement à produire des jugements biaisés sur ces questions. Jacques Ellul écrivait que « l’homme ne peut vivre sans sacré », c’est pourquoi « il reporte son sens du sacré sur cela même qui a détruit tout ce qui en était l’objet : sur la technique[10]. »
6) La planification vient toujours après la catastrophe
Dans l’article du Monde déjà cité, Antoine Reverchon rappelle que « la planification des années 1930-1940 est née dans le sillage de la guerre civile en Russie, de la crise de 1929 en Allemagne, de la seconde guerre mondiale aux États-Unis ou en France. » En d’autres termes, la planification n’a pas pour objet d’éviter une catastrophe, mais sert à relancer la mégamachine lorsqu’elle s’enraye.
Le journaliste conclut logiquement :
« Si planification écologique d’État il y a un jour, elle naîtra de la nécessité de gérer les catastrophes majeures qui vont se succéder à un rythme accéléré – la pandémie en étant le premier aperçu, sans même parler de l’incertitude monumentale provoquée par la guerre en Ukraine – plutôt que de les prévenir. »
Lors de la pandémie, où la nation tout entière fut transformée en camp de concentration, grâce au smartphone et au QR code, nous avons eu le plaisir de goûter à l’avenir radieux que nous réservent les technocrates planificateurs.
7) La planification est inefficace pour sauver la planète
Comme indiqué plus haut, les gouvernements optent pour la planification en temps de crise pour industrialiser (ou réindustrialiser), c’est-à-dire relancer la croissance, l’économie et l’industrie pour éviter l’effondrement de l’État.
L’article du Monde abonde en ce sens :
« Il s’agit, selon les pays et les périodes, de pallier la faillite des marchés et des entreprises incapables d’assurer la vie économique, d’organiser la production pour la diriger tout entière vers l’effort de guerre et le ravitaillement de la population mobilisée, de reconstruire et de moderniser l’appareil productif et les infrastructures détruits par la guerre. »
La planification ne peut servir un autre objectif que le développement industriel et économique, même si les idéalistes s’acharnent à nier cette réalité. Peu importe que la Nupes ou le gouvernement Macron soient aux commandes, la planification ne produira pas autre chose que la continuation du carnage environnemental et social. Les moyens déterminent la fin.
Imaginons maintenant un gouvernement d’utopistes qui tenterait de mettre en place une politique réellement décroissanciste, par exemple en organisant le démantèlement des fleurons nationaux de l’industrie pétrolière, en interdisant l’avion ou en stoppant la construction immobilière et le déploiement de grands projets d’infrastructures. Ce gouvernement causerait la perte de l’État et serait rapidement chassé du pouvoir. On ne fait pas ce qu’on veut à la tête d’un État, c’est une machine complexe qui, une fois lancée, ne peut faire que deux choses : accélérer ou s’effondrer.
Autre élément à charge montrant l’incapacité structurelle d’un État à instaurer une gestion écologique des ressources naturelles : le développement au XVIIIe siècle de la sylviculture scientifique qui a transformé la forêt en usine à produire des arbres standardisés. L’État uniformise les paysages et les populations sous son contrôle, alors que l’évolution naturelle fait l’inverse – elle produit de la diversité biologique et culturelle[11].
8) La planification est toujours accompagnée de propagande
La planification étant un projet d’ingénierie sociale de grande envergure destiné à reprogrammer l’ensemble de la société, l’État se doit d’obtenir le consentement des masses. Le publicitaire Edward Bernays, pionnier du lavage de cerveau à grande échelle, a théorisé tout cela au début du XXe siècle :
« Compte tenu de l’organisation sociale qui est la nôtre, tout projet d’envergure doit être approuvé par l’opinion publique. Autrement dit, le mouvement le plus admirable risque de passer à la trappe s’il ne réussit pas à marquer les esprits.
[…]
Autrefois, ceux qui gouvernaient étaient des guides, des meneurs. Ils orientaient le cours de l’histoire en faisant simplement ce qu’ils avaient envie de faire. Les successeurs actuels de ces dirigeants (ceux qui exercent le pouvoir en vertu de leur position ou de leurs aptitudes) ne peuvent plus faire ce qu’ils veulent sans l’assentiment des masses, et ils ont trouvé dans la propagande un outil de plus en plus fiable pour obtenir cet accord[12]. »
Comment obtenir l’approbation des masses pour la planification étatique ? En faisant mine d’être à l’écoute du peuple. À l’époque de Jean Monnet et du Conseil National de la Résistance, le plan a été élaboré par « dix-huit commissions réunissant jusqu’à 340 membres issus des syndicats, du patronat, de la haute administration et de l’expertise technique et financière. » Le journaliste du Monde précise en outre que « tous les partis approuvent la planification étatique comme instrument de reconstruction. » Rien ne prouve que ces commissions représentaient fidèlement le peuple français dans sa diversité.
De nos jours, autre époque, autre méthode. Après la répression sanglante des Gilets jaunes suivie de plusieurs années de terrorisme sanitaire, le Conseil National de la Refondation initié par la Macronie ose lancer : « Construisons ensemble l’avenir de la France[13] ». Seul un psychopathe peut discuter de projets d’avenir avec sa victime qu’il vient de poignarder mécaniquement à de multiples reprises.
Quant aux autres promoteurs de l’éco-technocratie, ils emploient les mêmes subterfuges. Dans son Plan de transformation de l’économie française (PTEF), le Shift Project, think tank présidé par l’ingénieur polytechnicien Jean-Marc Jancovici, glisse au lecteur que « le PTEF est un objet évolutif qui a vocation à être amélioré au fil d’une conversation démocratique que nous espérons intense[14]. » Par définition, un débat démocratique prend du temps, ce qui s’accorde difficilement avec l’urgence d’agir martelée continuellement par les défenseurs de l’éco-technocratie. À cette incohérence du discours technocratique s’ajoutent deux autres, plus grandes encore : on nous demande notre avis après la bataille, quand le plan est finalisé, une fois que tout a été discuté et décidé entre experts des hautes sphères ; le plan a par ailleurs été construit par de savants calculs, et les mathématiques ne sont pas discutables « démocratiquement ». En définitive, cette discussion prétendument démocratique autour de la planification écologique n’a qu’une vocation : obtenir le consentement de la plèbe.
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Le Conseil national de la Refondation est une référence au Conseil national de la Résistance créé en 1943 par Jean Moulin. Le gouvernement Macron cherche certainement, via cette opération de marketing politique, à se réapproprier les valeurs positives associées au CNR. ↑
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https://www.gouvernement.fr/actualite/conseil-national-de-la-refondation-et-si-on-changeait-de-methode-de-dialogue-et-daction ↑
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https://stateoftheunion.eui.eu/2019/non-majoritarian-institutions-political-pressure/ ↑
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https://www.publicsenat.fr/article/politique/planification-ecologique-de-jean-luc-melenchon-a-emmanuel-macron-itineraire-d-un ↑
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https://www.lepoint.fr/societe/ces-villages-francais-sacrifies-sur-l-autel-de-l-electricite-14-07-2019-2324418_23.php
https://france3-regions.francetvinfo.fr/auvergne-rhone-alpes/savoie/l-histoire-du-barrage-de-tignes-et-du-combats-des-habitants-contre-l-etat-francais-dans-chroniques-d-en-haut-dimanche-27-mars-a-12h50-2512024.html ↑
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https://www.novethic.fr/actualite/energie/transition-energetique/isr-rse/france-nation-verte-la-planification-ecologique-comme-nouvelle-boussole-du-gouvernement-151142.html ↑
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https://www.lemonde.fr/idees/article/2022/07/01/petite-histoire-de-la-planification-ce-concept-qu-on-croyait-mort-et-enterre_6132854_3232.html ↑
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https://www.bfmtv.com/environnement/climat/2050-le-grand-defi-climatique-le-docu-d-anticipation-de-bfmtv-sur-le-rechauffement_GN-202211070001.html ↑
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Theodore Kaczynski, Révolution Anti-Tech : Pourquoi et comment ?, 2016 ↑
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Jacques Ellul, La Technique ou l’Enjeu du siècle, 1954 ↑
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Voir https://www.partage-le.com/2021/11/25/evolution-contre-civilisation-diversite-contre-uniformite-philippe-oberle/ ↑
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Edward Bernays, Propaganda : comment manipuler l’opinion en démocratie, 1928 ↑
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https://conseil-refondation.fr/ ↑
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The Shift Project, Plan de transformation de l’économie française, 2022 ↑