Définition : qu’est-ce que l’énergie biomasse ?
L’énergie issue de la biomasse s’obtient à partir de la combustion de matières organiques (bois, végétaux, déchets agricoles, ordures ménagères, etc.) ou par combustion de biocarburants et biogaz. Cette énergie est utilisée pour le chauffage ou pour la production d’électricité. Considérée comme une énergie renouvelable en raison du cycle court de renouvellement de la ressource, l’exploitation à échelle industrielle de la biomasse est en réalité un désastre écologique.
Biomasse : l’énergie solaire convertie par la photosynthèse
Les végétaux chlorophylliens font partie des organismes autotrophes, c’est-à-dire qu’ils ont la capacité de produire de la matière organique à partir de la réduction de matière inorganique et d’une source d’énergie externe. C’est le cas des plantes qui produisent leur énergie, leurs feuilles, leurs racines et leur tronc par le phénomène de la photosynthèse. Pour se développer, elles absorbent donc les minéraux du sol, captent le CO2 de l’atmosphère et utilisent la lumière du soleil.
Critique du mot « biomasse »
Le qualificatif « biomasse » pose déjà problème en soi et matérialise une étape supplémentaire franchie dans la marchandisation du monde. Il n’y a plus une once de respect ni de sacré pour la vie sur Terre dans une telle culture. D’invention très récente, le terme « biomasse » véhicule la perception utilitariste de la nature caractéristique de la civilisation industrielle enfantée par l’Occident. Cette vision dominante aujourd’hui à l’échelle mondiale s’est étendue d’abord avec la colonisation puis avec le développement des États, des institutions internationales, du marché mondial et des technologies.
Dans un article intitulé « Dématérialiser la nature pour la faire entrer dans la sphère du marché », l’économiste Hélène Tordjman qualifie la biomasse de « terme générique et indifférencié pour désigner tout ce qui vit ou a vécu sur Terre mais n’étant pas fossilisé ». Elle poursuit :
« Le terme même de biomasse est révélateur, par l’indifférenciation qu’il véhicule. Dans cette perspective, la diversité des espèces qui fait la richesse d’une forêt n’existe plus, pas plus que l’âge des arbres, leur caractère rare ou remarquable. Quant à leur vie sociale et sensible, n’en parlons même pas. Une telle vision explique qu’on n’ait pas de scrupule à couper une forêt ancienne pour replanter en monoculture de pins ou d’eucalyptus, espèces à croissance rapide : seul le volume de biomasse compte. »
Différentes techniques d’exploitation de la biomasse
Combustion directe
La découverte du feu à la préhistoire fut la première utilisation de l’énergie biomasse par l’homme. La combustion du bois permet encore aujourd’hui à une grande partie de la population mondiale, surtout dans les pays en développement, de chauffer les habitations et de cuire la nourriture.
Dans les pays industrialisés où la production d’énergie a été centralisée, les chaufferies bois et les usines d’incinération de déchets brûlent les matières organiques (bois, résidus de récolte, déchets ménagers, etc.) pour chauffer les bâtiments environnants et/ou produire de l’électricité.
Actuellement, les centrales à biomasse poussent comme des champignons grâce aux subventions permettant la conversion des centrales à charbon. En d’autres termes, on brûle des forêts à la place du charbon, ce qui est pire d’un point de vue écologique et climatique, comme nous allons le voir plus bas.
Méthanisation
La fermentation des matières organiques génère des effluents gazeux, dont le méthane, un gaz très inflammable. En brûlant ce gaz, les unités de méthanisation produisent de la chaleur ou de l’électricité, parfois les deux. L’autre produit sortant du méthaniseur est appelé digestat. C’est un concentré d’azote, de phosphore et de micro-organismes qui est ensuite épandu sur les terres en guise d’engrais.
La méthanisation est déjà un désastre environnemental dont on peine encore à voir l’étendue. Pour en savoir plus, nous vous conseillons la lecture de cette investigation de Reporterre en trois volets.
Biocarburants
Ils sont également désignés par le terme d’agrocarburants, car ce sont des produits issus de l’agriculture ou de la sylviculture. On peut les trouver à l’état liquide, solide ou gazeux. Selon le ministère de l’Écologie français, les biocarburants sont majoritairement utilisés sous forme d’additifs ou de compléments aux carburants fossiles, par exemple pour les moyens de transport modernes fortement émetteurs de CO2 : automobile, camion, bus, train, avion, etc. Les biocarburants fonctionnent en synergie avec les carburants fossiles ; l’objectif n’est pas de réduire la consommation de ces derniers, mais probablement d’amortir d’éventuels chocs futurs dans leur approvisionnement en diversifiant les sources de carburants. Il n’y a de toute évidence aucun changement de mode de vie ni de société à l’horizon.
Pourquoi la biomasse est-elle présentée comme écologique ?
Dans le discours des partisans de la biomasse, on trouve deux arguments centraux :
- La biomasse serait renouvelable, car son cycle de régénération est bien plus rapide que celui du charbon, du pétrole et du gaz ;
- Brûler de la biomasse serait neutre en carbone puisque le CO2 dégagé par la combustion des bioénergies est compensé par le CO2 absorbé par les végétaux lors de leur croissance.
Ainsi que des arguments secondaires avancés par le ministère de l’Écologie :
- Anticiper l’épuisement des réserves mondiales de pétrole ;
- Réduire la dépendance énergétique pétrolière ;
- Offrir un débouché supplémentaire aux filières agricoles ;
- Créer une filière de valorisation des déchets.
Avantages et inconvénients de la biomasse
L’extraction industrielle de biomasse décime la biodiversité
Le rapport « Perspectives des ressources mondiales 2019 » publié par les Nations Unies et l’International Resource Panel indique que l’extraction de biomasse constitue la première force d’extermination de la biodiversité, et c’est aussi la première source de stress hydrique au niveau mondial. L’agriculture industrielle est responsable à plus de 80 % de ce carnage environnemental et social. Ce système alimentaire produit la nourriture destinée aux ménages des pays riches et gaspille 1/3 de la production alimentaire mondiale chaque année, soit 1,6 milliard de tonnes de nourritures qui partent à la poubelle tous les ans d’après la FAO. L’empreinte carbone du gaspillage alimentaire s’élève de son côté à 3,3 milliards de tonnes d’équivalent CO2 chaque année.
Développer l’énergie biomasse à échelle industrielle, c’est maintenir et étendre encore davantage ce modèle agricole qui anéantit le monde vivant, en plus d’être incapable de nourrir le monde – deux milliards de personnes n’ont pas régulièrement accès à une « alimentation sûre, nutritive et suffisante ». Misant sur la technologie et l’intensification en capital, ce type d’agriculture se base sur d’immenses champs de monocultures arrosés abondamment d’engrais et de pesticides issus de la pétrochimie, à l’aide de machines carburant au pétrole. De plus, des ONG (Grain ou l’Oakland Institute par exemple) dénoncent constamment l’accaparement des terres et les persécutions orchestrées par le lobby agroindustriel à l’égard des communautés autochtones et paysannes des pays du Sud. Ce modèle agricole industriel ne tue pas seulement les sols et les créatures vivantes avec qui nous partageons la Terre, il éradique des sociétés et des cultures ancestrales avec un impact très faible – voire bénéfique – sur leur habitat et la biodiversité.
Bien évidemment, pas de quoi alarmer les partisans de la biomasse argumentant le plus sérieusement du monde que la monoculture industrielle d’arbres, de colza ou de canne à sucre pour fabriquer des biocarburants et produire de l’électricité est une solution d’avenir. Pour les industriels et leurs actionnaires, certainement. Pour la Terre et ses habitants, c’est une autre histoire.
Concurrence avec la production alimentaire
Productrice de denrées alimentaires et de produits destinés aux élevages industriels, l’agriculture industrielle occupe déjà une part substantielle des terres arables dans le monde. Si les États et les institutions internationales poursuivent leur logique suicidaire en déployant le tapis rouge pour l’industrie de la biomasse, il sera bientôt plus rentable de cultiver la terre pour produire l’énergie alimentant les machines que pour nourrir les humains. L’époque moderne est caractérisée par une profonde déconnexion entre l’humain et la nature. L’ivresse du progrès fait oublier à Homo sapiens ses origines. Il nous semble ici important de rappeler qu’Homo sapiens est un animal de la branche des grands primates qui se nourrit d’animaux et de plantes depuis maintenant près de 300 000 ans. Le bipède s’est très bien passé d’électricité et de machines durant plus de 99 % de son histoire.
Déforestation à la vitesse des machines industrielles
Ce point est en lien avec le premier, mais nous avons préféré isoler le problème bien spécifique de la déforestation liée à l’industrie sylvicole. Une étude publiée dans la revue Nature en 2020 révélait pour l’Union européenne une augmentation de 49 % de la superficie forestière exploitée et une hausse de 69 % de la perte en biomasse pour la période 2016–2018 par rapport à 2011–2015, avec des pertes importantes dans la péninsule ibérique, dans les pays baltes et nordiques. Les coupables : « L’augmentation du taux de récolte forestière est le résultat de l’expansion récente des marchés du bois, comme le suggèrent les indicateurs économétriques sur la foresterie, la bioénergie à base de bois et le commerce international ». Une contre-étude a par la suite conclu que l’augmentation était nettement moindre sur la période, mais les prélèvements de bois augmentent tout de même puisque la demande mondiale sur les marchés s’accroît.
En 2020, un article du média environnemental Mongabay s’alarmait de « l’expansion rapide de l’industrie forestière de la biomasse aux États-Unis, au Canada, en Russie, au Vietnam et en Europe de l’Est. » Pour ne rien arranger, cette industrie bénéficie d’une faille dans la comptabilité carbone des Nations Unies datant du protocole de Kyoto instauré en 1997. Brûler des forêts – même anciennes – est par conséquent considéré comme « neutre en carbone ». En Europe, 60 % de l’énergie renouvelable provient de la combustion directe de biomasse, principalement des granulés de bois. Grâce à la faille dans la réglementation de l’ONU, les industriels bénéficient de larges subventions pour convertir leurs centrales à charbon en centrales à biomasse, à l’instar de l’entreprise britannique Drax. C’est le plus grand consommateur mondial de granulés de bois, et il bénéficie annuellement d’un milliard de dollars de subventions.
Pour alimenter la croissance de l’industrie des granulés de bois, les coupes rases se multiplient un peu partout et plus particulièrement en Amérique du Nord. Quant à la France, l’industrialisation des forêts est en cours et les coupes rases s’y multiplient aussi comme le montre cette enquête de France TV Info.
La sylviculture industrielle est fortement émettrice de CO2
Selon les travaux de l’économiste John Talberth relayés en 2019 par le média New Scientist, il existe d’importantes « émissions cachées » de l’industrie forestière. Chaque année en Caroline du Nord, 80 000 hectares de forêt sont coupés pour produire des granulés de bois, du papier et du bois de construction, mais les émissions résultant de ces activités ne sont pas comptabilisées. Talberth a analysé le cycle de vie de l’industrie en prenant en compte les facteurs suivants : le carbone émis par les racines des arbres pourrissant dans le sol après la coupe ; les fertilisants, les herbicides et pesticides répandus dans les plantations. D’après ses calculs, l’industrie du bois en Caroline du Nord émet 44 millions de tonnes de CO2 chaque année, ce qui en fait la troisième source d’émissions de l’État. Selon lui, ce procédé appliqué globalement à l’industrie sylvicole la placerait parmi les trois ou quatre premières sources d’émissions de gaz à effet de serre dans le monde.
De « bonnes pratiques » en matière de sylviculture impliqueraient de couper les arbres au moins tous les 60 ou 90 ans, de couper de petites surfaces et de privilégier une diversité d’espèces locales plutôt que la monoculture d’espèces exotiques. De telles forêts stockeraient plus de carbone et abriteraient une vie sauvage plus abondante. Nous en sommes loin puisque cela va à l’encontre de l’intérêt économique de l’industrie forestière à court terme. De plus, ces pratiques mêmes « bonnes » empêchent la formation de forêts anciennes nécessitant plusieurs siècles ou parfois des millénaires pour se former et n’arrangent rien à l’impact des machines sur la vie forestière (tassement du sol par de lourds engins, écrasement des racines, pollution sonore, etc.).
Valoriser les déchets, c’est détruire les sols
Dans l’argumentaire des industriels de la biomasse et de l’État qui finance leur business, on se félicite de « valoriser » les déchets de l’agriculture et de la foresterie. C’est notamment le cas pour la deuxième génération de biocarburants visant à fabriquer biogazole et éthanol à partir de résidus forestiers (bois) et agricoles (paille). Ce recyclage des déchets, qui ressemble en tous points à la fable de l’économie circulaire, oublie toutefois un léger détail quant au fonctionnement des écosystèmes.
Dans la nature, les déchets – la matière organique en décomposition – nourrissent les sols abritant une diversité de macro-organismes et de micro-organisme d’une immense richesse que les scientifiques commencent à peine à découvrir. Les plantes et les animaux morts qui s’accumulent sur le sol forestier au fil des années, des décennies et des siècles, contribuent à fabriquer la couche d’humus donnant sa fertilité au sol. En voulant attribuer une valeur économique à ces déchets, on les intègre dans le cycle économique et prive la nature d’une ressource essentielle à sa régénération. Déjà très endommagées par l’agriculture moderne chimique et mécanisée, les terres arables pourraient avoir du mal à encaisser cette course à la valorisation des déchets organiques.
Un avantage, l’autonomie énergétique
Un avantage – et non des moindres – que nous voyons avec la biomasse est la possibilité de retrouver l’autonomie énergétique dont bénéficiaient la plupart des humains sur Terre avant l’apparition des États modernes et la première révolution industrielle. Précisons par ailleurs que toute exploitation à grande échelle de la biomasse dans le cadre d’une économie marchande, même avec des techniques artisanales, ne peut être écologiquement soutenable ou durable. Le développement d’un marché du charbon de bois contribue par exemple à accélérer la déforestation dans de nombreux pays du Sud global. Ceci n’arrive pas dans le cadre de communautés traditionnelles à taille humaine plus ou moins autonomes et gérant leur territoire sous un régime de propriété communale (en opposition à la propriété privée). On trouve de telles communautés rurales là où l’État et l’industrie n’ont pas encore procédé à leur démantèlement, en Afrique, en Amérique du Sud ou en Asie.
L’histoire nous apprend que l’utilisation traditionnelle du bois pour cuire et se chauffer est l’une des seules manières – probablement la seule – pour une communauté restreinte d’atteindre l’autonomie énergétique en évitant la surexploitation de l’environnement. Ici nous opposons l’usage traditionnel à l’échelle d’un village communautaire, qui peut être écologiquement soutenable dans une communauté démocratique et autonome gérant son territoire sous le régime des biens communs, à l’usage industriel chapeauté par l’État, fondamentalement anti-écologique et antidémocratique. Quant aux chaudières à bois individuelles répandues en Occident, elles sont à classer dans la catégorie « usage industriel » puisque leur fabrication dépend du système techno-industriel extractiviste. Par ailleurs, chauffer au bois et à 20°C une habitation individuelle de 30 m², 100 m² ou plus n’a rien de durable sur le plan environnemental.
La domestication du feu remonte à au moins 400 000 ans, par Homo erectus, l’une des branches de l’arbre évolutif des grands primates auquel appartient Homo sapiens. Les êtres humains ont tissé une relation fusionnelle avec le feu qu’ils utilisent pour cuire leurs aliments, se chauffer, s’éclairer et repousser les prédateurs. D’après certains anthropologues, la vie nocturne autour du foyer aurait favorisé les interactions sociales et la naissance de cultures complexes.
Environ trois milliards de personnes utilisent le feu pour cuire leur nourriture et se chauffer d’après National Geographic. Comme le précise l’article, aujourd’hui cela pose de nombreux problèmes – pollution intérieure, pollution des villes, problèmes de santé liés à la fumée, déforestation, etc. Mais ces problèmes résultent pour la plupart d’une disparition progressive de la diversité culturelle résultant de l’expansion du système marchand et monétaire (colonisation, impérialisme), de l’urbanisation, de la société de consommation, de l’industrialisation, de l’État, autrement dit ce mal provient de l’expansion de la civilisation industrielle. Il existe d’innombrables exemples de communautés, notamment parmi les peuples autochtones, qui vivent depuis des siècles – et parfois des millénaires – de cette manière, en toute autonomie, sans mettre en danger leur santé et sans surexploiter leur environnement.