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Transition écologique : sauver le système, pas la planète

« La folie est de toujours se comporter de la même manière et de s’attendre à un résultat différent. » Albert Einstein.

 

Transition écologique, transition énergétique et autre développement durable font partie des termes de la novlangue adoptée par les grandes institutions et le monde de l’entreprise pour désigner une croissance économique « soutenable ». Ces concepts ont été élaborés partant du principe qu’une société industrielle pouvait devenir écologique et socialement acceptable pour le plus grand nombre. Mais la réalité est tout autre. En creusant le sujet, on a vite fait de s’apercevoir que les industries « durables » ou « vertes » tombent dans les mêmes travers que leurs prédécesseuses.

Avec une nouvelle crise du capitalisme financier attendue prochainement par de nombreux spécialistes allant de l’ancien président de la BCE à l’économiste Patrick Artus, la transition écologique représente davantage une opportunité pour relancer la machine après l’orage. Ouvrir de nouveaux marchés, créer de nouvelles bulles, faire de la croissance pour éviter le risque d’effondrement du système économique.

Dans un entretien à la télévision suisse RTS publié sur le site du Huffington Post, Nicolas Hulot raconte, comme souvent, n’importe quoi :

« J’avais envie de dire à Emmanuel Macron, quand on décide, les énergies renouvelables, on y va à fond, l’agroécologie on y va à fond, l’hydrogène pour stocker les énergies, on y va à fond, c’est un Plan Marshall »

Nicolas Hulot semble oublier « qu’y aller à fond » signifie cramer un maximum de pétrole dans notre économie capitaliste globalisée. Il semble aussi oublier que le Plan Marshall a participé à l’importation du modèle d’agriculture industrielle états-unien en France, modèle basé sur le pétrole avec l’utilisation massive d’intrants chimiques et la mécanisation du travail. A la manière du Green New Deal défendu par les démocrates aux Etats-Unis, ce plan Marshall impliquerait de réaliser des investissements colossaux, de faire de la croissance, d’extraire des matières premières et donc de consommer des énergies fossiles.

Avec la transition écologique, le logiciel propre à notre civilisation industrielle et ses conséquences sur la planète restent les mêmes.

 

Dépendance aux matières premières

 

Réaliser la transition énergétique implique de développer les énergies renouvelables (EnR) nécessitant d’importants travaux dans les infrastructures. Gagner en efficacité énergétique passe par la rénovation d’une grande part du parc immobilier. Or, le secteur de la construction consomme d’énormes quantités de matières premières et produit aussi énormément de déchets comme le montre ce graphique publié sur le site du Parlement européen.

déchets par secteur en europe

Selon le Panel international des ressources des Nations Unies, l’humanité a extrait et transformé 92 milliards de tonnes de matières premières en 2017. Ces activités sont responsables de 50 % des émissions de gaz à effet de serre, de 90 % de l’extermination de la biodiversité et de 90 % du stress hydrique. Elles se décomposent en plusieurs catégories :

Métaux : demande en croissance annuelle de 2,7 % depuis 1970. La production de fer et d’acier représente 25 % de la demande énergétique industrielle mondiale.

Minéraux non métalliques : essentiellement le sable, le gravier et l’argile. Entre 1970 et 2017, leur extraction est passée de 9 à 44 milliards de tonnes.

Combustibles fossiles : leur utilisation est passée de 6 milliards à 15 milliards de tonnes entre 1970 et 2017

Biomasse : la demande est passée de 9 à 24 milliards de tonnes sur la même période

Eau : entre 2000 et 2012, l’agriculture via l’irrigation a prélevé 70 % de l’eau et l’industrie 19 %. Les communes ne représentent que 11 % de la consommation d’eau totale. (Prendre des douches courtes ne sert donc à rien pour sauver la planète)

Terres : les surfaces cultivées ont diminué dans les pays en Europe et en Amérique du Nord mais augmenté en Afrique, en Amérique latine et en Asie (probablement en raison du fort développement des cultures exportatrices dans les pays du Sud)

Extraction matières premières

Le rapport est très clair quant à la nécessité de redéfinir la notion de progrès :

« Une croissance économique au détriment de notre planète n’est tout simplement pas viable. Le défi consiste donc à répondre aux besoins de tous selon les moyens de notre planète. C’est un objectif ambitieux, mais crucial, qui nécessite que les pouvoirs publics, les entreprises, la société civile et les citoyens redéfinissent ce que l’on entend par « progrès » et fassent preuve d’innovation pour modifier les choix, les modes de vie et les comportements des individus. »

Mais une contradiction flagrante apparaît quelques lignes plus loin. Le « progrès » passe encore et toujours par la croissance, il n’y a donc aucune remise en question, c’est toujours la même rengaine :

« C’est enfin une histoire qui peut, et doit, être changée. Selon les modélisations effectuées par le Panel international des ressources, l’adoption de politiques adéquates en matière d’optimisation des ressources et de modes de consommation et de production durables permettrait de ralentir de 25 pour cent l’augmentation de l’exploitation des ressources dans le monde d’ici à 2060, tout en entraînant une hausse de 8 pour cent du produit intérieur brut mondial – en particulier pour les pays à faible revenu et à revenu intermédiaire – et une réduction de 90 pour cent des émissions de gaz à effet de serre par rapport aux prévisions fondées sur l’hypothèse d’une poursuite des tendances actuelles. Ces prévisions partent du principe que les taux de croissance dans les économies émergentes et autres pays en développement doivent être contrebalancés par une nette réduction de l’exploitation des ressources dans les pays développés. »

Les experts du Panel sur les ressources mondiales nous expliquent qu’il est possible de découpler l’utilisation des ressources tout en continuant à faire croître nos économies. Chose hautement improbable dans une économie en croissance et qui ne s’est jamais produite depuis les prémices de la Révolution Industrielle. Ils se basent sur le principe des gains d’efficacité. En d’autres termes, il suffirait de réduire la quantité de matières premières utilisée pour gagner un point de PIB supplémentaire tout en réduisant les impacts négatifs.

Des gains d’efficacité sont réalisés régulièrement depuis la Révolution Industrielle, mais cela ne s’est jamais suivi d’une réduction de la consommation globale des ressources, notamment en raison des nombreux effets rebonds directs et indirects. L’effet rebond – expliqué ici – pouvant totalement annulé les gains d’efficacité réalisés sur l’utilisation des ressources, il suffirait (toujours selon le Panel) de mettre en place une politique de taxation adéquate en fonction de l’extraction.

Passer de flux linéaires à des flux circulaires grâce au cycle de vie prolongé des produits, à l’éco-conception, à la réutilisation, au recyclage et au reconditionnement permettrait d’évoluer vers une économie « durable ». Mais comme le rappelle cet article de The Conversation, l’économie circulaire est loin d’être la panacée et peut même avoir des effets pervers, toujours à cause des effets rebond. D’autre part, le recyclage de certains matériaux requiert parfois de lourds processus industriels gourmands en énergie. Cette obstination à vouloir régler nos problèmes par l’ajout de plus de technologie crée d’autres problèmes sans résoudre les premiers. C’est une fuite sans fin en avant avec une consommation énergétique et de matière premières qui ne cesse de croître.

Imaginer que notre économie industrialisée puisse un jour imiter le fonctionnement parfaitement circulaire « from cradle to cradle » d’une forêt est un doux rêve de personnes déconnectées du monde réel.

Plus loin, on peut lire :

« Le scénario Vers un développement durable montre que les changements de politiques et de comportements peuvent permettre le découplage. Le modèle suppose des changements de comportement social et l’adoption de trains de mesures qui, mis en œuvre ensemble, conduisent à un découplage relatif entre l’utilisation des ressources naturelles et le revenu, ainsi qu’à un découplage absolu entre les dommages environnementaux et la croissance économique et l’utilisation accrue des ressources. »

Ce scénario repose sur l’idée d’une reprise en main du système socio-économique par les Etats au travers de « plans nationaux, d’indicateurs et d’objectif ou d’un financement durable », or la sphère privée a pris le leadership sur la puissance publique depuis l’ère Reagan-Thatcher. Depuis, nous assistons à une financiarisation accompagnée d’une dérégulation croissante de l’économie. L’illustration la plus éclatante de ce changement de pouvoir s’est manifestée les années qui ont suivi la crise financière de 2007-2008. Aucun Glass-Steagall Act n’est entré en vigueur – séparation entre banque de dépôt et banque d’investissement –, à la manière de ce qui a été mis en place à la suite de la crise de 1929. Aucune loi pour limiter la taille des établissements bancaires permettant d’éviter le too big to fail n’a été mise en place. Le renflouement des banques n’a été soumis à aucun référendum excepté en Islande. C’est aussi le seul pays où des dirigeants de banque ont fini en prison. Non seulement l’impunité a été totale, mais pour couronner le tout, absolument rien n’a été fait pour réformer profondément le système bancaire qui peut continuer à jouer au casino tout en étant certain d’être renfloué par l’Etat, donc par les citoyens.

Les hommes et les femmes politiques passent du monde de l’entreprise aux fonctions publiques et vice-versa. Juan Manuel Barroso a obtenu un poste chez Goldman Sachs suite à son mandat comme Président de la Commission Européenne. Emmanuel Macron a travaillé comme haut fonctionnaire au Ministère des Finances puis dans une banque d’affaires. Murielle Pénicaud faisait partie de l’équipe dirigeante de Danone avant de participer au gouvernement Macron comme Ministre du Travail. Les exemples de ce type se multiplient, cette consanguinité est devenue la règle. Les grandes entreprises placent leurs pions et dépensent des sommes astronomiques en lobbying pour prévenir les réglementations contraignantes.

Le scénario politique envisagé dans ce rapport de l’ONU semble tout aussi utopique qu’un découplage entre la croissance et la consommation de ressources naturelles.

 

Inégalités, violence et exploitation de l’homme par l’homme

 

L’industrie des énergies renouvelables tombe dans les même travers que toutes les industries. Les entreprises ont beau passer un coup de peinture verte et mettre leur charte éthique en avant, leur comportement en tant qu’agent économique reste dicté par la loi du marché.

La majorité des entreprises de l’industrie extractive des minerais indispensables aux véhicules électriques, panneaux solaires et éoliennes sont impliquées dans l’accaparement de terres et le non-respect des droits de l’homme.

Assurant plus de 70 % de la production mondiale de cobalt, la République Démocratique du Congo arrive en tête des abus suivie de la Zambie, septième producteur de cuivre. Près de 40 000 enfants travailleraient dans les mines en République Démocratique du Congo dans des conditions effroyables. Malgré tout, certaines personnes complètement déconnectées des réalités – dont Bill Gates – osent nous parler des merveilleux progrès de notre civilisation techno-industrielle durant ces deux derniers siècles. Mais rien n’a changé depuis la Révolution Industrielle et il y a aujourd’hui 152 millions d’enfants qui travaillent dans le monde, soit près d’un enfant sur dix. Près de la moitié effectuent des travaux dangereux, les trois quarts travaillent dans l’agriculture et 10 % d’entre eux dans l’industrie.

Le rôle des multinationales dans les violences est clairement établi. L’industrie extractive alimente les conflits armés et certaines entreprises vont jusqu’à confier argent liquide, rations alimentaires et armes aux miliciens s’accaparant des mines illégales. Avec plus de 60 % de firmes étrangères en Afrique, on peut se demander si la décolonisation s’est vraiment produite un jour.

Les énergies renouvelables nécessitent bien plus de béton pour produire une quantité d’énergie donnée par rapport aux énergies fossiles (on retrouve un problème similaire avec le cuivre). Ce matériau de construction utilise un mélange de ciment, de sable et de gravier. Sables et gravier sont les ressources les plus consommées au monde avec une demande s’élevant entre 40 et 50 milliards de tonnes par an. Le développement des énergies renouvelables et des travaux importants d’infrastructures risque de faire gonfler encore ces chiffres. L’exploitation du sable dans les pays du Sud et notamment en Afrique par des travailleurs pauvres cherchant à survivre provoque déjà des dégâts écologiques considérables. Les répercussions sur les populations et leur mode de vie est bien réel. Et les pays industrialisés sont aussi concernés.

L’extraction du lithium utilisé pour les batteries utilise des quantités gigantesques d’eau – Plus 1,8 million de litres par tonne de lithium extraite – et pompe dans les nappes phréatique. A court d’eau pour irriguer leurs cultures, les agriculteurs de certaines régions des Andes sont contraints de quitter leurs terres. Les fuites de polluants ont contaminé les rivières du Chili, d’Argentine, du Nevada et du Tibet. Et ce n’est que le début du carnage. La demande mondiale de Lithium devrait augmenter de 965 % d’ici à 2050.

D’ici 2050, pour répondre simplement à la demande d’argent supplémentaire, il faudra ajouter à la production mondiale 130 mines de la taille de Penasquito au Mexique, une des plus grandes du monde. On y extrait aussi de l’or, du plomb et du zinc. Elle s’étend sur plus de 60 km² et a nécessité la construction de deux énormes sites pour les déchets de plus d’1,6 km de long chacun. Un barrage d’une hauteur équivalente à un immeuble de 50 étages sur une distance de plus de 11 km retient les boues toxiques.

mine argent penasquito mexique

(Goldcorp 2018 Tailings & Mine Waste Conference PDF report)

 

Destruction de la biodiversité

 

Exploiter la nature, c’est détruire la nature

 

Selon le tout récent rapport de l’IPBES, la principale cause d’érosion de la biodiversité est le changement d’usage des terres et de la mer. Cela conforte le chiffre du Panel des ressources de l’ONU citant l’extraction de matières premières comme principale cause (à 90%) de la perte de biodiversité, l’exploitation de la biomasse représentant à elle seule autour de 85 % de ce désastre.

Responsable de l’essentiel de cette hécatombe, la production alimentaire détruit les habitats naturels et dégrade considérablement les sols. Les cultures vivrières ont augmenté de 300 % depuis les années 70 alors que sur la même période, la population mondiale a seulement doublé en passant de 3,4 à 7,7 milliards. Selon la FAO, l’humanité gaspille un tiers de la nourriture produite pour la consommation humaine, ce qui représente 1,3 milliard de tonnes. Ce bilan n’intègre même pas la nourriture produite à destination des animaux qui accapare directement ou indirectement 80 % des terres agricoles au niveau mondial.

Alors que le système actuel démantèle le vivant, les partisans de la transition écologique souhaitent maintenant donner un prix à la nature pour mieux l’intégrer dans le système économique. Ainsi, il faudrait protéger, régénérer et tirer des revenus du « capital naturel » en optimisant la « valeur » issue des « services écosystémiques ». La plantation en masse d’arbres serait la solution idéale permettant d’allier régénération des écosystèmes et capture du CO2. Cette pratique est en vogue parmi les multinationales adeptes de RSE.

Total a annoncé vouloir investir 100 millions de dollars par an pour exploiter la forêt et en tirer des revenus via la compensation carbone et l’exploitation du bois. Rien à voir donc avec une activité sans but lucratif dans l’unique but de régénérer une forêt primaire. Dans le même temps la major pétrolière française s’apprête à exploiter un gisement dans le parc national de Murchinson Falls en Ouganda et possède également plusieurs blocs autour d’un autre parc national en République du Congo. Des zones à la biodiversité riche et fragile.

Même en matière de lutte contre le changement climatique, la plantation de forêts pour faire de la sylviculture industrielle revient à se tirer une balle dans le pied. Les émissions de ce secteur ne sont même pas comptabilisées correctement. Une étude parue en 2017 évaluait les émissions du secteur forestier en Oregon à 33 millions de tonnes de CO2 le plaçant comme le plus important émetteur de l’Etat. Une autre étude en 2019 évaluait les émissions de l’industrie forestière en Caroline du Nord à 44 millions de tonnes de CO2 par an, le plaçant en 3ème position derrière la production électrique et le transport, et très loin devant l’agriculture et d’autres industries.

Selon l’économiste John Talberth, si les émissions de la sylviculture étaient comptabilisées correctement au niveau mondial, ce secteur se classerait parmi les trois secteurs les plus émetteurs de CO2.

En réalité, cette forme de compensation s’inscrit dans la droite lignée du greenwashing pour verdir son image et faire oublier les dégâts causés par l’activité principale d’une entreprise. Une stratégie de diversion en somme. Certaines forêts sont même rasées pour les remplacer par des plantations industrielles pauvres en biodiversité. Les essences d’arbres sont choisies pour leur croissance et leur rendement, rarement pour leurs vertus écologiques. C’est pour cette raison que les forêts européennes constituées à l’origine d’une majorité de feuillus ont peu à peu été remplacées par des conifères stockant moins de carbone et absorbant la chaleur amplifiant les effets du changement climatique.

Selon le botaniste Francis Hallé dans une interview au sujet des vieux spécimens d’arbres remplacés par de jeunes pousses à Montpellier :

« Planter dix jeunes arbres, au lieu [de préserver] un vieux, est une triple arnaque. Un pan du patrimoine disparaît ainsi que la faune et la flore associées. Un vieil arbre ne coûte rien alors que les dix, c’est nous qui les payons. La pire arnaque est écologique : il faut attendre vingt-cinq ans pour que la surface cumulée atteigne la taille du vieil arbre. »

Généralement, laisser les forêts repousser naturellement s’avère plus efficace que les plantations. Le processus de sélection naturelle choisit les espèces les plus à même de survivre dans le milieu tout en augmentant sa diversité. De plus, comme l’évoque l’ingénieur forestier Peter Wohlleben dans son livre La vie secrète des arbres, les jeunes pousses d’arbres ont très souvent des racines abîmées incapables de former le réseau racinaire – le fameux « Wood Wide Web » – des forêts primaires qui ont poussé à partir de graines germées naturellement dans le sol.

La protection de la nature se transforme en exploitation du « capital naturel » pour optimiser la « valeur » des « services écosystémiques ». Transformer la nature en actif financier pour mieux la préserver, c’est en substance le discours des grandes institutions internationales, des ONG environnementales, du monde la finance et des multinationales regroupés au sein de la Natural Capital Coalition.

 

Construction d’infrastructures

 

Le Panel des ressources naturelles de l’ONU précise :

« Les nouvelles économies industrialisées sont responsables d’une part toujours plus importante de l’extraction de matières premières, essentiellement en raison de la construction de nouvelles infrastructures. »

La construction d’infrastructures mène à la fois à une perte de biodiversité en amont via l’extraction de matières premières mais également à une perte en aval du cycle via la destruction et la fragmentation de l’habitat. Une étude parue en 2016 évalue la manière dont réagit la faune sauvage aux grandes infrastructures en Europe et plus particulièrement en Espagne.

Sur le Vieux Continent, 50 % du territoire se situe à une distance inférieure ou égale à 1,5 km d’une route ou d’une voie ferrée. En Espagne, la zone d’influence des infrastructures allant de quelques centaines de mètres jusqu’à 50 km impacte 55,5 % des oiseaux et près de 98 % des mammifères. Sans surprise, la prévalence des animaux augmente avec l’éloignement des infrastructures.

Afin de déployer les énergies renouvelables à grande échelle, d’importants travaux d’infrastructure s’avèrent indispensables, même dans les pays industrialisés. Pour gagner en efficience énergétique et pour faire face à l’intermittence des EnR ou encore pour intégrer au réseau une importance capacité de stockage, les opérateurs devront installer un réseau intelligent ou « smart grid ». Ce dernier se base sur l’association de l’infrastructure électrique aux technologies numériques. Via la récolte de milliards de données en temps réel stockées puis traitées par de puissants algorithmes, il sera alors possible de sauver la planète. Voilà en substance le délire vert vendu par les partisans de la transition énergétique.

D’après le rapport du Shift Project, l’empreinte de l’industrie numérique augmente de 9 % par an et l’intensité énergétique du secteur augmente de 4 % par an. En termes d’émissions de CO2, le secteur numérique rivalise avec l’ensemble des camions circulant dans le monde. Avec le déploiement de réseaux intelligents sur toute la planète – qui n’en sont aujourd’hui à leurs balbutiements -, l’impact du secteur augmentera de manière exponentielle.

Et c’est pas fini. Aux dégâts lors de l’extraction des matières premières, à la consommation énergétique liée aux usages – qui contrairement aux promesses n’est pas du tout sur la pente descendante en raison notamment des nombreux effets rebond comme évoqué précédemment – vont s’ajouter les déchets et pollutions en fin de cycle.

La transition écologique ne remet nullement en question les infrastructures menaçant la survie de la biodiversité à grande échelle. Celles-ci tuent des dizaines de millions d’animaux par collision et probablement des milliards à l’échelle de la planète. Aux Etats-Unis, entre 89 et 340 millions d’oiseaux seraient tués chaque année par les véhicules et entre 12 et 64 millions par des collisions et/ou électrocution avec des lignes à haute tension. Au Brésil, une autre étude estimait à 475 millions le nombre d’animaux tués chaque année sur les routes (l’étude porte sur un nombre restreint d’amphibiens, de reptiles, d’oiseaux et mammifères). De plus, nous connaissons encore mal l’impact à long terme des infrastructures sur le comportement des animaux.

 

Logique de croissance inchangée

 

Toujours d’après le Panel international des ressources, la population mondiale a doublé au cours des cinq dernières décennies, l’extraction de matières a triplé et le PIB a quadruplé sur la même période. En dépit des gains d’efficacité, il n’y a eu aucune stabilisation ni déclin de la demande de matières premières sur la période. La transition écologique, le développement durable, la croissance soutenable ou l’économie verte, tous ces concepts ne remettent pas en cause l’idéologie dominante d’une croissance infinie dans un monde fini.

Dans l’Agenda 2030 des Nations Unies apparaissent les objectifs de développement durable. Voici l’objectif numéro 8 :

« Promouvoir une croissance économique soutenue, partagée et durable, le plein emploi productif et un travail décent pour tous »

En regardant le détail, l’objectif est fixé à 7 % de croissance pour les pays « les moins avancés ». Avec 10 % de croissance en moyenne sur une période de quatre décennies, la Chine doit donc être selon l’ONU un modèle en matière de responsabilité environnementale et sociale.

Même si certains économistes parlent du début d’une ère de post-croissance dans les pays industrialisés en Occident, la plupart du temps ils ont en tête la taille globale de l’économie. Mais c’est oublier que l’économie est multisectorielle. Dans les pays occidentaux, il y a depuis plusieurs décennies une substitution entre différents secteurs d’activités. D’une économie principalement basée sur l’agriculture et l’industrie, les grands pays occidentaux sont passés à une économie de services, secteur qui représente en France plus de 80 % du PIB. L’importation de produits agricoles a explosé et les industries polluantes ont été délocalisées en grande partie dans les pays du Sud.

Part du PIB par secteur en France

En fin de compte, la décroissance au niveau national de certains secteurs délocalisés à l’étranger compense la croissance d’autres secteurs, dont le secteur IT. Celui-ci affiche un taux de croissance important en France avec 4,1 % en 2018. Dans ces conditions, parler d’une ère de post-croissance dans certains pays riches est une vision erronée de la réalité. D’autant plus que la croissance globale est bien à la hausse, voir sur le graphique ci-dessous. (Axe des abscisses sur le graphique réajusté sur les 50 dernières années). On constate même une accélération quasi-continue de la croissance du PIB mondial depuis les années 1950. Suite à la crise financière, l’année 2008-2009 est la seule où l’activité mondiale s’est contractée en 70 ans. C’est aussi la seule année où s’est produit une baisse significative des émissions de CO2 depuis des décennies.

croissance économie mondiale PIB

 

Revenons à la transition écologique. Dans cette interview d’Usbek & Rica, Joseph Stiglitz parle bien de croissance lorsqu’il évoque la transition énergétique et le « Green New Deal ». Croissance qui, comme d’habitude, devra être alimentée en énergies fossiles. Nous sommes tout simplement incapables de faire autrement. Selon Stiglitz, le capitalisme peut survivre sans croissance. Bien qu’il n’apporte aucune preuve de cette éventualité, il croit à un « capitalisme progressiste qui respecte les limites planétaires » mais croit en même temps que « la croissance reste nécessaire pour s’assurer que tout le monde ait un standard de vie décent ». Un « standard de vie décent » probablement incompatible avec une empreinte écologique soutenable à long terme. Les économistes n’en sont plus à une contradiction près.

La transition écologique ne s’attaque nullement à la source de tous nos maux, bien au contraire. Il s’agit de miser et même de renforcer le système capitaliste industriel. Il faut alimenter la croissance de nouvelles industries pour impulser un changement, mais quel changement ? Dans les faits, il n’y a aucun réel changement. Certaines industries viendront peut-être en remplacer d’autres comme cela s’est déjà produit maintes fois depuis la Révolution Industrielle. Au final, il n’y a aucun changement de paradigme. Les fondamentaux restent les mêmes, les conséquences sur la nature aussi. L’émergence d’une société industrielle verte est bel et bien une illusion.

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