Quelques exemples pour illustrer la bêtise de nos élites
En cette fin d’année 2019, la catastrophe écologique gagne chaque jour en ampleur et coïncide avec une crise majeure du capitalisme. La croissance mondiale est en berne, des soulèvements populaires se produisent sur tous les continents, les inégalités atteignent des sommets. Les élites économiques et politiques se précipitent alors dans les médias pour nous vendre leurs solutions. Il serait encore temps d’agir pour le climat, nous pourrions même faire d’une pierre deux coups ; sauver la société techno-industrielle ET la planète.
Le message envoyé à la population est le suivant : « Il est possible de conserver notre confort occidental reposant sur l’industrialisme alimenté à l’énergie fossile abondante et bon marché. Il est possible de conserver un mode de vie dilapidant les ressources planétaires, exploitant des milliards d’individus et exterminant le vivant. Tout ce que vous avez à faire, c’est de nous soutenir dans un effort de guerre pour effectuer une transition écologique et mettre fin à notre dépendance aux énergies fossiles. »
Cet exercice d’équilibriste grotesque ne résiste pas à la contradiction. Sauver la planète ou sauver le système, il faut choisir. Les élites, elles, ont fait leur choix.
Voici quelques exemples illustrant la stupidité (la folie ?) des gens qui nous gouvernent. Cette liste est très loin d’être exhaustive.
Jean Jouzel et Pierre Larrouturou promoteurs des illusions vertes
Jean Jouzel, glaciologue et climatologue, ancien vice-président du groupe scientifique du GIEC, est assez médiatisé ces derniers temps en raison de son engagement politique. Avec Pierre Larrouturou, ingénieur agronome de formation passé par sciences-po et ancien membre du PS reconverti dans l’écologie devenu député européen (coalition Place Publique, PS et Nouvelle Donne), ils portent ensemble un Pacte Finance Climat pour l’Europe.
Dans leur interview sur Thinkerview, les deux hommes défendent la neutralité carbone, le développement durable et la croissance verte. Selon Larrouturou, l’Europe devrait investir 400 milliards d’euros par an pour relancer la croissance et créer 5 millions d’emplois. L’interviewer a beau leur faire remarquer qu’il n’y a aucun changement de paradigme dans ces propositions – société de consommation, demande en ressources naturelles et en énergie -, les deux hommes balayent d’un revers de la main. Pour l’Afrique, Larrouturou parle d’un Plan Marshall. Notez comme le terme « Plan Marshall » revient à la mode en Europe et « New Deal » aux Etats-Unis, un recyclage qui n’est certainement pas le fruit du hasard.
Il y a chez Jean Jouzel et Pierre Larrouturrou cette foi inébranlable dans le génie humain qui, dans l’état où se trouve la planète, frôle le ridicule. L’homme aurait déjà relevé d’innombrables challenges par le passé, le changement climatique serait un nouveau défi à notre mesure. Il y a dans cette croyance un concentré d’arrogance et de narcissisme caractéristiques de notre culture toxique au sein de la civilisation industrielle. Pierre Larrouturrou évoque alors la conquête spatiale et l’objectif de poser le pied sur la Lune fixé par Kennedy ou encore la transformation de l’économie américaine pour lancer les Etats-Unis dans la 2nde Guerre Mondiale suite au bombardement de Pearl Harbour. Il faut quand même en tenir une sacrée couche pour oser l’analogie avec la lutte contre le changement climatique.
C’est précisément ce dogme du progrès technique qui nous mène dans le mur depuis la 1ère Révolution Industrielle. La situation catastrophique dans laquelle se trouvent les écosystèmes planétaires devrait amener n’importe quel être humain encore doté d’un semblant d’empathie à mettre en doute ce dogme.
« Ce n’est pas trop tard » nous dit Pierre Larrouturrou. Pour sa carrière politique, certainement, pour le climat, il est déjà trop tard. Nous pouvons seulement limiter la casse si nous entamions dès maintenant une décroissance radicale.
Selon lui, « nous allons connaître la barbarie » en évoquant les déplacements de millions de personnes venant des pays du Sud ravagés par les aléas climatiques. La barbarie, c’est le quotidien de millions de personnes écrasées, piétinées, spoliées, exploitées, persécutées et expulsées de leurs terres par la civilisation industrielle. Ces personnes représentant une part conséquente de l’humanité n’attendent qu’une seule chose, c’est de voir leur calvaire quotidien enfin cesser. Un effondrement économique mondial serait pour elles une délivrance de l’oppression. Mais tout cela n’a pas beaucoup d’importance pour Pierre Larrouturrou qui souhaite un plan Marshall pour exporter le « progrès » en Afrique, le même modèle de société – la civilisation industrielle – qui a ravagé les écosystèmes de cette planète et déstabilisé le climat. En voilà une idée lumineuse.
De son côté, Jean Jouzel prend la défense de Greta Thunberg et condamne « ceux qui ne veulent rien faire » en évoquant « un réflexe de désespéré ». Mais l’espoir consistant à croire que la civilisation industrielle puisse un jour devenir soutenable est un poison. C’est un refus de voir la réalité en face. De plus, Jean Jouzel et Pierre Larrouturrou semblent surtout craindre l’effondrement des pays du Nord – donc de la civilisation industrielle -, en tout cas c’est l’impression que donne leur discours. Que le maintien de cette civilisation nécessite de réduire en esclavage 40 millions de personnes et de faire travailler 152 millions d’enfants dans le monde ne leur pose pas de problème. Que le maintien de cette civilisation nécessite de construire des infrastructures exterminant la vie sauvage ne les dérange pas non plus.
S’attaquer à la racine du problème, le capitalisme ultra-libéral, le patriarcat ou l’expansionnisme, ce n’est pas la priorité du moment selon eux. D’ailleurs, le plan Marshall de Larrouturrou pour l’Afrique reste dans la même lignée néocoloniale que la politique des occidentaux sur le continent où 60 % des firmes sont étrangères. Le Nord dicte la voie à suivre au Sud.
La culture dominante considère la nature – et les hommes – comme une ressource à exploiter pour nourrir la démesure de notre civilisation. C’est cette base culturelle toxique qui sous-tend tout le reste. Une évidence que de nombreux membres de l’élite refusent de reconnaître.
Du côté de ceux qui ont compris que notre seule chance de sauver la planète était de mettre fin à la civilisation industrielle, le désespoir peut au contraire devenir le moteur de l’action. Voici un passage de Derrick Jensen choisi par Nicolas Casaux dans son article Un optimisme pathologique : comment l’espoir colporté par les médias perpétue la catastrophe :
« Beaucoup de gens ont peur de ressentir du désespoir. Ils craignent qu’en s’autorisant à percevoir le désespoir de notre situation, ils devront alors être constamment malheureux. Ils oublient qu’il est possible de ressentir plusieurs choses en même temps. Je suis plein de rage, de peine, de joie, d’amour, de haine, de désespoir, de bonheur, de satisfaction, d’insatisfaction, et d’un millier d’autres sentiments. Ils oublient aussi que le désespoir est une réponse tout à fait appropriée pour une situation désespérée. Beaucoup de gens ont aussi probablement peur qu’en s’autorisant à percevoir à quel point les choses sont désespérées, ils seront peut-être alors forcés de faire quelque chose pour changer leurs circonstances. »
Plus loin dans l’interview, Jean Jouzel avance que la géo-ingénierie n’est pas une solution éthique. Mais depuis quand les scientifiques et les industriels se soucient de l’éthique ? Il n’évoque qu’une seule technique consistant à vaporiser des aérosols dans l’atmosphère pour bloquer les rayons du soleil, pour simuler les effets d’une éruption volcanique de grande ampleur. Mais il existe bien d’autres techniques visant à jouer aux apprentis sorciers avec le climat.
La technique de capture la plus « prometteuse » semble être la BECCS (Bio-Energy with Carbon Capture and Sequestration) dans les scénarios du GIEC. Cette dernière consiste à cultiver en masse des végétaux captant naturellement le CO2 de l’atmosphère, les brûler pour produire de l’énergie, puis récupérer le CO2 issu de la combustion pour le stocker dans des compartiments géologiques comme d’anciens gisements de gaz ou de pétrole. Le CO2 pourrait même permettre d’extraire les dernières gouttes de pétrole des vieux puits désaffectés.
Une autre technique semble en vogue puisque l’industrie pétrolière et Bill Gates y ont investi leurs ronds, c’est le captage direct du CO2 de l’air avant stockage ou DACCS. Il s’agit d’un réacteur géant capable d’aspirer le CO2 présent dans l’air via un procédé chimique appelé « Direct Air Capture ».
Le rapport du GIEC sorti en 2018 place les solutions de captage du CO2 comme un élément majeur de l’effort de guerre contre le changement climatique. Roland Séférian, un des scientifiques co-auteurs du rapport précise sur France Info qu’ « il est nécessaire de retirer du dioxyde de carbone de l’atmosphère, c’est ce qu’on appelle les émissions négatives et qu’on a vu apparaître lors de l’Accord de Paris. »
La suite de l’interview de Roland Séférian permet de mieux comprendre pourquoi Jean Jouzel n’évoque que les aérosols dans les techniques de géo-ingénierie :
« Alors il faut bien faire la différence entre ce qu’en France nous appelons de la géo-ingénierie qui est plutôt de l’intervention climatique, qui vise d’une certaine manière à agir sur le réchauffement ou l’énergie solaire rentrant dans le système climatique et ce qu’on appelle l’atténuation ou des techniques visant à retirer le dioxyde de carbone. »
Le GIEC et les climatologues français ont donc décidé qu’ici en France, la capture du CO2 n’était pas de la géo-ingénierie. Pourtant, le magazine Environnement de la prestigieuse Université de Yale classe toutes les techniques d’intervention corrective sur le climat comme de la géo-ingénierie. Même chose pour la définition de Wikipédia classant l’ingénierie du climat en deux grandes catégories : gestion du rayonnement solaire et capture du carbone.
Pour finir sur l’absurdité de cet effort de guerre contre le changement climatique, un enseignant-chercheur administrateur de l’association Sciences Citoyennes précise que les modèles du GIEC reposent également sur une croissance continue jusqu’en 2100.
Nicolas Hulot : « Il faut un plan Marshall »
Dans une interview sur RMC et BFM TV, deux médias de masse brillant par leur médiocrité, Nicolas Hulot déclarait :
« Il faut un plan Marshall, via des mesures fiscales, un basculement des régulations, des normes, tout un dispositif pour faire des économies, créer des emplois et répondre au défi énergétique. »
Il poursuit :
« la meilleure manière de répondre à ces défis ce n’est pas de baisser le prix des carburants. Il faut donner la possibilité à tout un chacun de baisser leur consommation. Il faut rénover le bâtiment ancien, il faut des véhicules qui consomment un ou deux litres aux 100, avoir de l’électroménager qui consomme moins. C’est tout un dispositif. Il faut basculer toute la fiscalité, qui est un outil de régulation qui porte sur le travail, sur la fiscalité écologique »
Nicolas Hulot fait référence au Plan Marshall états-unien qui, après la Seconde Guerre Mondiale, a participé à relancer la croissance de l’économie européenne. Ce plan de relance – ou de croissance – a entre autres permis d’importer des Etats-Unis l’agriculture industrielle shootée au pétrole, avec utilisation massive d’intrants chimiques et de machines.
Utiliser le terme « Plan Marshall » pour décrire le sauvetage de la planète est une belle connerie. Un tel plan consiste à faire un lobbying intensif pour des modifications dans la réglementation freinant le déploiement des nouvelles industries (énergies renouvelables, captage du CO2, etc), à réaliser des investissements institutionnels et privés massifs et, surtout, à cramer beaucoup de pétrole.
De l’extraction des matières premières à leur transformation, la fabrication des pièces puis l’assemblage, les pièces d’un panneau solaire, d’une éolienne ou d’une batterie auront parcouru des milliers de kilomètres via les chaînes logistiques reliant les continents. Tout ceci ne fonctionne pas et n’a aucun avenir sans pétrole. Ces techno-solutions qui n’ont rien de vert ont une espérance de vie limitée et devront être recyclées, un processus lui aussi dépendant des fossiles et incapable de reproduire un cycle naturel où 100 % des déchets devienent des ressources.
Depuis 2016, les barrages hydroélectriques produisent plus de 70 % de l’électricité renouvelable dans le monde. Environ 3 700 de ces monstres de béton sont en projet ou en cours de construction dans les pays du Sud. Les barrages détruisent des biomes entiers, fragmentent les écosystèmes des zones humides et expulsent de leurs terres des milliers de personnes parmi les communautés autochtones, des déplacements forcés privant ces peuples de leur subsistance et les menant à la ruine, la famine, les drogues, l’alcool et la mort. Des peuples que Nicolas Hulot connaît bien puisqu’il a eu l’occasion d’en rencontrer durant ses nombreux voyages autour du globe. Pour les centrales géothermiques, biomasses, éoliennes ou solaires, c’est exactement la même histoire. Il est nécessaire d’artificialiser des terres, donc de détruire des habitats naturels, première cause d’extermination de la biodiversité dans le monde. Pour défendre un tel programme, soit Nicolas Hulot est un abruti fini, soit il nous prend vraiment pour des cons.
Il n’a vraisemblablement pas non plus eu vent du paradoxe de Jevons dans une économie en croissance, un effet rebond qui annule en partie ou totalement les gains d’efficacité réalisés en amont par une innovation technologique. Dans ce cadre, augmenter l’intensité énergétique de nos économies en réduisant la consommation énergétique nécessaire à la production n’empêche pas une augmentation de la consommation globale d’énergie.
Les multiples incohérences de Gaël Giraud
Gaël Giraud est passé par le cursus habituel des élites de la nation ; lycée Henri IV, polytechnique, etc. Il est directeur de recherche au CNRS, ancien chef-économiste à l’Agence Française de Développement (AFD) et prêtre jésuite, ça ne s’invente pas. Dans une interview publiée sur le média Reporterre, il multiplie les incohérences :
« Les pays des Sud n’en sont plus à donner des leçons de morale au Nord car il est trop tard. Ils savent qu’on s’achemine vers des catastrophes majeures, qu’il faut limiter le plus possible nos émissions de gaz à effet de serre. Ils sont très conscients qu’il existe une vertu d’exemplarité. Et que s’ils font leur part, ils pourront peut-être convaincre les pays du Nord de faire la leur. C’est d’ailleurs dans leur intérêt que la réduction des émissions de CO2 se fasse le plus rapidement possible. »
Le travail de l’AFD consiste justement à donner des leçons aux pays du Sud. C’est même sa principale mission et c’est le rôle de toute agence d’Etat impérialiste qui se respecte, au même titre que l’USAID états-unienne ou que la GIZ allemande. Sous couvert d’une main tendue aux pays du Sud, ces agences de développement imposent la vision occidentale du « progrès » dans les pays du Sud ; dogme de la croissance, libre-échange, innovation technologique, industrialisme, agriculture sous contrat s’apparentant à du servage via l’endettement, etc. Elles ouvrent aussi la voie aux entreprises occidentales.
L’AFD compte parmi ses partenaires la Banque Mondiale et la fondation Bill & Melinda Gates, une organisation membre stratégique du Forum Economique Mondial regroupant les plus influentes – et polluantes – multinationales de la planète.
Gaël Giraud travaille donc pour une agence néocoloniale de développement mais explique plus loin que :
« Beaucoup de populations dites indigènes ont énormément de choses à nous apprendre. Les moins humainement « développés », c’est nous, qui dépendons des énergies fossiles pour notre consommation d’énergie et qui sommes incapables de faire de la prospérité sans détruire les écosystèmes. »
Si ces populations ont énormément de chose à nous apprendre comme l’exprime si bien Gaël Giraud, pourquoi l’AFD n’invite-t-elle pas ces peuples indigènes en France pour nous apprendre à nous autres hommes civilisés attardés un mode de vie sans énergies fossiles ?
Si ces populations sont « humainement plus développées » que nous, pourquoi l’AFD a engagé 11,4 milliards d’euros sous forme de prêts (83 % des financements en 2018) sur des projets de développement en 2018 ?
Pourquoi l’AFD mobilise-t-elle ses forces pour favoriser la « transition économique et financière » ou, disons-le clairement, la financiarisation des économies du Sud ? Pourquoi l’AFD fait-elle la promotion d’une « industrialisation durable » ?
Pourquoi finance-t-elle des infrastructures et des énergies renouvelables toutes dépendantes du pétrole et de l’extraction minière ultra-polluante ?
Alors que le numérique et les écrans fabriquent en masse des crétins dans les pays du Nord, pourquoi l’AFD soutient-elle le développement de cette industrie ailleurs ?
Pourquoi l’AFD soutient-elle des projets de développement d’agriculture commerciale et exportatrice au lieu de soutenir l’autosuffisance des populations ?
Pourquoi l’AFD soutient-elle le parc national du Limpopo au Mozambique d’où sont expulsées les populations qui vivaient sur ces terres avant la création du parc ? (Pour couronner le tout, les zones où sont relocalisées les populations ne leur permettent pas de pratiquer l’agriculture et l’élevage dans de bonnes conditions, leur situation est bien pire qu’avant. Présentée comme une opération destinée à protéger la biodiversité du parc, cette expulsion se fait surtout au profit de l’entreprise sud-africaine Twin City appartenant à la richissime famille Pistorius convoitant les terres.)
Gaël Giraud prône aussi une initiation du changement venant d’en bas, des populations locales mais « en même temps », l’Etat doit intervenir pour transformer la société en profondeur, les institutions et les infrastructures. Infrastructures qui contribuent à la perte et à la fragmentation de l’habitat, à la dévastation du monde sauvage. L’extraction colossale de matières premières que nécessitent les infrastructures constitue un autre problème majeur que les partisans de la croissance verte glissent volontiers sous le tapis.
Pour résumer, le jésuite de l’AFD condamne la société occidentale pour ses excès et son incapacité à trouver la prospérité sans détruire la nature mais soutient les projets de son agence impérialiste imposant le même modèle de développement destructeur dans les pays du Sud. Où est la cohérence là-dedans ?
D’autres incohérences apparaissent dans la suite de l’interview. Selon lui, l’AFD défend aussi la constitution de communs :
« À l’Agence française de développement, nous poussons beaucoup vers la constitution de communs. Elinor Ostrom a reçu le prix Nobel d’économie en 2009 pour ses travaux sur le sujet. Ceux-ci montrent que, la plupart du temps, lorsqu’une ressource est privatisée, elle est détruite. Si elle est confiée à la gestion publique, cela donne parfois des catastrophes. La meilleure solution reste souvent de la confier à des communautés locales, à condition que des règles démocratiques et participatives soient mises en place pour une gestion raisonnable. »
Ce discours est à des années-lumière de ce que l’AFD fait concrètement sur le terrain au Mozambique dans le parc national du Limpopo (voir plus haut).
De plus, la critique de la propriété publique et privée, la gestion communautaire, tout cela commence à ressembler à la définition de l’anarchie donnée par Wikipédia :
« L’anarchie est une société sans système de pouvoir tel que le gouvernement autoritaire, l’économie d’exploitation ou la religion dominante. C’est la situation d’un milieu social où il n’existe pas de rapports de pouvoir, de chefs, d’autorité centrale ; une société où chaque personne, groupe, communauté ou milieu est autonome dans ses relations internes et externes. Il existe toujours une organisation, un ordre, un pouvoir politique ou même plusieurs, mais pas de domination unique ayant un caractère coercitif. »
[…]
« Pour les anarchistes, l’anarchie est l’ordre social absolu, grâce notamment à la socialisation des moyens de production : contrairement à la norme capitaliste de possessions privées, elle suggère celle de possessions individuelles ne garantissant aucun droit de propriété, notamment celle touchant l’accumulation de biens non utilisés. Cet ordre social s’appuie sur la liberté politique organisée autour du mandatement impératif, de l’autogestion, du fédéralisme libertaire et de la démocratie directe. L’anarchie est donc organisée et structurée : c’est l’ordre moins le pouvoir. »
Avec le soutien de Bill Gates, l’AFD défendrait donc des projets se rapprochant des idéaux de l’anarchisme dans les pays du Sud. On y croit.
Gaël Giraud cite les travaux de l’économiste Elinor Ostrom sur la propriété commune qui, à travers ses travaux, a réussi à dégager les facteurs assurant la protection des communs résumés dans cet article paru sur le blog du Monde Diplomatique :
« Elinor Ostrom a mis en place un cadre d’analyse et de développement institutionnel destiné à l’observation des communs. De ses observations concrètes elle a tiré huit principes d’agencement que l’on retrouve dans les situations qui assurent réellement la protection des communs dont ces communautés d’acteurs ont la charge :
— des groupes aux frontières définies ;
— des règles régissant l’usage des biens collectifs qui répondent aux spécificités et besoins locaux ;
— la capacité des individus concernés à les modifier ;
— le respect de ces règles par les autorités extérieures ;
— le contrôle du respect des règles par la communauté qui dispose d’un système de sanctions graduées ;
— l’accès à des mécanismes de résolution des conflits peu coûteux ;
— la résolution des conflits et activités de gouvernance organisées en strates différentes et imbriquées. »
Le prêtre jésuite économiste soutient également que, face à la privatisation, les communs ne peuvent pas être gérés et protégés seuls, « il faut réhabiliter l’Etat, le droit et les normes ». Force est de constater que les Etats se montrent incapables de faire face à la privatisation. C’est même l’Etat français qui organise la dilapidation des joyaux de la couronne : AFD, SNCF, Française des jeux, barrages hydroélectriques, autoroutes, etc. En Afrique, on assiste à la même vague de privatisations. De nombreux chefs d’Etat africains qui ont du mal à emprunter auprès des institutions occidentales ou sur les marchés financiers se tournent vers les banques chinoises qui demandent en échange des conditions excessives. Résultat, les entreprises chinoises mettent la main sur des aéroports, des forêts, etc. En Afrique, la Chine finance aussi des complexes industriels dans son seul et unique intérêt.
Il est très probable qu’une gestion démocratique des communs au niveau local pourrait très bien se passer de l’Etat et bien mieux résister aux vautours de la sphère privée. Par ailleurs, une gestion fonctionnelle des communs nécessite que des règles spécifiques aux besoins de chaque communauté soient fixées à un niveau local avec une démocratie directe, une mission pour laquelle l’Etat se montre incapable.
Dans la suite de l’interview, Gaël Giraud explique qu’il faut tout faire pour éviter l’effondrement de la civilisation qui déclencherait selon lui un retour à la barbarie :
« À l’AFD, nous construisons des modèles macroéconomiques et climatiques en partenariat avec l’Institut Pierre-Simon-Laplace, un réseau de laboratoires du climat français très présent au sein du Giec. Les premiers résultats suggèrent la possibilité d’une décroissance à l’échelle planétaire, forcée, subie, dès le dernier tiers de ce siècle. Dans ce scénario, le PIB mondial plafonne autour de 2065, avant d’entrer en décroissance. C’est une version possible de l’effondrement. Par contre, si nous mettons en œuvre des politiques publiques hypervolontaristes, notre modèle montre qu’il est possible d’y échapper. Or, il faut tout faire pour échapper à l’effondrement. Regardez la situation du Vénézuéla. Avez-vous envie de connaître cela ? Ou encore ce qui se passe au Mali, en Libye, ou en Afghanistan : la faillite de l’État, c’est le retour tribal au Moyen-Âge avec des seigneurs de guerre locaux qui terrorisent des populations civiles prises en otage. »
Comme tout économiste qui se respecte, il travaille avec des modèles mathématiques. Et les modèles ont dit qu’il était possible d’éviter l’effondrement. Mais ce n’est pas ce que dit l’histoire globale des civilisations. Le chercheur Luke Kemp de l’Université de Cambridge a évalué l’espérance de vie moyenne d’une civilisation à 336 ans en se basant sur 28 grandes civilisations de 3000 ans avant J.-C. à 600 ans après J.-C. Aucune civilisation n’a échappé à l’effondrement, ce dernier est inéluctable. A ce stade, croire l’inverse relève du dogme religieux. Mais chez les jésuites, la doctrine religieuse, ça les connaît.
Gaël Giraud joue lui aussi sur la peur de l’effondrement en faisant miroiter un retour au Moyen-Âge en citant en exemples des pays en proie au chaos à cause de l’impérialisme, notamment le Mali, la Libye et l’Afghanistan. Si le Moyen-Orient et le Sahel sont aujourd’hui en voie d’effondrement, ce n’est certainement pas dû à une raréfaction des ressources, mais plutôt à l’interventionnisme des grandes puissances occidentales étrangères dans la région. L’analogie est donc douteuse.
Concernant le Vénézuela, son tissu économique bien particulier n’a pas grand-chose à voir avec l’économie française ni même européenne. Avec la rente pétrolière, le pays importe la majorité des biens de premières nécessités qu’il consomme, une transformation de l’économie survenue au XXème siècle suite à la pression du lobby commercial pour limiter la production agricole sur le territoire national. Lorsque, pour une raison ou pour une autre, la rente assurée par l’or noir devient insuffisante pour s’approvisionner à l’étranger, c’est toute l’économie du pays qui vacille. La France, et plus généralement l’Europe, sont au contraire de grandes puissances agricoles. La comparaison faite par Gaël Giraud avec le Vénézuela ne tient pas debout.
Pour finir sur cet extrait, Gaël Giraud caricature à l’extrême les sociétés du Moyen-Âge qui étaient par biens des aspects moins violentes que la civilisation industrielle.
Il condamne aussi la tentation de voir l’effondrement comme une issue positive :
« La tentation est de se représenter l’effondrement comme une bonne nouvelle. Certains cèdent à une sorte de romantisme anarchiste, jubilant inconsciemment de l’abolition de l’État à la perspective de l’effondrement. Or, je suis convaincu que nous avons besoin d’un État pour faire respecter le droit et la justice, pour assurer des services publics et sociaux. Le seul intérêt de la collapsologie, c’est de nous encourager à tout faire pour éviter la catastrophe.»
La catastrophe, c’est la civilisation industrielle. Gaël Giraud tient finalement le discours classique des élites de la Nation passées par les grandes écoles considérant les hommes comme une masse de sauvages qu’un Etat, administrée par cette même élite, devrait domestiquer pour éviter le chaos.
Joseph Stiglitz : « Un PIB vert est possible »
Dans une interview donnée au média Usbek & Rica dont la ligne éditoriale alterne entre capitalisme vert et décroissance, Joseph Stiglitz, prix Nobel d’économie en 2001, croit lui aussi en un « capitalisme progressiste et qui respecte les limites planétaires. »
Ben voyons.
Dans l’interview il déclare :
« Un PIB vert est possible. Cela dit, à terme, une croissance continue, sans fin, n’est pas nécessaire. Sans croissance, ce ne sera pas la fin du monde, ni la fin du capitalisme. Je crois en un possible capitalisme progressiste et je crois toujours en l’économie de marché, mais qui doit être canalisée. Mais je crois aussi que de nombreux secteurs ne devraient plus avoir la cupidité comme moteur. Pour autant, il reste de nombreuses populations vivant dans la pauvreté aujourd’hui, sans accès à des soins décents, et je pense que la croissance reste nécessaire pour s’assurer que tout le monde ait un standard de vie décent. »
Economistes, politiques, entreprises et ONG environnementales nous serinent la même chose depuis des années – voire des décennies – pour entretenir l’espoir qu’un jour peut-être, le capitalisme deviendra enfin vertueux. Ce discours volontairement simpliste nie les quantités colossales de matières premières qu’il faudra extraire pour le développement massif de l’industrie des renouvelables. Il balaye aussi d’un revers de la main la violence quotidienne subie par les habitants des pays du Sud travaillant dans les mines. Selon Amnesty International, plusieurs dizaines de milliers d’enfants travailleraient dans les mines de République Démocratique du Congo, un pays assurant plus de 65 % de la production mondiale de cobalt, métal indispensable pour les industries du numérique et des renouvelables.
Joseph Stigltiz affirme aussi que le capitalisme peut survivre sans croissance. En réalité, personne ne sait vraiment si le capitalisme tel qu’il existe aujourd’hui peut survivre sans croissance. C’est même peu probable. Selon une récente étude (encore une fois basée sur une modélisation mathématique), un capitalisme de post-croissance serait possible et désirable, l’économie gagnerait ainsi en stabilité. Mais nous en sommes encore loin et l’économie actuelle reposant sur l’industrialisme n’est de toute façon ni soutenable et encore moins souhaitable pour notre futur. Joseph Stiglitz écarte d’ailleurs ce scénario de capitalisme post-croissance pour le moment et précise que la priorité doit être de viser un « standard de vie décent » pour tout le monde. Bref, la fin de la croissance, ce n’est pas pour tout de suite.
De plus, si ce standard de vie correspond au confort matériel d’une famille de la classe moyenne nord-américaine ou européenne, les conséquences seront désastreuses sur les biomes et sur le climat. Le mode de vie au sein de la civilisation industrielle est hautement insoutenable, appeler de ses vœux que tous les habitants de cette planète vivent selon les standards occidentaux relève de l’aveuglement idéologique, voire de la pure folie.
Joseph Stiglitz s’exprime contre la « cupidité comme moteur ». Ce n’est manifestement pas l’avis d’Al Gore, un autre apôtre du Green New Deal. Dans une interview donnée au média The Atlantic, il détaille sa stratégie d’investissement dans les technologies vertes au sein de Generation Investment Management, un fonds d’investissement créé avec David Blood, ancien directeur de la gestion d’actifs chez Goldman Sachs. Ils défendent un « capitalisme soutenable » et plaident pour « la cupidité à long terme ».
Un des piliers de la stratégie de Generation Investment consiste à rendre visible ce qui a été rendu invisible par la dictature du profit à court terme. Le fonds décide d’investir dans une entreprise selon des critères bien particuliers allant au-delà de la rentabilité financière à court terme et ayant trait au management, à la gouvernance, à l’impact environnemental. La stratégie de l’entreprise doit s’inscrire sur le long terme. Dans le portefeuille de Generation Investment, Microsoft tient la part la plus importante. D’autres multinationales dont Qualcomm, Google, Unilever – le plus gros acheteur d’huile de palme au monde – et même John Deere – fabriquant de tracteur pour l’agriculture industrielle – font partie du portefeuille. C’est effectivement une sacrée révolution…
Laurence Fink, le PDG de BlackRock – le fonds de gestion d’actifs le plus important au monde gérant 6 840 milliards USD en août 2019 soit plus de 2,5 fois le PIB de la France – avance ceci : « Je crois réellement que nous avons besoin d’un capitalisme inclusif, d’un capitalisme progressiste », un système qui pourrait être « plus solide, plus résilient, plus équitable, et mieux à même de délivrer la croissance soutenable dont le monde a besoin. » Encore une fois, la croissance est au centre de l’attention.
Black Rock gère principalement l’argent d’investisseurs institutionnels dont des caisses de pension qui attendent un retour sur investissement. Or, pour obtenir des rendements, soit le prix des actions des entreprises du portefeuille augmente – dans ce cas-là on peut vendre et obtenir une plus-value -, soit ces même entreprises engrangent des bénéfices qu’elles redistribueront ensuite aux actionnaires. Il existe d’autres « astuces » pour distribuer des bénéfices mais elles ne sont pas viables pour l’entreprise sur le long terme. Dans les deux cas, l’entreprise doit nécessairement accroître son chiffre d’affaires à un moment ou à un autre.