Un avant-goût du futur neutre en carbone
« Les techniques policières, qui se développent à une cadence extrêmement rapide, ont pour fin nécessaire la transformation de la nation tout entière en camp de concentration. »
– Jacques Ellul, La Technique ou l’Enjeu du siècle, 1954 (recensions ici et là)
« Si le racket en échange de protection représente la forme la plus manifeste du crime organisé, alors la guerre et l’État — quintessence de ce type de racket avec l’avantage de la légitimité — apparaissent comme les plus grands exemples de crime organisé. »
– Charles Tilly, « La guerre et la construction de l’État en tant que crime organisé », revue Politix, 2000 (texte à lire en entier ici)
Pour anticiper l’avenir que nous réserve le système techno-industriel, il existe plusieurs écoles. Il y a celle des bisounours de l’écologie, toujours enclins à se laisser berner par de belles promesses d’un avenir radieux. L’éco-bisounours est souvent un bourgeois arrogant, peureux et lâche. Complètement accro au confort moderne, incapable de se remettre en question, il adopte volontier le mode de pensée binaire de la machine, évite les efforts et fuit les conflits. La perspective de perdre son smartphone, son abonnement Netflix et son accès à Internet le terrifie bien plus que de voir la forêt amazonienne transformée en parking et le Massif central dévasté par l’industrie du lithium. Il se convertit au véganisme après avoir été lobotomisé par les films de Cyril Dion, se vante d’avoir parcouru l’équivalent de la distance Terre-Lune en TGV, et connaît par cœur les 17 chapitres du Plan de transformation de l’économie française (PTEF) du Shift Project[1].
Heureusement pour nous autres humains en résistance contre l’éco-technocratie, une autre école de pensée existe, bien plus réaliste et pragmatique celle-là. Il s’agit de disséquer le système techno-industriel pour comprendre son fonctionnement, mettre en lumière ses forces et ses faiblesses pour, le moment venu, frapper là où ça fait mal. Nous avons compris, comme bien d’autres avant nous, qu’il n’y a aucun espoir de voir la condition humaine progresser en restant enfermé dans le cadre idéologique et matériel imposé par le système industriel. La lecture des deux livres présentés ci-après ne fait qu’appuyer ce point de vue. Ceux qui défendent la conservation du système techno-industriel sont des ennemis de la liberté, des fossoyeurs de la terre nourricière, des traîtres à leur espèce qui méritent une sanction à la hauteur de leur mépris pour la vie.
À gauche, le livre de Mathieu Rigouste. Il est essayiste et chercheur indépendant en sciences sociales. Il s’intéresse dans La Police du Futur (2022) à la « manière dont les États et les marchands de contrôle collaborent pour produire et transformer le pouvoir policier. » Cet ouvrage a un intérêt stratégique en ce qu’il permet de comprendre la dynamique évolutive du pouvoir policier, le rôle de l’État, de ses différents services, ainsi que les activités des industriels. L’un des principaux points à retenir selon moi, c’est que les crises et les grands événements internationaux (à l’image de la coupe du monde de football) alimentent le marché de la sécurité :
« L’accélération des crises politiques, économiques, sociales, sanitaires et climatiques constitue l’un des principaux terrains d’intensification de ces dynamiques sécuritaires et d’expansion du pouvoir policier. Mais elles sont aussi à l’œuvre à travers la succession des “grands projets” et des “grands événements” internationaux. »
La nation tout entière sera transformée en goulag 4.0 bien avant l’effondrement de l’État, avec la bénédiction de la plupart des éco-influenceurs qui, en appelant de leurs vœux une planification dite « écologique », préparent en réalité le terrain pour le techno-totalitarisme.
Interview de Rigouste par le média Konbini et aperçu de la technopolice du futur :
À droite, Ces guerres qui nous attendent (2022), un récit prospectiviste de la Red Team, une initiative « décidée à l’été 2019 par l’Agence de l’innovation de Défense (AID) avec l’Etat-major des armées (EMA), la Direction générale de l’armement (DGA) et la Direction générale des relations internationales et de la stratégie (DGRIS) dans le cadre du Document d’orientation de l’innovation de Défense. » Cet ouvrage résulte d’une collaboration entre le ministère des Armées et l’Université Paris Sciences et Lettres (regroupant notamment les Mines, Normale sup, le Collège de France, le CNRS, l’INRIA et 140 laboratoires scientifiques). Scientifiques, militaires et écrivains de science-fiction ont travaillé main dans la main pour élaborer de futurs scénarios de guerres et « imaginer les menaces pouvant directement mettre en danger la France et ses intérêts. » Cette étude « doit notamment permettre d’anticiper les aspects technologiques, économiques, sociétaux et environnementaux de l’avenir qui pourraient engendrer des potentiels de conflictualités à horizon 2030-2060. » (À noter que seule la partie déclassifiée de ce travail a été rendue publique).
Alors, quoi de beau au programme ? Ces scénarios décrivent un monde à la Mad Max où nationalisme, terrorisme et piraterie prospèrent. Le puçage individuel est rendu obligatoire et les mondes virtuels se généralisent. Biotechnologies et nanotechnologies ravagent les écosystèmes et sont utilisées pour la « guerre écosystémique ». La multiplication des implants neuronaux, du type de ceux développés par Elon Musk (Neuralink), permet de prendre le contrôle d’êtres humains. L’extraction de pétrole se porte à merveille, la conquête spatiale est relancée pour extraire les métaux des astéroïdes, et la course à l’armement bat son plein – sous-marins furtifs, canons électromagnétique « railgun », drones, robots, armes biologiques, etc. –, le tout beau milieu du chaos climatique et des migrations de réfugiés.
Quelques illustrations produites par la Red Team.
Le site de la Red Team : https://redteamdefense.org/
Le résumé du livre : https://www.cairn.info/revue-defense-nationale-2022-5-page-132.htm
Comme vous pouvez le constater, la réalité se situe à des années-lumière des utopies grotesques racontées dans le PTEF du Shift Project ainsi que dans « La vision pour les mondes de demain » émanant des ahuris de chez Greenpeace qui veulent mettre « la technologie au service des humains » et « renforcer » le rôle des sciences[2]. Les mots « géoingénierie », « nanotechnologie » et « biotechnologie » n’apparaissent à aucun moment dans ces deux rapports, pas plus que le terme de « convergence NBIC[3] », ce qui montre à quel point les auteurs cherchent à remanier la réalité – ou à en dissimuler des pans entiers – pour imaginer un futur qui n’a aucune chance d’advenir. Alors que l’habitabilité de la planète est menacée par le système technologique, persister dans un tel aveuglement c’est faire preuve d’une irresponsabilité folle.
Pour terminer, à titre de comparaison, je vous propose de jeter un oeil à quelques illustrations tirées du PTEF du Shift Project censées montrer l’avenir « après la transformation ». Comme par magie, la guerre et la police ont disparu, biotechologies et nanotechnologies sont absentes du scénario. Smartphones, objets connectés, drones et robots, de plus en plus nombreux dans le quotidien d’un Français en 2023, se sont soudainement volatilisés du paysage.
-
Le site du PTEF : https://ilnousfautunplan.fr/ ↑
-
https://www.greenpeace.fr/une-vision-pour-les-mondes-de-demain/ ↑
-
La convergence NBIC (Nanotechnologies, Biotechnologies, sciences Informatiques et Cognitives) est une révolution industrielle majeure en cours qui risque de porter le coup de grâce à la biosphère. Lire ce dossier pour en savoir plus : https://greenwashingeconomy.com/convergence-nbic-domination-totale-nature-par-technologie/ ↑