Blog Image

Géopolitique : l’écologie et le climat, les États s’en moquent

« Qu’il s’agisse de sport, de commerce ou de diplomatie, nous ne sommes plus dans un monde clairement unipolaire ou clairement bipolaire, mais dans un monde multipolaire, où un nombre croissant de pays jouent des coudes pour se tailler une place. »

– Ravi Agrawal, Foreign Policy, 12 janvier 2023

Si comme moi vous avez du retard sur l’actualité géopolitique, la lecture du dernier hors-série de Courrier international peut faire office de séance de rattrapage. Après m’être farci les 73 pages du magazine (recension des informations principales avec mes commentaires dans la suite de ce texte), j’en tire au moins quatre leçons importantes pour cesser de se faire berner par les marchands d’utopie verte :

  • Les énergies fossiles continueront d’être extraites et brûlées, les polluants chimiques continueront d’être rejetés dans la nature et d’intoxiquer les êtres vivants (y compris nous), les machines continueront d’éventrer la terre et le béton de la recouvrir – le carnage se poursuivra tant que le système industriel ne sera pas arrêté. Il ne peut en être autrement.
  • La seule chose qui est en train de s’effondrer, hormis la biodiversité et la stabilité climatique, c’est la domination des États occidentaux sur le reste du monde. Il n’y aucun effondrement brutal en vue de la civilisation industrielle globalisée à court-moyen terme.
  • En lisant les articles de la presse non occidentale, on constate que les élites russes, chinoises, turques, sud-africaines, indiennes ou polonaises sont tout aussi cinglées et avides de pouvoir que les élites occidentales – aucun État n’hésiterait à entrer en guerre ou à massacrer sa population si sa survie venait à être menacée par un ennemi extérieur ou intérieur.
  • L’évolution de la situation géopolitique semble appuyer la théorie des systèmes autopropagateurs (SAP) élaborée par le mathématicien Theodore Kaczynski dans son livre Révolution Anti-Tech[1]. Dans le cadre de la course à la puissance rythmant les relations internationales, les SAP – firmes, États, partis politiques, groupes armés, syndicats, etc. – doivent, pour assurer leur survie à court terme, accroître leur pouvoir en utilisant la technologie sans se soucier des conséquences sociales et écologiques à long terme.

Les utopies d’un monde meilleur, que les imposteurs de la planification écologique essayent de nous refourguer à coups de tour de passe-passe marketing, n’ont aucune chance d’advenir. Peu importe les sacrifices qui seront imposés à la population, la situation sociale va continuer à se dégrader, la guerre va proliférer, les énergies fossiles ne seront pas abandonnées et la destruction de la nature va s’accentuer.

Pour illustrer la naïveté confondante des principaux influenceurs de l’écologie en France, prenons un exemple de leçon de géopolitique proposée par Thomas Wagner (alias Bon Pote). Au début du conflit ukrainien, notre ami s’est empressé de partager sur les réseaux plusieurs affiches de propagande du groupe des députés écologistes européens. Derrière leurs discours mielleux, les Verts sont tout aussi opportunistes que les autres politiciens. Ils tentent d’exploiter les massacres en Ukraine pour gagner en influence et accroître leur pouvoir[2]. La première affiche laisse croire qu’en isolant nos maisons, nous allons « isoler » Poutine[3]. Autrement dit, nous aurions, en tant que consommateurs sur un marché mondial aux mains de puissants États et de firmes gigantesques, le pouvoir d’arrêter ou au moins de gêner un tyran qui envahit un pays à l’autre bout de l’Europe. Du grand n’importe quoi, évidemment. Bon Pote se dit « choqué » qu’aucun exécutif politique en France n’ait lancé de grand plan d’isolation des logements. Il suggère aussi que l’isolation permettra de « sortir de notre dépendance aux énergies fossiles ». Il suffit d’y croire, et la prophétie se réalisera. Ceux qui adoptent une analyse matérialiste ont compris depuis bien longtemps que l’État français a besoin des énergies fossiles pour assurer sa place dans le top 10 des grandes puissances mondiales. Même dans le cas extrême où le groupe Total Energies serait nationalisé, il ne cesserait pas d’extraire le pétrole indispensable à assurer la sécurité du territoire et les intérêts économiques français, à domicile comme à l’étranger.

Sur la seconde affiche partagée par Bon Pote, qui ne semble pas provenir de la même source, il est écrit « Combattez Poutine, Faites du vélo[4] ». Remarquez l’incroyable lucidité de l’analyse de Bon Pote :

« Cette image fait le tour des réseaux sociaux depuis ce matin.

Nous pouvons y ajouter :

– Mettez un pull et baissez le chauffage

– Prenez les transports en commun à la place de votre voiture à essence.

– Réduire sa dépendance énergétique et renforcer son indépendance alimentaire…

Combattre Poutine et réduire les chances qu’un psychopathe dans son genre envahisse un pays = réduire sa consommation énergétique = tendre vers la décroissance. Etonnant non ? »

La bêtise crasse et l’arrogance des influenceurs nous étonneront toujours, en effet. Faire croire qu’en boycottant le pétrole de Poutine, on va l’affaiblir, c’est littéralement se moquer du monde. La Russie a considérablement augmenté ses exportations de pétrole vers l’Inde depuis le début de la guerre, comme on peut le lire dans Foreign Policy :

« Avant que la Russie n’envahisse l’Ukraine, l’Inde n’importait que 0,2 % de son pétrole brut de Russie. Fin 2022, le pétrole russe – acheté avec une remise notable de 20 à 30 dollars par baril – représentait environ 33 % du total de ses importations. »

Depuis le temps que Bon Pote persiste à promouvoir une illusoire décarbonation de l’économie mondiale, ce malgré les critiques, on est en droit de se demander s’il ne trompe pas délibérément son audience pour conserver son autorité, son statut d’influenceur majeur du Mouvement Climat et sa confortable cagnotte mensuelle sur Tipeee.

Comme indiqué plus haut, vous retrouverez ci-après, en vrac, les principales informations à retenir du hors-série de Courrier international accompagnées de quelques commentaires.

Déclin de la domination américaine

  • Suite à l’invasion de l’Ukraine par la Russie, de nombreux pays ont refusé de s’aligner sur la doctrine occidentale pour isoler Poutine par des sanctions économiques. Certains pays considèrent que c’est le problème des Occidentaux, pas le leur. Les pétromonarchies du Golfe font de l’œil à Xi Jinpig et l’Arabie Saoudite a exprimé sa volonté de rejoindre le groupe des BRICS (Brésil, Russie, Inde, Chine, Afrique du Sud), une alliance de puissances émergentes qui représente 25 % du PIB mondial, 18 % du commerce international et 50 % de la croissance économique. Notons que l’Opep+ (qui inclut la Russie et l’Arabie Saoudite) a réduit sa production de pétrole contrairement aux exigences de Joe Biden qui avait rencontré en juillet dernier Mohammed ben Salmane pour lui demander d’augmenter la production pétrolière sur fond de guerre en Ukraine (on appelle ça se prendre un vent).

  • Le seul véritable « effondrement » qui a lieu est celui de la domination occidentale sur le monde (et on ne va pas s’en plaindre). La fin de la domination occidentale signifie un morcèlement de l’ordre mondial et donc un risque accru de conflits entre États. L’Europe, qui n’a pas beaucoup de ressources utiles au système technologique dans son sous-sol, est tiraillée entre les deux grandes puissances. D’un côté, les États-Unis lui vendent du gaz et de l’autre, la Chine prend des participations dans ses ports (le groupe Cosco a pris une participation dans le port de Hambourg en Allemagne récemment).

  • L’invasion de l’Ukraine n’est pas une surprise à la vue des activités russes en Afrique depuis au moins une décennie (le groupe Wagner opère dans plusieurs pays d’Afrique de l’Ouest, du Nord-Est et du Sud-Est ; la Russie mène une guerre d’influence dans le cyberespace pour créer de l’hostilité à l’égard de l’Occident ; etc.). D’autre part, l’écrivain russe en exil Viktor Erofeev écrit dans le Frankfurter Allgemeine Zeitung que la chasse aux opposants politiques menée par Poutine déstabilise l’État et implique de chercher un ennemi à l’extérieur pour unifier l’élite politique :

« La guerre contre l’Ukraine est une forme de caprice de tsar de la part de Poutine, qui a compris que la mobilisation souderait plus sûrement le pays qu’une modernisation à l’occidentale. » (Sauf que sans orgie consumériste/énergétique pour divertir les masses, les États occidentaux peinent à garder sous contrôle leurs populations, d’où un durcissement du pouvoir depuis plusieurs années).

  • On assiste à un rapprochement entre l’Inde et les États-Unis, les seconds cherchant à profiter de la dégradation des relations de la première avec la Chine (précisions plus loin). Selon Kurt Campbell, le principal conseiller de Joe Biden, c’est « la relation bilatérale la plus importante pour les États-Unis au XXIe siècle ». En pleine expansion, Air India a par exemple commandé 470 avions à Airbus et Boeing (« la troisième meilleure vente de tous les temps pour Boeing (prix exprimé en dollars), et sa deuxième en volume » selon The Hindu). Pendant ce temps-là, les experts de la décarbonation nous font croire que prendre le train plutôt que l’avion va « sauver la planète », alors qu’en fait, il s’agit juste de sauver le technocapitalisme européen.

  • Wagner, le groupe de mercenaires russes considéré comme une branche de la défense russe, tisse peu à peu sa toile en Afrique en chassant les Occidentaux. Les forces militaires françaises basées au Sahel, qui étaient sur place davantage pour protéger les intérêts économiques français que pour lutter contre le terrorisme islamiste, ont ainsi été expulsées du Mali puis du Burkina Faso. D’après le Mail & Guardian, Wagner s’allie en Afrique à d’autres groupes paramilitaires « pour des opérations d’exploitation minière et lors de guerres transfrontalières. » Signe du chaos qui règne au Sahel, l’État burkinabé a perdu le contrôle sur plus de la moitié de son territoire et on compte des millions de personnes déplacées à l’intérieur du pays.

  • D’après une diplomate européenne citée par le quotidien El País, « la stratégie de la Russie est claire. D’une part, elle se repositionne en Afrique en jouant sur le souvenir du soutien soviétique aux jeunes pays africains et obtient ainsi l’accès à d’importantes ressources naturelles ; d’autre part, face à l’isolement occidental qu’il subit en raison de l’invasion de l’Ukraine, Moscou utilise la diplomatie des céréales, la vente d’armes et propose son aide militaire pour conquérir des marchés et gagner des alliés. » Un article paru dans Deutsche Welle ajoute que le Kremlin serait également à la manœuvre pour jeter de l’huile sur le feu dans les Balkans afin de détourner l’attention des Européens du conflit ukrainien (via un réseau local « d’agents, de journalistes, de prétendues organisations non gouvernementales, de sites web, d’ambassades »).

L’avenir, c’est la guerre

  • Les armées chinoises et indiennes se disputent près de 3 500 kilomètres de frontière et se sont affrontées dans l’Himalaya l’année dernière, dans l’État de l’Arunachal Pradesh[5]. En 2020, un affrontement similaire avait fait 20 morts parmi les militaires indiens et au moins quatre parmi les soldats chinois selon France24[6].

  • Les États-Unis sont les « grands gagnants » de la guerre en Ukraine : ils renforcent considérablement leur influence en Europe ; après le sabotage des gazoducs Nordstream 1 et 2, l’Europe est contrainte d’acheter son gaz aux États-Unis ; la majorité des armes envoyées en Ukraine sont fabriquées par des industriels américains ; les États-Unis ont installé leur premier quartier général en Pologne et plus de 10 000 soldats américains sont stationnés sur le flan est de l’Europe ; le conflit ukrainien a renforcé l’OTAN.

  • L’hebdomadaire The Economist estime que nous sommes au « début d’une ère d’après la guerre froide, où l’ordre mondial façonné par les États-Unis pourrait être brutalement défait par la Russie et la Chine. » En effet, « l’armée chinoise est en pleine expansion : elle possède déjà la plus grande marine du monde, la troisième force aérienne, un large éventail de missiles et des moyens de se battre dans l’espace et le cyberespace. » Au niveau de son arsenal nucléaire, la Chine rattrape petit à petit la Russie et les États-Unis et pourrait détenir 1 500 ogives d’ici à 2035.

  • The Economist remarque également que « l’Iran continue d’accélérer l’enrichissement de son uranium, ce qui fait qu’il devient de plus en plus difficile pour Joe Biden de tenir sa promesse d’empêcher les mollahs de se doter d’armes nucléaires. »

  • Le Premier ministre japonais Fumio Kishida s’est engagé à doubler le budget militaire de son pays, tout comme le chancelier allemand (en Europe, les pays va-t’en guerre – la Pologne notamment – ont gagné en influence au sein de l’UE au détriment du couple franco-allemand jugé trop timoré). Le Japon a également rejoint l’Aukus, une « alliance tripartite contre l’expansionnisme chinois » établie en 2021 composée de l’Australie, du Royaume-Uni et des États-Unis. Cette alliance ambitionne de développer des technologies hypersoniques offensives et défensives, des technologies quantiques et des intelligences artificielles militaires, mais son objectif central est de fournir à l’Australie des sous-marins à propulsion nucléaire.

  • Des manœuvres militaires de grandes puissances ont lieu un peu partout dans le monde : les militaires chinois font des manœuvres autour de Taïwan et envoient des drones survoler ce territoire convoité par le pouvoir central (90 % des puces électroniques haut de gamme sont fabriquées à Taïwan) ; les marines russes, chinoises et sud-africaines font des manœuvres au large de Durban (Afrique du Sud) ; les forces navales de l’Aukus font quant à elles des manœuvres dans l’océan Indien.

  • Rappelons ici que Macron a décidé d’augmenter de 60 % le budget pour l’armée et les services de renseignement français sur la période 2024-2030[7].

Mais pas d’inquiétude, en isolant son logement et en roulant à bicyclette, le Français moyen a le pouvoir de contrôler les relations internationales, nous disent les décarboneurs !

Relocalisation des activités industrielles

  • Des facteurs géopolitiques et matériels incitent les industriels et les États à relocaliser certaines de leurs activités en Europe. Le Financial Times parle d’une volonté de « découplage » des économies américaines et chinoises. Joe Biden a mis en place des avantages fiscaux à hauteur de 430 milliards de dollars sur 10 ans pour privilégier le made in USA, ce qui incite par exemple Elon Musk, patron de Tesla, à recentrer ses investissements dans le pays de l’oncle Sam.

  • Pour remédier au morcèlement du monde en blocs antagonistes, le ministre de l’Économie allemande estime qu’il n’y a plus qu’une chose à faire : muscler la politique industrielle, c’est-à-dire « accélérer les délivrances de permis, et surtout desserrer les cordons de la bourse » selon le Frankfurter Allgemeine Zeitung (les élites françaises sont sur la même ligne). Le journal Le Parisien annonçait fin février que « la France va relocaliser sa production de poudre pour obus[8] » dans le contexte de la guerre en Ukraine. Avec la relocalisation d’activités industrielles en Europe, on peut s’attendre dans le futur à une accélération de l’artificialisation des terres et des pollutions. Quant à la diminution de l’interdépendance matérielle entre les différents acteurs (États, firmes, etc.) du système-monde technologique, elle pourrait accroître le risque de conflit armé entre grandes puissances (l’Ukraine n’est qu’une mise en bouche).

  • L’accélération de l’électrification d’un certain nombre d’activités dépendantes des énergies fossiles et le rationnement énergétique, que des imposteurs vendent sous le nom trompeur de « transition écologique/énergétique/carbone » ou de « décroissance planifiée », constituent en réalité une stratégie adaptative au contexte géopolitique changeant dans le but de réduire les risques pour les États et les industriels occidentaux (l’écologie et le climat entrent dans l’équation seulement pour obtenir le consentement de l’opinion). De plus, la situation géopolitique se dégradant, il est fort probable que la surveillance et la répression des mouvements sociaux/écolos vont s’accentuer un peu partout au nom de la « sécurité nationale ».

  • On peut déduire assez logiquement de tout ce qui précède qu’« accélérer l’électrification de nos pratiques » en France, ou encore la « sobriété plus contrainte », « renforcée », c’est-à-dire « le rationnement » et l’entrée en « économies de guerre », ce beau projet voulu par l’exécutif français, a plus à voir avec le maintien coûte que coûte de l’ordre économique, technologique et social existant qu’avec une préoccupation pour le bien-être de la population et le maintien de la vie sur Terre.


  1. https://www.editionslibre.org/produit/revolution-anti-technologie-pourquoi-et-comment-theodore-john-kaczynski/

  2. https://act.greens-efa.eu/ukraine

  3. https://www.linkedin.com/posts/bon-pote_isoler-poutine-isoler-les-maisons-activity-6928976595885953024-U_GV

  4. https://www.linkedin.com/posts/bon-pote_combattez-poutine-faites-du-v%C3%A9lo-cette-activity-6906280651104813056-lrYX?utm_source=share&utm_medium=member_desktop

  5. https://www.lemonde.fr/international/article/2022/12/13/nouvel-affrontement-entre-la-chine-et-l-inde-dans-l-himalaya_6154159_3210.html

  6. https://www.france24.com/fr/asie-pacifique/20221212-himalaya-des-militaires-chinois-et-indiens-bless%C3%A9s-sur-leur-fronti%C3%A8re-contest%C3%A9e

  7. https://www.nouvelobs.com/politique/20230120.OBS68546/emmanuel-macron-annonce-un-budget-en-hausse-de-60-pour-l-armee-et-les-renseignements.html

  8. https://www.leparisien.fr/economie/la-france-va-relocaliser-sa-production-de-poudre-pour-obus-22-02-2023-KZIT5UUHLREAZEZSZIOFMNHEH4.php

Print Friendly, PDF & Email