Biomimétisme, s’inspirer de la nature pour mieux la détruire
Avec le biomimétisme – parfois désigné par la bio-inspiration ou la biomimétique -, les entreprises s’inspirent de la nature dans leur processus d’innovation ce qui réduirait en théorie leur impact sur l’environnement. L’économie au sein de la civilisation industrielle pourrait fonctionner à la manière d’un écosystème naturel, les avancées technologiques permettraient aux industriels de réduire la production de déchets tout au long du cycle de vie des produits. Le concept va même plus loin, les déchets produits par les uns deviendraient pour d’autres des ressources. Tout cela reste bien sûr purement théorique. Par bien des aspects, le biomimétisme se rapproche de l’économie circulaire et des multiples autres concepts sortis de l’imagination débordante de nos amis entrepreneurs gravitant dans la galaxie du développement durable.
Si le biomimétisme connaît un succès grandissant dans la sphère entrepreneuriale, c’est qu’il ne remet pas du tout en cause la croissance économique ni la dictature de la rentabilité. C’est même tout le contraire. Il s’agit de créer de nouveaux marchés, de tracer de nouvelles voies pour la croissance, il n’y a pas le début du commencement d’une réflexion sur un nouveau modèle de société. L’idée générale reste encore et toujours la même : faire appel au « génie humain », à la science et à la technologie pour inventer un modèle de développement durable.
Alors qu’il existe de multiples sociétés humaines parmi les peuples autochtones ayant traversé les millénaires sans dégrader leur environnement, alors que les réponses évidentes au désastre écologique et aux inégalités croissantes se trouvent sous nos yeux, les élites scientifiques, économiques et politiques persistent à croire que les solutions se trouvent dans le progrès technique.
La définition officielle du biomimétisme
Pour promouvoir de nouvelles idées défendues par de puissants intérêts économiques et les imposer dans la sphère publique, des structures émergent rapidement pour assurer le lobbying. Dans le biomimétisme, l’association CEEBIOS – Centre Européen d’Excellence et Biomimétisme de Senlis – semble avoir endossé ce rôle. Cette dernière « accélère la transition sociétale par le biomimétisme en fédérant un réseau d’acteurs experts et en développant les ressources indispensables à l’appropriation de la démarche par les secteurs académiques, institutionnels et privés. »
L’association a été mandatée par le Ministère de la Transition Ecologique et Solidaire pour réaliser un rapport sur l’état des lieux du biomimétisme en France. Elle était aussi présente en tant qu’exposant et partenaire du salon biomim’expo 2019 présenté plus loin dans l’article.
Selon le CEEBIOS :
« Le biomimétisme représente une opportunité inédite d’innovation responsable : s’inspirer du vivant et tirer parti des solutions et inventions qui y sont produites, éprouvées par 3.8 milliards d’années d’évolution. En prenant les systèmes biologiques comme modèle, il devient possible de réconcilier les activités industrielles et le développement économique avec la préservation de l’environnement, des ressources et de la biodiversité. »
Alors que l’IPBES (Plateforme intergouvernementale sur la biodiversité et les services écosystémiques) indique dans son rapport majeur publié en 2019 que « l’innovation technologique » fait partie du problème, le CEEBIOS affirme le contraire.
Les hypothétiques bénéfices du biomimétisme reposent sur une croyance qui se heurte à la réalité. Selon la fable biomimétique, le système actuel pourrait évoluer étape par étape vers un idéal vertueux, vers une société éco-industrielle. Mais en grattant la surface, les belles promesses du biomimétisme s’étiolent rapidement.
La propagande des médias
D’après Google Trends, le volume de recherches du mot clé « biomimétisme » est en hausse depuis quelques années, preuve que la propagande médiatique est à l’œuvre.
On trouve sur Google parmi les premiers résultats cet article du Nouvel Obs, le nez du TGV japonais – le Shinkansen – s’inspire du bec du martin pêcheur, des adhésifs ont été conçus en s’inspirant de la peau du gekko, des ingénieurs d’Harvard construisent des robots-abeilles fonctionnant en essaim avec des applications allant de la cartographie aux repérages en zone difficile (on ne peut s’empêcher de penser au film Minority Report durant la scène où le personnage principal se fait traquer par une armée de drones miniatures), le meilleur pour la fin, un architecte a conçu un centre commercial au système d’aération inspiré d’une termitière. En effet, le changement de paradigme saute aux yeux.
Youmatter.world, la nouvelle version du site e-rse.net, s’intéresse aussi au biomimétisme. Dans une interview du CEEBIOS, le principal intérêt de la chose réside dans l’optimisation de la performance RSE de l’entreprise grâce à l’éco-conception. Inutile de rappeler que la RSE ou Responsabilité Sociale des Entreprises se résume à du marketing et de la communication afin de gagner des parts de marché et de conquérir les consommateurs soucieux bombardés de messages anxiogènes par les médias (changement climatique, écocide, effondrement, etc).
Cet article du journal Le Monde publié récemment présente une structure en bois bio-inspirée. Le modèle utilisé par l’architecte ? Le squelette d’un oursin. Fantastique. Nous avons droit au baratin habituel sur le biomimétisme clé de voûte de la ville « durable » :
« Prendre les êtres vivants comme modèles ? Oui, car le vivant doit sans cesse s’adapter aux fluctuations de son environnement. Pour survivre, il doit innover. »
Bien entendu, la question des ressources n’est jamais abordée, car pour construire une structure en bois monumentale de plusieurs dizaines ou centaines de tonnes, il faut à chaque fois raser une forêt entière puis la débiter en planches dans une scierie. Utiliser en masse du bois pour la construction conduit obligatoirement à une industrialisation de l’exploitation forestière avec toutes les conséquences que cela implique ; destruction de l’habitat de nombreuses espèces via la plantation en monoculture, anéantissement des systèmes racinaires par des engins forestiers pesant plusieurs tonnes, épandage de pesticides et d’engrais, destruction du système mycorhizien perturbant l’association symbiotique entre champignons et végétaux, etc.
Dernière chose assez extraordinaire que j’ai apprise récemment concernant la filière bois, personne ne connait aujourd’hui de manière précise les émissions de CO2 du secteur forestier. D’après les recherches de l’économiste John Talberth, ce dernier pourrait se classer parmi les 4 activités économiques les plus productrices d’émissions de CO2 dans le monde.
Nouveau concept marketing, nouveaux gourous
Parmi les apôtres du biomimétisme en Europe, on trouve l’entrepreneur belge Gunter Pauli également inventeur du concept de blue economy ou économie bleue. Il a même écrit un livre pour enfant histoire de conditionner dès le plus jeune âge les masses à ses idées grotesques. Un travail salué par le gouvernement chinois qui a choisi de mettre ce livre au programme d’enseignement des écoles du pays, une belle reconnaissance pour Gunter.
Interviewé par Usbek & Rica, il nous explique que la construction de panneaux solaires 2 en 1 – photovoltaïque et thermique –, le recyclage du marc de café et rouler à vélo vont sauver le monde. Il fait aussi le pari que le sauvetage de la planète repose sur les seules épaules des entrepreneurs oeuvrant pour le bien commun.
A la question «Miser sur les bonnes volontés et espérer qu’elles entraînent les autres, c’est un peu léger face à l’urgence non ?»
Il répond : « Ce n’est pas très rapide mais je ne connais pas d’autre option. D’après mes 40 années d’expérience, la seule voie où je constate qu’on peut aller vite, c’est avec les entrepreneurs, à condition qu’ils ne fassent pas d’excès avec leurs modèles d’affaires…»
Il faut quand même en tenir une belle couche pour accorder une quelconque crédibilité à un type qui après 40 années d’expérience arrive à cette conclusion.
De nombreuses autres inepties parsèment son discours. Ainsi, Gunter Pauli met l’accent sur la valeur plutôt que sur le volume, sur la relocalisation de nos économies, le bien commun et critique certains aspects de la globalisation – « toujours tâcher de trouver le prix le moins cher, avoir des économies d’échelle, échanger à une échelle mondiale » – mais y trouve tout de même du positif. VIsiblement en tournée promo dans les médias mainstream pour son dernier bouquin, il va même jusqu’à dire « Soyons clair. Je ne suis pas contre la globalisation. »
Gunter Pauli ne trouve rien d’absurde à la production en masse de café – une drogue légale destinée à doper dans les pays industrialisés la productivité des travailleurs – à des milliers de kilomètres du lieu où se trouve le consommateur final, ni aux liens de l’agriculture exportatrice avec la déforestation, il ne voit pas où est le problème dans l’exploitation d’une main d’œuvre servile sur place qui aurait tout intérêt à développer une agriculture de subsistance soutenable pour s’affranchir du diktat des marchés.
Gunter Pauli veut optimiser la valeur produite à l’échelle locale sur le lieu de production du café en réutilisant les grains de café (cascara) et sur le lieu de consommation en recyclant le marc de café en engrais pour champignons. Très bien.
Imaginons maintenant un monde où 100 % de la production mondiale de café soit réalisée selon les principes de l’économie bleue chère à Gunter Pauli. D’immenses surfaces seraient toujours accaparées dans des pays du Sud pour cultiver cette denrée avec les conséquences écologiques habituelles (menace pour la sécurité alimentaire, déforestation, pollution, etc). Dans les grandes exploitations, la récolte est réalisée comme pour les olives et le raisin avec une machine thermique secouant les arbres. D’autres méthodes exploitent la main d’œuvre locale pour garantir la qualité du produit. Les cerises fraîches sont ensuite acheminées par camion jusqu’au port maritime le plus proche pour être chargées sur un navire cargo. Quand ce dernier accoste en Europe, d’autres camions transportent la marchandise sur le lieu de transformation.
Cette chaîne logistique ne peut exister sans pétrole, les camions consomment du diesel et les porte-conteneurs du fioul lourd. L’acier entrant dans la fabrication des camions et des navires proviennent de mines comme celle de Carajas, la plus grande mine de fer au monde située au beau milieu de l’Amazonie brésilienne. L’industrie extractive compte parmi les plus polluantes de la planète, elle stérilise la terre, dilapide les ressources en eau, le minerais brut extrait est aussi transporté par camion hors de la mine pour être nettoyé et purifié. La matière première obtenue transite ensuite par camion ou navire jusqu’à un autre lieu de transformation, et ainsi de suite.
Avec ses 400 mètres de long, le Bougainville – plus grand porte-conteneur de la compagnie française CMA-CGM – pèse 52 000 tonnes à vide et consomme en navigation 330 tonnes de fioul par jour. A lui tout seul, un cargo de ce type emploie pour sa construction plusieurs milliers de tonnes d’acier. Pour faire tourner le commerce global en croissance constante, 28 000 navires de fret mesurant plus de 100 mètres sillonnent les océans.
On pourrait aussi parler des infrastructures (routes, centrales énergétiques, lignes à haute tension, etc). Forêts et terres arables finissent sous le béton et l’acier, l’expansion de la civilisation industrielle se fait aux dépens de tout ce qui est vivant sur cette planète. Résultat, en Europe il n’existe aucune zone située à moins de 10 km d’une route ou d’une voie ferrée et 50 % du continent se situe à une distance égale ou inférieure à 1,5 km d’une infrastructure de transport. C’est un cauchemar pour les animaux sauvages et les écosystèmes pourtant encensés par Gunter Pauli et les adeptes du biomimétisme.
En France, nous avons la malchance d’avoir un autre gourou, Idriss Aberkane. Il est « enseignant, conférencier et essayiste français » d’après Wikipédia. Cet ardent défenseur de la science et du technologisme croit en l’idée stupide d’une transition vers une économie de la connaissance reposant entre autres sur le biomimétisme.
Une bonne analyse de son cas a déjà été publiée par la revue Le Partage.
Un autre article publié par le journaliste et écrivain Chris Hedges qui décrit avec une grande justesse le problème des idées défendues par Idriss Aberkane :
« Sagesse n’est pas connaissance. La connaissance relève du particulier et du concret. La connaissance est le domaine de la science et de la technologie. La sagesse relève de la transcendance. La sagesse nous permet de voir et d’accepter la réalité, peu importe son âpreté. Ce n’est qu’à travers la sagesse que nous sommes capables de faire face au désordre et à l’absurdité de la vie. La sagesse relève du détachement. Une fois la sagesse atteinte, l’idée de progrès moral est oblitérée. La sagesse, à travers les âges, est une constante. Shakespeare surpassait-t-il Sophocle? Homère est-il inférieur à Dante? Le livre d’Ecclésiaste ne possède-t-il pas les mêmes puissants pouvoirs d’observation sur la vie que ce que Samuel Beckett nous offre? Les systèmes de pouvoir craignent, et cherchent à réduire au silence, ceux qui atteignent la sagesse. C’est là l’objet de la guerre que mènent les forces capitalistes contre l’art et les sciences humaines. La sagesse, parce qu’elle parvient à voir à travers le voile d’illusions, est une menace pour le pouvoir. Elle expose les mensonges et les idéologies que le pouvoir utilise pour maintenir ses privilèges et son idéologie pervertie du progrès.
La connaissance ne mène pas à la sagesse. La connaissance est le plus souvent un outil de répression. La connaissance, à travers la sélection minutieuse et la manipulation de faits, donne une fausse unité à la réalité. Elle crée une mémoire collective et une histoire fictives. Elle fabrique les concepts abstraits d’honneur, de gloire, d’héroïsme, de devoir et de destin qui renforcent le pouvoir de l’État, nourrissent la maladie du nationalisme et engendrent une obéissance aveugle au nom du patriotisme. Elle permet à l’être humain d’expliquer les avancées et les revers en matière de moralité et d’accomplissement humain, ainsi que les processus de naissance et de décomposition dans le monde naturel, comme faisant partie d’un vaste et supérieur mouvement vers l’avant, dans le temps. L’enthousiasme collectif pour les histoires nationales et personnelles fabriquées, qui est une forme d’arrogance, masque la réalité. Les mythes que nous créons, qui encouragent un espoir fictif et un faux sentiment de supériorité, sont des célébrations de nous-mêmes. Ce sont des simulacres de sagesse. Et ils nous maintiennent passifs.
La sagesse nous relie à des forces qui ne peuvent être mesurées empiriquement, et qui ne se confinent pas au monde rationnel. Être sage c’est rendre hommage à la beauté, à la vérité, à l’affliction, à la brièveté de la vie, à notre propre mortalité, à l’amour, à l’absurdité et au mystère de l’existence. C’est, pour faire court, honorer le sacré. Ceux qui restent prisonniers des dogmes perpétués par la technologie et la connaissance, qui croient en l’inéluctabilité du progrès humain, sont des idiots savants. »
La réalité sur le biomimétisme
Le biomimétisme n’a rien de nouveau, mais avec la tendance consumériste du « retour à la nature », le concept revient à la mode depuis quelques années. Je lisais déjà des articles encenseurs sur le biomimétisme et ses multiples applications dans le magazine Sciences et Vie Junior quand j’étais au collège, il y a de cela plus de 20 ans. Quelques années auparavant, quand j’étais encore un morveux incapable de nouer mes lacets, je portais des baskets équipées de velcros en plastique, une innovation inspirée par les graines de bardane – une plante sauvage – qui se fixent aux vêtements et aux poils grâce à de minuscules crochets. Le velcro a été inventé en 1948 par George de Mestral. Bref, rien de nouveau sous le soleil.
A la manière des industriels du textile et de la mode, les zélateurs du biomimétisme recyclent de vieilles recettes du passé. Ce n’est pas étonnant si les opportunistes de tout poil nous ressortent aujourd’hui l’innovation inspirée de la nature. Changement climatique et hécatombe dans le monde sauvage inquiètent les populations. Quoi de mieux qu’une novlangue débilitante à grands coups « d’innovation responsable », de « responsabilité sociétale », « d’énergie propre » et de « chimie verte » adressée aux contingents d’étudiants d’école de commerce souhaitant se lancer dans l’aventure startup « et en même temps » avoir un impact positif sur la société et sur l’environnement ? Quoi de plus rassurant pour le quidam moyen qu’un discours où la nature devient source d’inspiration pour le monde économique ? La mécanique s’apparente à une tentative pour replacer la nature au centre des préoccupations, c’est là toute l’arnaque du biomimétisme qui fait au contraire passer l’anthropocentrisme à une autre échelle.
Non seulement le biomimétisme existe depuis belle lurette, mais il est aussi anti-écologique au possible. Les matières premières et les énergies fossiles nécessaires à faire tourner l’ensemble du système économique sur lequel s’appuient les innovations « biomimétiques » sont encore et toujours puisées dans la croûte terrestre. Le biomimétisme contribue à renforcer le même système consumériste profondément inégalitaire et anti-démocratique de la civilisation industrielle. Les mini-drones abeilles ou le centre commercial cités plus haut en sont des exemples criants. De plus, l’ensemble de ces innovations couvrent des besoins qui ne sont en rien indispensables à notre existence. Mais peu importe, la quête de croissance, la dictature de la rentabilité priment sur la raison.
Le biomimétisme, c’est la quintessence du dogme utilitariste, la poursuite effrénée du viol de la nature au profit d’une classe dominante complètement aveuglée par son délire narcissique nous menant à la dévastation certaine de notre planète. Dans le discours des partisans de ce nouveau dogme, il n’y pas une seule once de respect pour le vivant. Au contraire, la raison invoquée pour imiter la nature, c’est l’efficacité. Mais les gains d’efficacité finissent toujours par être compensés par les effets rebonds dans une économie en croissance, un léger détail ignoré – volontairement ou non – par les apôtres du biomimétisme.
Le CEEBIOS parle du biomimétisme comme de « l’outil de la prochaine révolution industrielle ». Une 4ème Révolution Industrielle attendue comme le messie par le président du Forum Economique Mondial et les multinationales principales responsables du désastre écologique. Une révolution du capitalisme – actuellement en difficultés en raison d’une croissance mondiale sur le déclin – sur laquelle surfe d’autres entrepreneurs ultrariches dont Marc Benioff le fondateur de Salesforce ou encore Al Gore, cofondateur avec un ancien de Goldman Sachs du fonds d’investissement « durable » Generation Investment.
Il suffit de regarder les partenaires du CEEBIOS pour comprendre qui se cache réellement derrière ce nouvel engouement soudain de la sphère médiatique pour le biomimétisme.
On y trouve plusieurs entreprises du CAC 40, de grands groupes industriels ou du textile :
• AIR LIQUIDE (géant du gaz industriel )
• EIFFAGE (entreprise de travaux publics)
• FAURECIA (sous-traitant de l’industrie automobile)
• ENGIE (3ème groupe mondial de l’énergie)
• L’Oréal (proriété de la richissime famille Bettencourt)
• LVMH (propriété du milliardaire Bernard Arnault)
• Renault
• Saint Gobain
• Johnson & Johnson
• Décathlon
Comment imaginer que de telles entreprises puissent devenir écologiques ? Comme déjà évoqué plus haut, ce sont des multinationales dépendantes de chaînes de valeur planétaires. Leur hégémonie actuelle dépend de la consommation de ressources naturelles pillées à des milliers de kilomètres de leur siège social et transformées par des industries intermédiaires dans des pays à bas coûts aux normes environnementales inexistantes. Les matières premières, produits intermédiaires et produits finis parcourent des milliers de kilomètres à travers les océans dans les cales ou dans des containers chargés sur d’énormes navires cargo carburant au fioul lourd.
Eiffage utilise des quantités colossales de béton, un produit fini composé entre autres de gravier et de sable dont la demande mondiale a atteint près de 50 milliards de tonnes en 2018 selon les Nations Unies, avec des impacts écologiques majeurs sur les lits des rivières, les aquifères et les plages.
Qu’apporte au bien commun une entreprise comme L’Oréal prospérant sur l’objectification de la femme, sur la société du paraître et la consommation de masse ?
Quant au groupe LVMH, un des leaders mondiaux de l’industrie du luxe, il prospère sur le développement des inégalités en constante progression depuis plusieurs décennies dans le monde.
Biomim’expo, le salon éthique des éco-imbéciles bio-inspirés
Vous avez peut-être entendu parler du salon Produrable pour le développement durable, sachez que vous pourrez désormais vous rendre à l’événement majeur du biomimétisme en France, le salon Biomim’expo ! Quelle chance nous avons !
Sur le site de l’événement, on peut lire :
« Biomim’expo est un événement collégial, soutenu par un collectif privé et public.
En effet, parce que Biomimétisme, Innovation et croissance durable sont affaires d’intelligence collective, Biomim’expo, sous l’impulsion et le pilotage de NewCorp Conseil en partenariat avec le Ceebios est co-conçu et co-produit. »
Sur une autre page :
« Notre époque exige innovation et renversement de paradigme. Le biomimétisme, qui propose une approche nouvelle et régénérante, et qui dispose d’ores et déjà d’un réseaux d’acteurs innovants, motivés et passionnants, méritait son rendez-vous annuel. »
Eblouissant changement de paradigme, n’est-ce pas ?
Parmi les partenaires, on trouve certaines entreprises déjà citées plus haut (LVMH, Eiffage, Engie, Renault, L’Oréal, etc). Pour la caution écologique, les organisateurs du salon ont fait appel au WWF – votre expert conseil en greenwashing – qui fixe un tarif pour l’utilisation de son logo panda aux entreprises. Pour la vente de produits, le panda va même jusqu’à exiger un pourcentage sur vos ventes. L’ursidé est gourmand !
Grosse déception du côté des partenaires, examinons plutôt les exposants pour voir à quoi ressemble un entrepreneur bio-inspiré.
Big Bang Project
Un studio parisien de design industriel pour concevoir « des produits et des services de demain, la recherche et l’enseignement. »
Exemple de projets décrits sur le site :
« Swarm Xplorer, un satellite à moins de 1000 dollars fonctionnant en essaim pour le Big Data de l’espace »
« Prisme, un ensemble de dispositifs de réalité augmentée, pour de nouvelles expériences au quotidien. »
« Ido, un robot humanoïde d’assistance à la personne, capable de rendre de nombreux services au quotidien. »
Conquête spatiale, réalité augmentée et robot humanoïde sont bien évidemment les trois premières choses qui viennent instinctivement à l’esprit quand on évoque le biomimétisme.
LaVie
Un purificateur d’eau premium au nom ridicule sans consommable ni entretien qui purifie l’eau en 15 minutes. Une innovation primée au Consumer Electronics Show de Las Vegas, lieu de prédilection pour tous les activistes écolos de la planète ! Les consom’acteurs pourront acquérir cet objet bio-designé à un prix abordable situé entre 99 et 229 € selon les options.
UrbanLeaf
Une entreprise qui « conçoit des écosystèmes autonomes alliant aquaculture et hydroponie. En intérieur, en extérieur, au sol ou en toiture, il existe forcément un système aquaponique adapté à chacun, du mini jardin aquaponique d’intérieur, décoratif et ludique, jusqu’à la serre de production alimentaire de végétaux et poissons, innovante et fonctionnelle. »
Vous aussi, investissez dans un aquarium surmonté d’un pot de fleur pour sauver la planète.
ClimateCity
Une startup écolo pour « collecter des données climatiques entre 150 et 1500 mètres au dessus des villes grâce à des ballons captifs et à des drones et garantir pour la première fois une appréhension complète et permanente des phénomènes climatiques urbains.
Modéliser le climat urbain de manière opérationnelle (grâce à un algorithme spécifique) à moyen et long terme en s’appuyant sur ces données inédites et sur les données existantes pour la compréhension du climat urbain : les données satellitaires et « sol » issues de l’observation météorologique et climatique globale. »
Parmi les bénéfices cités par l’entreprise sur son site :
– « Optimiser les dépenses et créer de la richesse »
– « Identifier les sources de pollution » (bien sûr, nous n’avons aucune idée sur la provenance de la pollution atmosphérique)
– « Réorganiser la ville intelligente »
– « Inventer la ville durable » et « Augmenter l’attractivité de la ville »
– « Adapter la ville aux risques climatiques locaux (inondations, îlots de chaleurs, etc) »
On va pouvoir continuer à s’entasser par millions comme du bétail au milieu du béton mais avec le sourire puisque notre ville sera « durable » et « intelligente », un avenir radieux nous attend grâce au biomimétisme !
Art & Build
« Art & Build est né en 1989 de l’idée que l’acte de bâtir nécessite une attention égale entre créativité (art) et maîtrise technique (build), pour concevoir des lieux à vivre, respectueux de l’environnement, propices à l’épanouissement individuel et collectif.
[…]
En travaillant avec des universitaires, des industriels, des spécialistes des matériaux et des entrepreneurs, la recherche appliquée est rendue possible malgré les exigences du calendrier de construction et les barrières de la conformité. »
Le secteur de la construction artificialise 65 000 hectares de terres chaque année en France, soit un département tous les 8 ans. Ce secteur se développe grâce à une extermination méthodique des zones humides et de la biodiversité. Ce secteur produit – et de très loin – la majorité des déchets en Union Européenne.
Le cabinet d’architecture Art & Build a notamment conçu un immeuble de 40 000 m² de bureaux qui trônera dans le quartier du Parlement Européen à Strasbourg, un projet qui semble parfaitement en accord avec la préservation de la biodiversité quand on voit la politique anti-écologique menée par les gangsters technocrates siégeant dans les instances européennes qui s’engraissent sur le dos des peuples. Les architectes d’Art & Build conçoivent aussi des bâtiments en bois qui n’ont, comme expliqué plus haut, d’écologique que le discours marketing niaiseux de leurs promoteurs.
Au final, le biomimétisme puise son inspiration dans la nature pour mieux l’exploiter, donc la détruire. Il nous enfonce toujours plus loin dans la fiction de la civilisation industrielle. Il entretient le mythe du génie humain salvateur, de l’homme qui, grâce à la science, acquière une totale maîtrise du vivant et de son environnement. Mais peut-on parler d’intelligence quand l’homme civilisé, après deux siècles de progrès technique effréné depuis la 1ère Révolution Industrielle, n’a toujours pas été capable d’inventer un mode de vie soutenable ? Pire, l’empreinte écologique n’a eu de cesse de croître au cours du XXème siècle dans les pays industrialisés et l’ampleur du carnage progresse chaque année dans les pays du Sud empruntant la même voie suicidaire.