À Bordeaux, Darwin Ecosystème invente la ville durable
Co-fondateur de Darwin Ecosystème aux côtés de Philippe Barre, Jean-Marc Gancille a répondu à mes questions sur ce projet né en 2007 de la volonté des deux hommes de développer un modèle économique alternatif au coeur de Bordeaux.
Réhabilitation d’une friche militaire
Darwin en chiffres ça donne quoi ?
• Installé depuis 2012 sur une surface totale de 45 000 m2
• 25 millions d’euros d’investissement
• 180 entreprises installées
• 1000 à 1500 personnes fréquentent le site quotidiennement
• 200 évènements par an
• 300 délégations ont déjà visité les lieux
Autre caractéristique de ce projet innovant, le montant des subventions : « Nous avons bénéficié de subventions de la région, de la métropole bordelaise ou encore de l’ADEME pour soutenir des innovations écologiques mais en tout cela représente une somme inférieure à 5% de l’investissement total. Nous souhaitons préserver notre indépendance et nous considérons que les deniers publics sont plus utiles ailleurs. »
Doté d’une brasserie, de bureaux, d’un restaurant bio (le plus grand de France avec 12 000 couverts par mois), d’une épicerie, d’une agence d’évènementielle, Darwin ressemble un peu à un laboratoire pour inventer une ville plus durable où la rationalité économique n’aurait pas sa place. Jean-Marc Gancille insiste sur les 3 piliers de son projet : « Notre projet s’articule autour de trois composantes fondamentales :
• la coopération : entre individus, entre public et privé. Nous croyons en l’économie du partage et donc dans la mutualisation des projets.
• la transition écologique : nous tentons de réduire au maximum notre consommation en ressources et en énergie à Darwin via la production d’énergie renouvelable, la sobriété, la récupération, le compostage, le recyclage et la réutilisation.
• l’indépendance : les entrepreneurs à la base du projet ont créé un fond de dotation afin de financer et de soutenir les projets alternatifs dans le champ citoyen, sportif, culturel et même dans l’agriculture avec une ferme urbaine. »
Mettre l’accent sur la coopération, l’écologie et le militantisme
« Notre ambition, c’est de créer une autre ville. »
Darwin a construit sa notoriété sur le seul bouche à oreilles. Succès au rendez-vous puisque les locaux mis à disposition des entreprises sont tous occupés. « Nous hébergeons des bureaux d’études environnementaux, des producteurs de produits et services écolos, des urbanistes, des agences de communication, des architectes. Nous avons également une pépinière d’entreprises durables avec 25 jeunes pousses. »
Toutes les entreprises darwiniennes s’engagent à embrasser des valeurs communes : « Pour occuper Darwin, chaque entreprise doit accepter et véhiculer nos valeurs qui s’inscrivent dans une logique ouverte et collaborative. La confidentialité n’a pas sa place dans nos grands open space. Des efforts doivent être faits pour limiter l’empreinte carbone avec un effort sur le tri, les déplacements. Nous avons pour cela mis en place une plateforme numérique qui permet de vérifier, presque en temps réel, notre impact écologique. »
Les créateurs de Darwin mettent aussi en avant leurs prises de position et affichent clairement leur côté militant : « Nous sommes des entrepreneurs militants. L’enjeu, c’est de montrer que des alternatives viables économiquement existent. Cela nous est arrivé de refuser des partenariats avec certaines marques qui voulaient récupérer notre image, comme HSBC, Red Bull ou BMW. La banque était en plein scandale d’évasion fiscale et concernant les deux autres marques, nous ne souhaitions ni promouvoir la boisson énergétique ni l’automobile. Evidemment, nous ne sommes pas totalement fermés, nous analysons chaque proposition et tentons de trouver un équilibre. »
Inventer un modèle économique alternatif
Jean-Marc Gancille insiste beaucoup sur la mutualisation dans ses différents projets : « En mutualisant l’espace, les salles de réunion, les bureaux, les véhicules, les ressources, les compétences ou les services bureautiques nous suivons une logique écologique. Plusieurs associations y participent ainsi qu’une structure spécifique, la Conciergerie Solidaire. Ils organisent les services à destination des professionnels sur le site. »
Avec ce type de projets atypiques, on peut se poser des questions sur la situation comptable de Darwin : « Notre activité tertiaire fonctionne plutôt bien (location de locaux et coworking) et nous remboursons régulièrement nos prêts à ce niveau. C’est une autre histoire avec notre restaurant bio où nous mettons un peu de temps à trouver le point d’équilibre, avec 12 000 couverts par mois, c’est une machine complexe à piloter. Dans l’ensemble le projet Darwin est donc parfaitement viable mais nous devons cependant faire un effort sur nos charges de fonctionnement. »
Malgré le succès rencontré par Darwin et la demande forte d’autres territoires pour ce type de projet, ses fondateurs ne souhaitent pas lancer leur concept en franchise : « Nous n’avons pas vocation à faire de l’argent en déployant un modèle mais plutôt à servir d’inspiration à d’autres porteurs de projet qui l’adapteront en fonction de leurs besoins, de leurs valeurs, de leurs envies. » Le projet Darwin constitue donc une preuve tangible de l’existence d’alternatives à notre mode de vie actuel, trop gourmand en ressources.