Débats sur l’agriculture et l’éthique animale à l’Université de Strasbourg
Ce mercredi 18 novembre était organisée à l’Institut de Zoologie de Strasbourg une conférence sur l’agriculture et les problèmes éthiques suscités par l’élevage intensif. Intitulée « Agriculture : quel type d’élevage pour demain ? » Elle était animée par trois conférenciers présents pour répondre aux questions des étudiants et du public :
– Anne Vonesh, vice présidente du réseau agriculture de l’association Alsace Nature.
– Eric Mallet de la DRAAF, la direction régionale de l’alimentation, de l’agricutlure et de la forêt.
– Thierry Schweitzer, un éleveur porcin récompensé au Trophée Agricole Durable 2010.
Il s’agissait d’apporter des éléments de réponse à la problématique suivante soulevée par les étudiants : la croissance démographique en Afrique et en Asie va porter la porter la population mondiale à 9,5 milliards en 2050, vivant à 70% dans des villes avec les habitudes de consommation occidentales. Partant de ce constat et connaissant les effets négatifs de l’élevage à grande échelle, pouvons-nous continuer à produire la viande tel que nous le faisons actuellement ?
Notre modèle agricole en question
L’élevage extensif pratiqué aujourd’hui dans la plupart des pays occidentaux et en fort développement dans les pays émergents provoque des dégâts considérables sur notre environnement. Au niveau local, la concentration des animaux sur un espace réduit rejette des quantités conséquentes de déchets concentrés qui polluent les nappes phréatiques. Les exploitations familiales sont incapables de concurrencer d’énormes fermes industrielles où l’automatisation prend le dessus sur l’humain.
D’autre part, la nourriture des animaux, en grande partie à base de céréales pour accélérer leur prise de poids, augmente les émissions de gaz à effet de serre lors de la digestion. De plus, une grande partie des céréales cultivées pour alimenter les élevages européens sont des OGM massivement chargés en pesticides et importés d’Amérique du Sud.
L’impact au niveau global, si on a encore parfois du mal à le percevoir aujourd’hui, est pourtant réel. Et rien ne va s’arranger avec l’explosion démographique anticipée par l’ONU au cours des décennies à venir. Grande émettrice de gaz à effet de serre, l’agriculture intensive participe au réchauffement climatique et met en péril l’objectif de 2°C fixé par le GIEC pour limiter le coût des répercussions.
Ancien vétérinaire, Eric Mallet souligne un autre problème, plus insidieux celui-là. « Notre mode d’élevage actuel utilise abondamment médicaments et antibiotiques. Certaines souches de tuberculose sont aujourd’hui résistantes aux antibiotiques et d’autres maladies encore inconnues pourraient émerger au sein de la population, notamment à cause de la déforestation. Celle-ci pratiquée à grande échelle pour cultiver les céréales nécessaires aux animaux d’élevage met sous pression les écosystèmes et augmente la probabilité d’apparition de nouveaux virus ou bactéries.«
Le traitement réservé aux animaux, mépris de la vie et de la nature
Selon Thierry Schweitzer, « les animaux sont traités dans les exploitations industrielles comme des machines, de simples objets dont il faut extraire toujours plus de rendement. » Et cela ne s’arrête pas là puisqu’avec les avancées des biotechnologies les chercheurs peuvent sélectionner certains caractères génétiques et fabriquer des animaux qui grossissent plus rapidement par exemple. Le récent exemple du saumon transgénique dont la commercialisation vient d’être autorisée par la FDA (Food and Drug Administration) aux USA témoigne de ce « progrès ».
Dans le même registre, Anne Vonesh détaillait quelques techniques utilisées par les éleveurs industriels pour élever leurs bêtes : « On entasse les animaux dans des hangars à l’abris de la lumière pour limiter leurs déplacements et on chauffe à une température d’équilibre pour optimiser leur consommation de calories. Les animaux consomment ainsi moins de nourriture. » On se rend bien compte que le raisonnement derrière ces pratiques se base purement et simplement sur l’aspect économique. Qu’en est-il de l’impact sur le consommateur ? Il ne sait plus trop quoi penser et préfère parfois faire l’autruche plutôt que de perdre du temps et de l’énergie à enquêter pour faire le tri parmi l’offre et les innombrables labels. Anne Vonesh ajoute : « Il faut redonner confiance aux consommateurs qui subissent la désinformation du gouvernement et des lobbys de l’agroalimentaire. Prenez le Label Rouge par exemple, il est attribué uniquement en se basant sur l’aspect gustatif d’un produit et ne dépend pas des conditions d’élevage. »
Thierry Schweitzer quant à lui est issu d’une famille d’éleveurs et a tenu à conserver la paille dans les enclos de ses porcs alors qu’un grand nombre d’entre eux grandit à même le métal des caillebotis ailleurs en Europe. « Chez nous, les animaux ont une liberté de mouvement, ils ne sont pas mutilés (épointage des dents ou section de la queue), on a établi un cahier des charges précis avec les associations de protection des animaux, dont Mme Vonesh fait partie. »
Mais ce type d’élevage entraine bien entendu des surcoûts : « Nous avons un prix de revient bien supérieur. Au départ, nous avons pris un réel risque, à la manière d’un entrepreneur qui se lance sur un nouveau marché, nous avions des débouchés à trouver pour nos produits. C’est pour cela que je ne crois pas à une généralisation de notre modèle. Les consommateurs doivent apprendre à choisir la qualité avant la quantité. Manger moins de viande me paraît être la seule solution.«
Au niveau mondial, 300 millions de tonnes de viande ont été consommées en 2013, et au moment où j’écris ces lignes nous sommes à 256 millions depuis le 1er janvier. Toutefois, la quantité de viande consommée en Europe et en France notamment a tendance a baissé depuis quelques décennies. C’est le cas pour la viande de boeuf et le porc, la volaille a au contraire plus de succès aujourd’hui. Les alternatives pour consommer de la viande de qualité existent, Thierry Schweitzer en est la preuve. Il ne manque qu’un coup de pouce des consommateurs pour voir ce type d’élevage raisonné se multiplier.