Définition : Collapsologie, l’étude de l’effondrement
Depuis quelques années, une nouvelle discipline s’intéresse au possible effondrement de notre civilisation industrielle, c’est la collapsologie. Il ne s’agit pas de la fin du monde, mais plutôt de la fin d’un monde, d’un type de société basé sur une culture bien précise, une culture considérant les êtres vivants et la nature comme de vulgaires ressources à dilapider pour nourrir ses pulsions expansionnistes.
Pablo Servigne et Raphaël Stevens donnent leur définition dans leur ouvrage « Comment tout peut s’effondrer » :
La collapsologie est « l’exercice transdisciplinaire d’étude de l’effondrement de notre civilisation industrielle et de ce qui pourrait lui succéder, en s’appuyant sur les deux modes cognitifs que sont la raison et l’intuition et sur des travaux scientifiques reconnus » (Servigne & Stevens, 2015).
Selon Dennis Meadows, un des auteurs du rapport Meadows « Les Limites à la Croissance » commandé au MIT par le Club de Rome au début des années 1970, il est aujourd’hui trop tard pour le développement durable. Dans tous les cas, un développement soutenable n’existe pas au sein de notre civilisation industrielle. L’industrialisation des procédés de production, la division du travail, l’extraction de matières premières, leur acheminement, leur transformation, le tout associé à la constitution de grands centres urbains, tout cela repose entièrement sur les combustibles fossiles. Même si l’humanité « civilisée » avait mis en place un plan de secours il y a plusieurs décennies pour passer aux énergies renouvelables, rien n’indique que la civilisation industrielle puisse être sauvée.
Il existe un certain nombre d’indices révélateurs d’un possible basculement du système actuel : arrivée imminente du pic pétrolier (d’après certains il serait déjà derrière nous), déstabilisation majeure des écosystèmes mondiaux, risque financier, changement climatique, raréfaction de la ressource en eau potable, etc. Les collapsologues expliquent que plus on perpétuera le système, plus le basculement pourrait être violent.
Livres sur l’effondrement
Pour ma part, j’ai lu deux livres sur le sujet. Comment tout peut s’effondrer de Pablo Servigne et Raphaël Stevens ainsi que Les cinq stades de l’effondrement de Dmitry Orlov. Le premier constitue une bonne introduction au sujet mais on aurait aimé une étude plus approfondie des effondrements civilisationnels passés. Sur ce point, le livre Effondrement de Jared Diamond semble plus complet.
Plus dense, le livre d’Orlov explore bien plus les aspects sociologiques, politiques, économiques et culturels d’un effondrement. En revanche, soyez vigilant, car j’ai découvert après lecture en consultant le blog d’Orlov que celui-ci publiait des articles au contenu à caractère xénophobe, misogyne voire carrément raciste. Sa façon d’insister sur l’usure dans le livre et de s’étaler dessus durant d’interminables pages cache certainement de l’antisémitisme. De plus, il semblerait que ses articles soient traduits par la sphère francophone d’extrême droite. Etrangement, les journalistes et mêmes les collapsologues français se sont fait berner. Le russo-américain est régulièrement cité dans des conférences, il a eu le privilège d’être interviewé sur Arte, des blogs de qualité comme Les Crises et le site de l’Institut Momentum ont traduit ou écrit des articles de/sur Orlov.
Critique de la collapsologie
Toutes les civilisations finissent par s’effondrer, cela a toujours été le cas par le passé. Un chercheur anglais a récemment étudié une trentaine de civilisations disparues puis calculé leur espérance de vie moyenne. Celle-ci ne dépasse pas les 336 ans. Vu comme nous sommes partis, les chances sont minces pour la civilisation industrielle d’arriver à atteindre cette moyenne. Au rythme de destruction actuel, la planète sera transformée en désert sans vie bien avant.
Les collapsologues, écologistes, économistes ou politiques évoquent souvent la disparition de la civilisation industrielle comme une catastrophe à venir, c’est l’un des nombreux aspects exaspérants de leur discours. Or, la catastrophe, c’est la civilisation industrielle. Leur posture révèle un manque flagrant d’empathie pour les milliards d’êtres humains exploités à travers le monde, certains vivant un calvaire quotidien pour survivre, c’est oublier les dizaines de milliards d’animaux d’élevage entassés dans des exploitations industrielles, c’est aussi une vision complètement déconnectée du monde sauvage littéralement consumé par la civilisation.
Un autre aspect insupportable de certains apôtres de la collapsologie, c’est leur façon de nous vendre une possible maîtrise de la descente énergétique pour éviter le chaos. Si les Etats s’engageaient, il serait selon eux possible de garder le contrôle sur l’effondrement en démarrant une phase de lente décroissance de nos économies. Tout cela, bien sûr, est purement théorique. Si toutes les civilisations passées se sont effondrées, c’est qu’à la base, une civilisation, c’est un modèle de société insoutenable. Le déni et l’aveuglement mènent les élites à prendre les décisions les plus absurdes pour continuer à maintenir le système, peu importe les ravages écologiques. Le même scénario se reproduit aujourd’hui. Les scénarios du GIEC intègrent pour la plupart la géo-ingénierie pour capturer du CO2 de l’atmosphère et l’enfouir dans des couches géologiques profondes, la transition écologique entretient l’illusion de l’avènement d’une société éco-industrielle, les fabricants automobiles vont cesser de produire de petites voitures citadines et font du matraquage publicitaire pour vendre des SUV plus rentables, la financiarisation de la nature nous est présentée comme la solution pour sauver le monde sauvage, le gouvernement français coupe les vivres aux parcs naturels et jette les bases de leur privatisation, la forêt française s’industrialise, etc. Chaque décision prise par les élites dirigeantes est marquée du sceau du narcissisme systémique. Il s’agit de sauver un système mis en difficulté par une croissance mondiale atone. Toutes les mesures prises le sont avant tout dans l’intérêt des élites souhaitant préserver leurs privilèges.
Comme le disait très justement le linguiste spécialiste des médias et professeur au MIT Noam Chomsky dans cette interview, les institutions incitent les agents économiques – individus et entreprises – à des comportements sociopathes, la civilisation industrielle est complètement cinglée.