Intelligence végétale : faut-il repenser l’exploitation forestière?
Dans son livre La Vie Secrète des Arbres, l’ingénieur forestier Peter Wohlleben nous fait découvrir la forêt sous un autre jour et réussit à changer notre vision des arbres et du monde végétal. En apparence inertes, les plantes sont depuis longtemps considérées à tort comme des organismes primitifs sans intérêt. Pourtant, elles sont loin d’avoir révélées tous leurs secrets. Wohlleben défend également une sylviculture plus respectueuse des arbres et de l’écosystème forestier.
Les arbres nous ressemblent
Les arbres ont de nombreux points communs avec les humains et plus généralement avec le règne animal. D’après certains travaux scientifiques cités par Wohlleben, la frontière entre monde végétal et animal pourrait être remise en question.
En envoyant des messages chimiques par voie aérienne, les arbres annoncent à leurs congénères l’imminence d’une attaque d’insectes ou de champignons. Ils sont capables de déterminer précisément l’espèce assaillante pour y apporter la réponse chimique appropriée. Par l’intermédiaire des racines, les anciens de la forêt fournissent à leur progéniture les précieux nutriments qu’ils ne peuvent synthétiser en raison du manque de lumière sous les houppiers. Les arbres d’une même espèce veillent ainsi les uns sur les autres.
Les plantes perçoivent les sons et en émettent, elles stockent de l’information pour réagir plus efficacement lorsqu’un événement climatique ou une attaque de nuisibles se répète. Les extrémités de leurs racines seraient le centre névralgique, elles contiennent des cellules émettrices de signaux électriques similaires à ceux de notre cerveau.
Une vidéo d’une conférence TEDx de Stefano Mancuso, neurobiologiste :
L’importance des forêts pour réguler le climat
La forêt nous fournit gratuitement quantités de services écologiques dont nous n’avons pas idée. L’humus – le sol forestier fabriquée par la décomposition des feuilles et des matières organiques – possède une capacité d’absorption beaucoup plus importante que le sol des vastes terres agricoles. Lorsque l’orage frappe, les arbres dirigent via leurs branches et leur tronc d’énormes quantités d’eau vers le sol. Ainsi, le ruissellement de l’eau n’emporte pas la terre et l’érosion est limitée.
Les forêts jouent un rôle important de régulateur du climat, à la fois à l’échelle locale et au niveau global. L’humidité générée par les arbres abaisse la température ambiante en été et l’adoucit en hiver. Sans les forêts, la vapeur d’eau provenant de l’évaporation océanique s’arrêterait à une limite d’environ 600 km à l’intérieur des terres. Au-delà de cette frontière, la terre serait plus aride, voire totalement désertique. Grâce au phénomène de transpiration à l’oeuvre dans les frondaisons, ce sont 2500 m3 d’eau par km² de forêt relachés dans l’atmosphère. Cette humidité forme des nuages qui à leur tour arrosent les terres situées à plusieurs milliers de kilomètres des côtes. Le recul de ce phénomène est déjà observé en Amazonie où la déforestation côtière assèche la jungle dans l’intérieur des terres.
Au niveau global, les forêts agissent comme des puits de carbone en stockant le CO2 atmosphérique. Une fois retourné à l’état d’humus, le dioxyde de carbone reste emprisonné. Un long processus de transformation se déroulant sur plusieurs millions d’années modifie peu à peu les débris végétaux en charbon. Les arbres relâchent aussi dans l’air des terpènes pour se défendre des maladies et autres parasites. Des chercheurs ont découvert il y a peu que ces molécules terpéniques ont la particularité de condenser l’humidité entraînant la formation de nuages plus imposants. La probabilité de précipitations et la réflexion des rayons du Soleil sont accrus. Conséquence, le climat est plus frais localement.
Faire évoluer l’exploitation forestière
A la lumière des dernières découvertes sur le monde des arbres, l’ingénieur forestier Peter Wohlleben suggère de revoir le mode de fonctionnement de la sylviculture moderne. Les arbres sont plantés éloignés les uns des autres pour bénéficier d’un maximum de lumière et optimiser le taux de croissance. Or, plus un arbre pousse vite, moins son bois est dense avec pour effet d’entraver sa solidité. Les racines, siège de l’intelligence végétale, sont amputées lors de la plantation et les arbres sont alors incapables de créer les réseaux racinaires complexes d’une forêt primaire.
Wohlleben préconise également de remplacer les lourds engins forestiers qui abîment les racines et tassent le sol par le débardage à cheval, plus écologique. Une technique qui restera probablement marginale chez les sylviculteurs. Beaucoup de forestiers retirent aussi les troncs et les branches arrachés durant les tempêtes hivernales au lieu de les laisser se décomposer en humus. Conséquences, moins de biodiversité au niveau de la microfaune du sol et stockage de carbone.
Remarques sur le livre La Vie Secrète des Arbres de Peter Wohlleben
- Accessible au plus grand nombre, pas besoin d’être un botaniste pour comprendre
- Même si certains éléments du livre sont controversés et ne font pas l’unanimité au sein de la communauté scientifique, il a le mérite d’ouvrir le débat et de poser la question de la place du végétal dans nos vies
- Quelques lourdeurs dans la traduction de l’allemand
- Le papier utilisé pour le livre est issu de forêts labellisées PEFC, une certification dont la crédibilité a été ébranlée par une enquête de l’émission Cash Investigation. Les journalistes ont en effet réussi à faire certifier un parking de centre commercial et une centrale nucléaire.