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« La dévastation crée des opportunités » (par Carlton Brown)

Interview retranscrite de Carlton Brown, trader en matières premières, diffusée dans le documentaire canadien maintes fois primé The Corporation. Ce film sorti en 2003 a été réalisé par Jennifer Abbott et Mark Achbar, il est inspiré du livre The corporation, the pathological pursuit of profit and power (Les multinationales, la recherche pathologique du profit et du pouvoir) de Joel Bakan.


Documentaire disponible entier et en VOST sur Youtube.


Carlton Brown :

« Je vais être franc avec vous. Lors des événements du 11 septembre 2001, je ne savais pas que…je veux en parler parce que… Je ne veux pas en parler à la légère. C’est grave. C’était un acte terrifiant. C’était vraiment une chose horrible. Une des pires choses que je n’ai jamais vue. Mais je vais vous dire une chose. Et tous les traders qui n’étaient pas dans cet immeuble [le World Trade Center, NdT] vous le diront, ainsi que tous ceux qui achetaient et détenaient de l’or et de l’argent ; quand c’est arrivé, la première chose à laquelle on a pensé était : « De combien l’or a-t-il augmenté ? » C’est la première chose à laquelle j’ai pensé : « Les cours de l’or doivent exploser  ! »

Heureusement pour nous, tous nos clients avaient investi dans l’or. Donc quand les prix se sont élevés, ils ont tous multiplié par deux leur capital. Tout le monde a doublé sa fortune. C’était une bénédiction inattendue. Dévastateur, écrasant, bouleversant. Mais, d’un point de vue financier, pour mes clients qui étaient présent sur le marché, l’affaire s’est révélée profitable. Je ne cherchais pas à bénéficier de ce genre d’aide, mais c’est arrivé.

Quand les États-Unis ont bombardé l’Irak en 1991, le prix du pétrole est passé de 13 à 40 dollars le baril, bon sang ! On avait hâte que des bombes pleuvent sur Saddam Hussein. On était tout excités. On voulait que Saddam fasse tout ce qui était en son pouvoir pour résister ; par exemple mettre le feu à davantage de puits de pétrole, ce qui provoquerait une hausse supplémentaire des prix. Tous les courtiers le scandaient. Il n’y avait pas un seul courtier que je connaissais qui n’était pas enthousiaste au regard de la situation.

C’était un désastre, une catastrophe ; des bombardements, des guerres.

La dévastation crée des opportunités. »


Cette courte interview met en lumière la folie de la société techno-industrielle et révèle bien des choses sur la dynamique du capitalisme et les forces à l’oeuvre au sein d’un système prospérant symétriquement à l’anéantissement de ce monde. Que la destruction soit provoquée ou subie (catastrophes naturelles), les faits historiques montrent que des secteurs économiques en profitent toujours. C’est ce que démontre Naomi Klein dans son livre La stratégie du choc : la montée d’un capitalisme du désastre. Cette stratégie économique a été théorisée par des économistes néolibéraux comme Milton Friedman :

« Seule une crise – réelle ou supposée – peut produire des changements. Lorsqu’elle se produit, les mesures à prendre dépendent des idées alors en vigueur. Telle est, me semble-t-il, notre véritable fonction : trouver des solutions de rechange aux politiques existantes et les entretenir jusqu’à ce que des notions politiquement impossibles deviennent politiquement inévitables. »

Il est assez aisé de trouver des exemples très actuels de cette stratégie politique avec la pandémie de Covid-19. Il suffit de voir comment, cédant à la paranoïa – générée et entretenue encore aujourd’hui par les politiciens, les experts et les médias, alors que le virus s’est révélé bien moins létal qu’anticipé –, la population a accepté – et continue d’accepter – d’être traitée comme du bétail ; et comment elle acceptera certainement, sous prétexte de maîtriser la propagation du virus et au nom de la Sécurité, la mise en place d’un système de techno-surveillance et de contrôle dont auraient rêvé Hitler et Staline en leur temps. Le peuple allemand accueillait à bras ouverts son führer en 1933, les crétins digitaux font aujourd’hui de même avec le totalitarisme techno-industriel.

Du côté des ultrariches, les affaires sont florissantes. Un article de Reporterre publié le 2 mai 2020 titrait Durant la pandémie, la fortune des milliardaires étatsuniens a augmenté de 282 milliards de dollars. On peut y lire :

« Au 15 avril, la fortune de Jeff Bezos avait augmenté d’environ 25 milliards de dollars depuis le 1er janvier 2020. Cette hausse de richesse sans précédent est plus importante que le produit intérieur brut du Honduras, 23,9 milliards de dollars en 2018. »

Seulement, Naomi Klein a réussi l’exploit de contredire tout ce qu’elle défend dans son livre en affichant son soutien et en participant à la campagne du Green New Deal – une politique économique de relance pour divers secteurs industriels mettant à profit la crise climatique et visant également à instaurer un marché mondial du carbone. L’ensemble des défenseurs du « développement durable », de la « croissance verte », de la « transition énergétique », par exemple des gens comme l’économiste Pavan Sukhdev, ancien de la Deutsche Bank aujourd’hui président du WWF International, évoquent aussi d’ « importantes opportunités associées à la perte de biodiversité et à la dégradation des écosystèmes ».

S’il est aisé pour un écosocialiste de condamner ces propos, ils ont le mérite de mettre au grand jour la mécanique du système. De la petite TPE dispensant des cours de jardinage écologique au consultant spécialisé en « détox numérique » pour aider les camés aux écrans bleus à mieux contrôler leur consommation, en passant par la startup lançant une application pour aider les « consom’acteurs » dans le choix de leurs produits ; toutes ces niches sont autant d’opportunités naissant de la destruction du monde par ledit système. A terme, ces initiatives ne font que déplacer les problèmes et empirer la situation globale. Ironiquement, ces projets enjolivés par un beau vernis vert suivent exactement la même logique décrite par Carlton Brown dans son interview.

Bien évidemment, il ne s’agit pas de faire le procès des initiateurs de ces projets ou de les assimiler aux fêlés du monde de la finance. Nombre de ces « petits » entrepreneurs sont certainement de bonne foi et se persuadent d’incarner le changement. Mais, à un moment donné, il faut aussi se rendre à l’évidence : tout continue d’empirer pour la planète et pour ses habitants. Poursuivre dans une mauvaise direction pendant encore vingt ans se solderait par un désastre planétaire. L’objectif de cet article – et, dans une plus grande mesure, de ce blog – est de dénoncer le lavage de cerveau à grande échelle auquel ont contribué tous les discours sur la transition écologique. Dans la nouvelle équation née de cette propagande, le capitalisme techno-industriel et nos modes de vie sont pris pour acquis, leur remise en question hors de propos. Pourtant, c’est bien là que se situe le cœur du problème.

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