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L’allongement de la durée de vie ou la fiction du progrès

Traduction d’un article d’Amanda Ruggeri sur BBC Future pointant la confusion entre espérance de vie et durée de vie. Contrairement à une croyance bien ancrée dans l’imaginaire collectif, les gens ne décédaient pas tous à 30 ans avant l’arrivée de la médecine moderne. Civilisation et progrès n’ont eu aucun impact sur la durée de vie d’Homo Sapiens en tant qu’espèce ; il y a toujours eu des anciens, tant dans les cultures civilisées que chez les cultures non-civilisées.


Les miracles de la médecine et de la nutrition modernes laissent facilement supposer que nous jouissons d’une vie plus longue qu’à aucun autre moment de l’histoire de l’humanité, mais nous ne sommes peut-être pas si exceptionnels que ça après tout.

Au cours des dernières décennies, l’espérance de vie a augmenté de façon spectaculaire dans le monde entier. Une personne née en 1960, la première année où les Nations unies ont commencé à récolter des données au niveau mondial, pouvait s’attendre à vivre jusqu’à 52,5 ans. Aujourd’hui, la moyenne est de 72 ans. Au Royaume-Uni, où les données sont comptabilisées depuis plus longtemps, cette tendance est encore plus marquée. En 1841, une petite fille pouvait s’attendre à vivre jusqu’à 42 ans et un garçon jusqu’à 40 ans. En 2016, une petite fille pouvait espérer atteindre 83 ans ; un garçon, 79 ans.

Ainsi, il semble naturel d’arriver à la conclusion suivante : les miracles de la médecine moderne et les initiatives de santé publique nous ont permis de vivre plus longtemps que jamais, à tel point que nous pourrions, en fait, être à court d’innovations pour prolonger davantage la durée de vie. En septembre 2018, l’Office for National Statistics a confirmé, au Royaume-Uni du moins, que l’espérance de vie a cessé d’augmenter. Au-delà du Royaume-Uni, ces gains ralentissent dans le monde entier.

Cette croyance selon laquelle notre espèce aurait atteint le sommet de la longévité est également renforcée par certains mythes sur nos ancêtres : il est courant de penser que les anciens Grecs ou Romains auraient été sidérés de voir quelqu’un dépasser les 50 ou 60 ans, par exemple.

En fait, si les progrès de la médecine ont amélioré de nombreux aspects du système de santé, l’assertion selon laquelle la durée de vie humaine a augmenté de façon spectaculaire au cours des siècles ou des millénaires s’avère trompeuse.

L’espérance de vie globale, qui est la statistique reflétée dans des rapports comme ceux ci-dessus, n’a pas tant augmenté parce que nous vivons beaucoup plus longtemps qu’auparavant, en tant qu’espèce. L’espérance de vie a augmenté parce qu’un plus grand nombre d’entre nous, en tant qu’individus, parviennent à un âge avancé.

« Il existe une distinction fondamentale entre l’espérance de vie et la durée de vie », déclare l’historien Walter Scheidel, de l’université de Stanford, éminent spécialiste de la démographie de la Rome antique. « À ma connaissance, la durée de vie des humains – par opposition à l’espérance de vie, qui est une construction statistique – n’a quasiment pas changé. »

L’espérance de vie est une moyenne. Si vous avez deux enfants, que le premier meurt avant son premier anniversaire et l’autre vit jusqu’à 70 ans, leur espérance de vie moyenne s’élève à 35 ans.

C’est mathématiquement correct – et cela nous renseigne certainement sur les circonstances dans lesquelles les enfants ont été élevés. Mais cela ne nous donne pas une image complète. Cela devient aussi particulièrement problématique lorsque l’on considère les époques ou les régions où la mortalité infantile est élevée. La plus grande partie de l’histoire de l’humanité a été marquée par de faibles taux de survie des enfants, et cela continue dans divers pays aujourd’hui.

À cause de cette moyenne statistique, on a coutume de dire, par exemple, que les Grecs et les Romains de l’Antiquité ne vivaient que jusqu’à 30 ou 35 ans. Mais était-ce vraiment le cas pour les personnes qui ont survécu à la période fragile de l’enfance, et cela signifiait-il qu’un homme de 35 ans était vraiment considéré comme « vieux » ?

Associer la trentaine à la décrépitude, ce n’est pas ce qui ressort chez les écrivains et les politiciens de l’Antiquité. Au début du 7e siècle avant J.-C., le poète grec Hesiod a écrit qu’un homme devrait se marier « quand il n’a pas beaucoup moins de 30 ans, et pas beaucoup plus ». Entre-temps, le « cursus honorum » de la Rome antique – le parcours constitué de différentes fonctions politiques entrepris par un jeune homme ambitieux – ne permettait même pas à un jeune homme de se présenter à sa première fonction, celle de questeur, avant l’âge de 30 ans (sous l’empereur Auguste, cette fonction a été ramenée à 25 ans ; Auguste lui-même est mort à 75 ans). Pour être consul, il fallait avoir 43 ans, soit huit ans de plus que l’âge minimum de 35 ans fixé par les États-Unis pour exercer la présidence.

Au 1er siècle, Pline a consacré un chapitre entier de l’Histoire Naturelle aux personnes qui ont vécu le plus longtemps. Parmi eux, il cite le consul M. Valerius Corvinos (100 ans), la femme de Cicéron, Terentia (103), une femme nommée Clodia (115 ans et 15 enfants durant sa vie), et l’actrice Lucceia qui a joué sur scène à 100 ans.

Il y a aussi des inscriptions sur des pierres tombales et des épigrammes de tombes, comme celle-ci pour une femme morte à Alexandrie au IIIe siècle avant J.-C. « Elle avait 80 ans, mais elle était capable de tisser une trame délicate avec la navette [du métier à tisser] », lit-on admirablement dans l’épigramme.

Cependant, vieillir n’était pas plus facile à l’époque qu’il ne l’est aujourd’hui. « En réalité, la nature n’a pas accordé à l’homme une plus grande bénédiction que la brièveté de la vie », remarque Pline. « Les sens deviennent ternes, les membres tortueux, la vue, l’ouïe, les jambes, les dents et les organes de digestion, tous meurent avant nous… » Il ne peut penser qu’à une seule personne, un musicien qui a vécu jusqu’à 105 ans, qui a pu profiter d’une vieillesse agréablement saine. (Pline lui-même a atteint à peine la moitié de cet âge ; on pense qu’il est mort des gaz volcaniques lors de l’éruption du Vésuve, à l’âge de 56 ans).

Dans le monde antique, du moins, il semble que les gens étaient certainement capables de vivre aussi longtemps que nous aujourd’hui. Mais à quel point était-ce courant ?

L’Âge des Empires

En 1994, une étude a examiné tous les hommes inscrits dans le dictionnaire classique Oxford qui ont vécu dans la Grèce ou la Rome antiques. L’âge de leur décès a été comparé à celui des hommes figurant dans le plus récent Chambers Biographical Dictionary.

Sur un total de 397 anciens, 99 sont morts violemment par meurtre, suicide ou au combat. Sur les 298 restants, ceux qui sont nés avant 100 avant J.-C. ont vécu jusqu’à un âge médian de 72 ans. Ceux qui sont nés après 100 avant J.-C. ont vécu jusqu’à 66 ans (les auteurs pensent que l’utilisation de plomb dans les canalisations a pu conduire à ce raccourcissement apparent de la vie).

La médiane de ceux qui sont morts entre 1850 et 1949 ? Soixante et onze ans, soit un an de moins que leur cohorte d’avant 100 ans avant J.-C.

Bien sûr, cet échantillon a posé des problèmes évidents. L’un d’eux est qu’il était réservé aux hommes. Et tous les hommes étaient assez illustres pour qu’on se souvienne d’eux. Tout ce que nous pouvons vraiment en déduire, c’est que les hommes privilégiés et accomplis ont, en moyenne, atteint à peu près le même âge tout au long de l’histoire, à l’exception de ceux qui mouraient assassinés.

Malgré tout, dit Scheidel, on ne peut pas ignorer ce fait. « Cela implique qu’il y a dû y avoir des personnes qui n’étaient pas célèbres, beaucoup plus nombreuses, qui ont vécu encore plus longtemps », dit-il.

Tout le monde n’est pas d’accord. « Il y avait une énorme différence entre le mode de vie d’un pauvre et celui de l’élite romaine », explique Valentina Gazzaniga, historienne médicale à l’université La Sapienza de Rome. « Les conditions de vie, l’accès aux thérapies médicales, même simplement l’hygiène, sur tous ces aspects les élites bénéficiaient d’un meilleur traitement ».

En 2016, Gazzaniga a publié ses recherches sur plus de 2 000 squelettes de l’ancienne Rome, tous des ouvriers enterrés dans des fosses communes. L’âge moyen du décès était de 30 ans, et ce n’était pas une simple bizarrerie statistique : un grand nombre des squelettes avaient autour de cet âge. Nombre d’entre eux présentaient les effets d’un traumatisme dû au travail forcé, ainsi que des maladies que nous associerions à un âge plus avancé, comme l’arthrite.

Les hommes pouvaient avoir subi de nombreuses blessures dues au travail manuel ou au service militaire. Mais les femmes qui, il faut le noter, effectuaient également des travaux pénibles, notamment dans les champs, ne s’en sont guère mieux sorties. Tout au long de l’histoire, l’accouchement, souvent dans de mauvaises conditions d’hygiène, ne représente qu’une des raisons pour lesquelles les femmes ont été particulièrement exposées pendant leurs années de fécondité. Même la grossesse était dangereuse.

« Nous savons, par exemple, qu’une grossesse a des effets néfastes sur le système immunitaire, car une autre personne grandit en vous », explique Jane Humphries, historienne à l’université d’Oxford. « Vous avez alors tendance à être sensible à d’autres maladies. Ainsi, la tuberculose représente un vrai danger pour les femmes enceintes, et c’est une maladie avec un taux de mortalité plus élevé chez les femmes que chez les hommes. »

L’accouchement a également été aggravé par d’autres facteurs. « Les femmes étaient souvent moins nourries que les hommes », explique M. Gazzaniga. Cette malnutrition signifie que les jeunes filles avaient souvent un développement incomplet des os du bassin, ce qui augmentait alors le risque de travail difficile des enfants.

« L’espérance de vie des femmes romaines augmentait en fait avec le déclin de la fertilité », explique M. Gazzaniga. « Plus la population est fertile, plus l’espérance de vie des femmes est faible ».

Personnes manquantes

La difficulté pour connaître avec certitude combien de temps vivait notre prédécesseur moyen, qu’il soit de l’antiquité ou de la Préhistoire, tient au manque de données. Lorsqu’ils tentent par exemple de déterminer l’âge moyen de la mort des Romains de l’Antiquité, les anthropologues se fondent souvent sur les résultats des recensements de l’Égypte romaine. Mais comme ces papyri étaient utilisés pour collecter des impôts, il y a souvent eu sous-déclaration, c’est-à-dire que les données omettent de nombreux hommes, bébés et femmes.

Les inscriptions sur les pierres tombales, laissées par milliers par les Romains, forment une autre source évidente de données. Mais les nourrissons étaient rarement placés dans les tombes, les pauvres ne pouvaient pas se les payer et les corps des familles qui mouraient simultanément, par exemple lors d’une épidémie, étaient abandonnés.

Et même si ce n’était pas le cas, il y a un autre problème avec ces inscriptions.

« Il faut vivre dans un monde où l’on dispose d’une certaine quantité de documents qui permettent de savoir si quelqu’un a vécu jusqu’à 105 ou 110 ans, et cette collecte de données n’a commencé qu’assez récemment », souligne M. Scheidel. « Si quelqu’un vivait jusqu’à 111 ans, cette personne n’en savait peut-être rien. »

Au final, une grande partie de ce que nous pensons savoir sur l’espérance de vie statistique de la Rome antique provient de l’espérance de vie dans des sociétés comparables. Celles-ci révèlent que jusqu’à un tiers des nourrissons mouraient avant l’âge d’un an, et la moitié des enfants avant l’âge de 10 ans. Après cet âge, vos chances sont nettement meilleures. Si vous atteigniez 60 ans, vous pourriez vivre probablement jusqu’à 70 ans.

Dans l’ensemble, la durée de vie dans la Rome antique n’était probablement pas très différente de celle d’aujourd’hui. Elle était peut-être légèrement inférieure « parce que vous n’avez pas cette médecine invasive en fin de vie qui la prolonge légèrement, mais cette durée de vie n’est pas radicalement différente », explique M. Scheidel. « Vous pouvez avoir une espérance de vie moyenne extrêmement faible, par exemple à cause des femmes enceintes et des enfants qui meurent, et en même temps avoir des gens vivant jusqu’à 80 et 90 ans. Ils sont juste moins nombreux au final parce que beaucoup disparaissent en cours de route. »

Bien sûr, il ne faut pas dédaigner ces pertes. Si vous êtes un enfant, une femme en âge de procréer ou soumis aux travaux forcés, il vaut mieux choisir de vivre en 2018 plutôt qu’en l’an 18. Mais cela ne signifie pas pour autant que notre espérance de vie en tant qu’espèce s’allonge de manière significative.

Dans les archives

Plus tard dans l’histoire de l’humanité, la qualité des données s’améliore, en particulier lorsque les gouvernements commencent à tenir des registres précis des naissances, des mariages et des décès – au début, en particulier des nobles.

Ces registres montrent que la mortalité infantile est restée élevée. Mais si un homme atteint l’âge de 21 ans et ne meurt pas d’un accident, de violence ou d’empoisonnement, on peut s’attendre à ce qu’il vive presque aussi longtemps que les hommes d’aujourd’hui : de 1200 à 1745, les jeunes de 21 ans atteignaient un âge moyen compris entre 62 et 70 ans, sauf au 14e siècle où la peste bubonique a réduit l’espérance de vie à 45 ans.

Le fait d’avoir de l’argent ou du pouvoir a-t-il aidé ? Pas toujours. Une analyse portant sur quelques 115 000 nobles européens a révélé que les rois vivaient environ six ans de moins que les nobles situés aux étages inférieurs de la hiérarchie, comme les chevaliers. En examinant les registres paroissiaux des comtés, les historiens démographiques ont découvert qu’en Angleterre au XVIIe siècle, l’espérance de vie des villageois était plus longue que celle des nobles.

« Les familles aristocratiques d’Angleterre possédaient les moyens de s’assurer toutes sortes d’avantages matériels et de services personnels, mais l’espérance de vie à la naissance chez les aristocrates semble avoir été inférieure à celle de l’ensemble de la population jusqu’au XVIIIe siècle », écrit-il. Cela s’explique probablement par le fait que les membres de la famille royale avaient tendance à préférer vivre la plus grande partie de l’année dans les villes, où ils étaient exposés à un plus grand nombre de maladies.

Mais il est intéressant de noter que la révolution dans le domaine de la médecine et de la santé publique a aidé les élites avant le reste de la population. À la fin du XVIIe siècle, les nobles anglais qui atteignaient l’âge de 25 ans vivaient plus longtemps que leurs homologues non nobles, même s’ils continuaient à vivre dans les villes, plus risquées.

Certainement qu’à l’époque de Charles Dickens, marquée par la pollution, la vie était devenue malsaine et courte pour presque tout le monde ? Toujours pas. Comme l’écrivent les chercheurs Judith Rowbotham, aujourd’hui à l’université de Plymouth, et Paul Clayton, de l’université d’Oxford Brookes, « une fois passées les années dangereuses de l’enfance… l’espérance de vie au milieu de la période victorienne n’était pas très différente de celle d’aujourd’hui ». Une fille de cinq ans vivait jusqu’à 73 ans, un garçon jusqu’à 75 ans.

Non seulement ces chiffres sont comparables aux nôtres, mais ils sont peut-être même meilleurs. Les membres de la classe ouvrière d’aujourd’hui (une comparaison plus précise) vivent jusqu’à environ 72 ans pour les hommes et 76 ans pour les femmes.

« Cette absence relative de progrès est frappante, surtout si l’on considère les nombreux inconvénients environnementaux au milieu de l’ère victorienne et l’état des soins médicaux à une époque où les médicaments, les systèmes de dépistage et les techniques chirurgicales modernes n’étaient évidemment pas disponibles », écrivent Rowbotham et Clayton.

Ils affirment que si nous pensons que nous vivons plus longtemps que jamais aujourd’hui, c’est parce que nos données remontent aux alentours de 1900, ce que les cherchent désignent comme un « point de comparaison trompeur », car c’était une époque où l’alimentation s’est détériorée et où de nombreux hommes commencèrent à fumer.

Peuples pré-historiques

Et si nous remontons le temps à une époque où il n’existe aucune archive ?

Bien qu’il soit évidemment difficile de recueillir ce genre de données, les anthropologues ont essayé de combler ce manque en examinant les groupes de chasseurs-cueilleurs contemporains, tels que les Ache du Paraguay et les Hadza de Tanzanie. Ils ont découvert que si la probabilité de survie d’un nouveau-né jusqu’à l’âge de 15 ans variait entre 55 % pour un garçon Hadza et 71 % pour un garçon Ache, une fois qu’une personne avait survécu jusque-là, elle pouvait s’attendre à vivre entre 51 et 58 années. Selon les données fournies sur les chasseurs-cueilleurs des temps modernes qui n’ont pas accès aux médicaments ou à la nourriture modernes, Michael Gurven et Cristina Gomes écrivent ceci : « alors que l’espérance de vie moyenne à la naissance varie de 30 à 37 ans, les femmes qui survivent jusqu’à 45 ans peuvent s’attendre à vivre 20 à 22 ans de plus ». En d’autres termes, elles peuvent atteindre l’âge de 65 ou 67 ans.

Les archéologues Christine Cave et Marc Oxenham de l’Université Nationale Australienne ont récemment fait une découverte similaire. En examinant l’usure dentaire sur les squelettes d’Anglo-Saxons enterrés il y a environ 1 500 ans, ils ont découvert que sur 174 squelettes, la majorité appartenait à des personnes de moins de 65 ans. Mais il y avait aussi 16 personnes qui sont mortes entre 65 et 74 ans et neuf qui ont atteint au moins 75 ans.

Notre durée de vie maximale n’a peut-être pas beaucoup changé, voire pas du tout. Mais ce n’est pas pour autant qu’il faut renier les progrès extraordinaires des dernières décennies qui ont aidé tant de personnes à atteindre cette durée de vie maximale et à vivre en meilleure santé.

C’est peut-être la raison pour laquelle Mme Humphries n’hésite pas à répondre lorsqu’on lui demande à quelle époque passée ou présente elle préférerait vivre.

« Aujourd’hui, sans hésitation », dit-elle. « Je pense que la vie des femmes était autrefois plutôt désagréable, courte et brutale. »


Remarques

Il est regrettable que cet article démontant certains clichés en véhicule d’autres, comme celui d’une faiblesse présentée comme « naturelle » chez les femmes, ou l’idée que la condition des femmes ait toujours été exécrable au cours de l’histoire. C’est un point de vue ethnocentré ignorant la condition des femmes dans les innombrables cultures non-civilisées disparues ou existantes.

Quant à l’étude des peuples de chasseurs-cueilleurs contemporains, il est trompeur de pouvoir en déduire la durée de vie des chasseurs-cueilleurs ayant vécu il y a 10 000 ans, c’est-à-dire dans un environnement radicalement différent du nôtre. Aujourd’hui, peu importe l’endroit où l’on se trouve sur la planète, il est devenu impossible d’échapper aux pollutions industrielles empoisonnant l’eau, l’air et le sol. Et ce sont les populations vivant au contact de la nature et dépendantes d’écosystèmes en bonne santé qui en souffrent le plus. En outre, comme le précise l’anthropologue James C. Scott dans Homo Domesticus, l’environnement bactériologique actuel est bien plus dangereux, car les agents pathogènes s’attaquant à Homo Sapiens ont augmenté depuis l’avènement de la civilisation :

« On ne surestimera jamais assez l’importance de la sédentarité et de la concentration démographique qu’elle a entraînée. Cela signifie que presque toutes les maladies infectieuses dues à des micro-organismes spécifiquement adaptés à Homo sapiens ne sont apparues qu’au cours des derniers dix millénaires et nombre d’entre elles depuis seulement cinq mille ans. Elles constituent donc un “effet civilisationnel”, au sens fort du terme. Ces maladies historiquement inédites – choléra, variole, oreillons, rougeole, grippe, varicelle et peut-être aussi paludisme – n’ont émergé qu’avec les débuts de l’urbanisation et, comme nous allons le voir, de l’agriculture. « 

L’étude des peuples des chasseurs-cueilleurs contemporains comporte d’autres problèmes. Cités dans l’article, les Hadza ont perdu 90 % de leur territoire. Même chose pour les San qui ont vu la majorité de leurs territoires de chasse accaparés par les colons blancs, un peuple à qui l’on interdit en plus de chasser des animaux dont ils avaient l’habitude de se nourrir au profit des chasseurs de trophée occidentaux. La même histoire tragique se répète un peu partout sur la planète pour les peuples autochtones et leurs conditions de vie ne cessent de se dégrader en raison des pressions du développement. Les études portant sur des populations et des cultures en déclin sont par conséquent fortement biaisées.

Amanda Ruggeri

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