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Machine contre humain : le « grand remplacement », c’est pour quand ?

Elon Musk, l’un des techno-progressistes les plus en vue du moment, a récemment annoncé le développement d’un robot humanoïde dont un premier prototype est attendu courant de l’année (pour nos amis transhumanistes qui éprouvent parfois quelques difficultés à différencier le vivant de la machine, précisons que le robot se situe à droite sur l’image d’illustration ci-jointe). Elon Musk a auparvant déjà déclaré que « l’intelligence artificielle est bien plus dangereuse que les armes nucléaires[1] », ce qui ne l’empêche pas d’investir massivement dans l’IA pour devancer de potentiels acteurs malveillants dans le développement de cette technologie. C’est pourquoi il a fondé le laboratoire Open AI dont l’une des missions est la création d’une Intelligence Artificielle Générale (IAG) ou intelligence artificielle forte, une IA capable de surpasser les humains dans pratiquement tous les domaines[2]. Musk pense que les effets bénéfiques de la technologie peuvent l’emporter sur les effets négatifs. Quel gros naïf, cet Elon. S’il avait lu Jacques Ellul, il saurait que les deux types d’effets sont inséparables.

Quelques précisions sur ce nouveau robot Tesla données par le journal Les Echos :

« Il s’appelle Optimus, mais porte aussi un surnom plus explicite : « Tesla bot ». Il mesure 1,73 m, pèse 57 kg et se déplace à une vitesse pouvant atteindre 8 km/h, celle d’un être humain qui court à petites foulées. Autre particularité, il est capable de porter plus que son propre poids, jusqu’à 68 kg. Optimus est un humanoïde, un robot à forme humaine. Une tête, deux bras, deux jambes, des mains. Mais la ressemblance s’arrête là[3]. »

Quelle sera sa mission ?

« Elon Musk se veut particulièrement ambitieux en termes d’usages pour ce futur robot. Il devra être capable de réaliser, sans jamais faillir, des tâches répétitives, souvent ennuyeuses et parfois même dangereuses. Dans l’absolu, il pourrait aussi bien faire des courses qu’aider à porter des charges lourdes ou visser des boulons. Tout cela reste néanmoins de la science-fiction. S’il voit prochainement le jour, Optimus sera probablement exploité sur les lignes de production de Tesla, afin de ranger ou d’assembler certaines pièces[4]. »

D’après le Financial Times (FT), ce robot jouera le rôle d’un « copain génial à l’instar de C3PO ou R2D2, avec une personnalité qui évoluera en fonction de son propriétaire ». Celui-ci devrait également permettre de « résoudre le problème de la pénurie de main-d’œuvre dans l’économie. » C’est drôle, les chômeurs ne seraient pas du même avis. On aurait plutôt tendance à penser qu’il y a pénurie d’emplois et non de main-d’œuvre, et certains rapports estiment que cela ne va faire qu’empirer avec l’automatisation[5].

Toutefois, selon le FT, le grand remplacement n’est pas pour tout de suite. Les bullshit jobs ont encore un bel avenir dans une économie où l’être humain en est réduit à servir la machine. Et contrairement aux âneries qu’on peut lire parfois chez les technolâtres, les robots de ne sont pas prêts de remplacer les 160 millions d’enfants forcés à travailler[6] ni les 40 millions d’esclaves[7] dans le monde. L’ère des robots pourrait même assombrir cette situation sociale déjà catastrophique.

« Dans une nouvelle économie mue par des robots, la main-d’œuvre subalterne déplacée finirait par s’adapter aux services à dimension humaine, tels que les soins ou la thérapie, ou simplement la réalisation de vidéos TikTok. Il y aura toujours des emplois, mais des emplois différents et potentiellement plus futiles (Qui aurait pu imaginer le métier de Social Media Manager dans les années 1980 ?). Qui sera le serf le moins cher ? La question la plus importante concerne les ressources : comment les robots se disputeront-ils ces ressources avec leurs concurrents faits de chair et d’os. Ultime considération, qui sera le serf le moins cher à embaucher ? Il n’est pas du tout certain que ce soit le robot.

Selon toute probabilité, les robots mécanisés d’Elon seront fabriqués avec des métaux et des matières premières rares. Ils sortiront d’une chaîne de production entièrement équipée de logiciels intelligents, et cela pourrait compenser une partie du surcoût lié aux matières premières. Mais il leur sera difficile de rivaliser avec les humains qui eux sont bon marché et disponibles en abondance. Les robots devront toujours être alimentés en électricité et lubrifiés avec des huiles, il faudra en prendre soin et les entretenir. Ils auront toujours besoin de faire des reboots, des temps d’arrêt ou de maintenance, tout comme leurs équivalents humains.

De leur côté, les humains sont constitués des ressources les plus abondantes de la planète (oxygène, carbone, hydrogène et azote). Ils sont également capables de s’autorépliquer sans l’aide d’une usine. Cela signifie qu’ils seront toujours fondamentalement moins chers et plus faciles à fabriquer. Certes, il faut peut-être attendre 16 ans pour obtenir un travailleur humain en état de marche, mais le cycle de production est robuste et le stock continuellement renouvelé. Il y a même un surplus. (Elon Musk considère néanmoins que le taux de remplacement des humains chute dangereusement, ce qui pourrait également avoir une influence sur sa façon de penser). De plus, les humains mis hors service pourraient de la même manière être recyclés bien plus efficacement que les robots. Tu es né poussière et tu redeviendras poussière.

Les fans d’Elon rétorqueront qu’Optimus a pour but la libération des plus pauvres sur Terre qui souffrent de leur condition quotidienne. C’est un bel objectif sur le papier. Mais sans une avancée significative de la science des matériaux pour surmonter la contrainte sur les ressources, il est tout à fait possible que cette innovation ne fasse qu’empirer les choses. S’il y a une quelconque pénurie de robots humanoïdes multitâches, il est clair qu’humains et robots seront toujours en concurrence pour les métiers du service, par exemple au sein de ménages aisés. »

Selon Izabella Kaminska, autrice de l’article du FT, les robots devraient augmenter significativement leur compétitivité face aux humains lorsque les biotechnologies permettront la conception de répliques humaines artificielles parfaites. Pour rappel, une équipe de savants fous américaine a récemment créé les premiers xénobots, des organismes entièrement artificiels capables de s’autorépliquer, fabriqués à partir de cellules d’embryons de grenouilles et d’une intelligence artificielle[8].

« Il existe une seule motivation rationnelle pour se lancer tête baissée dans une économie de robots-esclaves : il faudrait que le coût total de la création et de la maintenance d’un robot-esclave soit moins élevé et plus respectueux de la planète (en termes de consommation de ressources) que celui d’un humain.

Imaginons une véritable dystopie. On peut envisager ce qui se passerait si une industrie robotique vraiment compétitive venait à se développer. Pour maintenir les coûts au plus bas et optimiser l’utilisation des ressources planétaires, les fabricants finiraient par se tourner vers la biologie. Les robots pourraient imiter notre bio-ingénierie humaine au point de ne plus pouvoir être identifiables parmi les humains. Les forces exercées par la compétition sur les marchés encourageraient alors la fabrication de robots-esclaves en laboratoire ou dans des centres d’autoréplication contrôlée. Dans ces usines, on installerait en amont un logiciel pour garantir aux propriétaires que leurs robots les apprécient. Il faudrait que les robots ne fassent jamais de mal aux humains, ne se révoltent pas et ne tentent pas de les remplacer.

Les seules caractéristiques permettant de différencier humains et robots seraient leur fidélité, leurs objectifs et leur servitude volontaire envers leurs maîtres. Mais ceci restera valable durant une période limitée, le temps qu’il faudra pour corrompre ou pirater leur programme informatique. »

D’après le mathématicien Theodore Kaczynski[9], inutile d’en arriver là pour un grand remplacement de l’humain par la machine. Il suffirait à l’IA de surpasser les humains seulement dans certains domaines techniques précis pour que le travail des muscles et du cerveau soit rendu définitivement inutile au maintien et à l’expansion du système technologique. Selon les estimations les plus hautes[10], 30 à 50 % des emplois seront automatisés au cours des deux prochaines décennies en Europe et aux États-Unis. S’il est difficile de dire quand, selon toute logique les machines finiront un jour ou l’autre par remplacer – et, par un mécanisme de sélection, éliminer – les humains devenus obsolètes au sein du système technologique. Il ne peut en être autrement. Seuls des techno-progressistes extraordinairement niais peuvent croire un seul instant que le système technologique entretiendra des milliards de bipèdes oisifs.


  1. https://youtu.be/PvIBzzo_3AY

  2. https://openai.com/about/

  3. https://www.lesechos.fr/industrie-services/automobile/tesla-qui-est-optimus-le-mysterieux-robot-humanoide-delon-musk-1383246

  4. https://www.futura-sciences.com/tech/breves/robotique-tesla-elon-musk-affirme-robot-optimus-pourrait-depasser-ventes-voitures-electriques-5870/

  5. https://unctad.org/fr/node/32187

  6. https://www.nouvelobs.com/monde/20210610.OBS45099/160-millions-d-enfants-sont-forces-a-travailler-en-augmentation-pour-la-premiere-fois-en-vingt-ans.html

  7. https://www.lemonde.fr/international/article/2019/09/23/40-millions-d-esclaves-dans-le-monde_6012692_3210.html

  8. https://www.courrierinternational.com/article/biologie-les-xenobots-premiers-robots-vivants-parviennent-sautoreproduire

  9. Theodore Kaczynski, Révolution Anti-Tech : pourquoi et comment ?, 2016.

  10. https://unctad.org/fr/node/32187

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