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Le pneu, une autre saloperie industrielle qui a contaminé la planète

« Tous les spécialistes s’accordent pour considérer que les pollutions sont demeurées relativement limitées dans leur nature et leur étendue jusqu’à l’avènement de la civilisation industrielle. L’essor de cette dernière transforme les données du problème, et depuis l’ampleur des pollutions ne cesse de s’étendre et d’évoluer selon des cheminements complexes, jusqu’à saturer le monde contemporain et ses imaginaires. »

– François Jarrige et Thomas Le Roux, La contamination du monde : une histoire des pollutions à l’âge industriel, 2017

Comme les décarboneurs, ces suppôts de l’industrie et de l’État, continuent de nous vendre l’électrification des transports comme une solution écologique, je me suis décidé à traduire un extrait d’un long article[1] du journaliste Jim Robbins paru en septembre 2023 dans Yale Environment 360. On y apprend que la poussière d’usure des pneus ne faisait jusqu’à présent l’objet d’aucune attention, et qu’elle s’avère en fait extrêmement toxique. C’est embêtant, puisque cette poussière représente près de 80 % des microplastiques contaminant les océans. Si on la retrouve en abondance dans l’océan, elle a certainement déjà contaminé la plupart des écosystèmes, donc l’eau et la nourriture que nous absorbons quotidiennement. Nous avons des microplastiques partout dans le corps, dans notre sang[2], notre cerveau[3] et nos poumons[4]. C’est ce qui fait dire au journaliste Fabrice Nicolino que « les hommes sont des déchets chimiques, des décharges ambulantes emplies de produits toxiques[5] ». Et tout cela, nous le devons au travail acharné des psychopathes en blouse blanche qui inventent constamment de nouvelles saletés, bien à l’abri de la fronde populaire dans leurs laboratoires.

On apprend également dans l’article de Yale Environment que les véhicules électriques émettent plus de microparticules de plastique via leurs pneus que les véhicules thermiques. Pour ne rien arranger, les émissions provenant des pneus et des systèmes de freinage sont bien plus difficiles à mesurer que les émissions d’échappement, et les technologies disponibles jusqu’à présent ne permettaient pas de les détecter ni de les étudier. En d’autres termes, il est parfaitement impossible de connaître l’impact à long terme des nouvelles technologies. Si les sociétés préindustrielles se méfiaient tant des innovations techniques[6], c’était probablement pour une raison tout à fait rationnelle : il est impossible d’anticiper les conséquences sur la société et l’environnement de l’introduction d’une nouvelle technique. Sur ce point, la modernité industrielle a battu tous les records d’irrationalité et d’obscurantisme en célébrant le progrès technique comme une fin en soi.

Dernières précisions, je vous ai épargné la fin de l’article où l’auteur passe en revue les solutions à deux balles habituelles (réformisme, régulation, jardins et bassins de récupération des eaux de pluie polluées, etc.). Vu l’ampleur du désastre, il faut vraiment être un lâche ou un fou pour continuer à souhaiter autre chose que la destruction de toutes les usines de fabricants de pneus, d’automobiles, de camions et le démantèlement de tous les réseaux routiers. La mise à l’arrêt du système industriel est la seule solution rationnelle pour stopper efficacement le carnage climatique et écologique.

Image d’illustration tirée du film Rubber (2010) de Quentin Dupieux.


Dangers routiers : les preuves de la pollution toxique des pneus s’accumulent (par Jim Robbins)

Les chercheurs commencent à peine à découvrir le cocktail toxique de produits chimiques, de microplastiques et de métaux lourds cachés dans les pneus des voitures et des camions. Mais les experts affirment que ces émissions provenant des pneus constituent une source importante de pollution de l’air et de l’eau, et qu’elles peuvent affecter l’humain aussi bien que la faune et la flore.

Pendant deux décennies, les chercheurs se sont efforcés de résoudre un mystère dans les cours d’eau de la côte ouest. Pourquoi, lorsqu’il pleut, un grand nombre de saumons coho [ou saumon argenté] en âge de frayer meurent-ils ? Pour le savoir, les scientifiques ont placé des poissons dans de l’eau contenant des particules de pneus neufs et usagés. Cela a provoqué leur mort. Les chercheurs ont alors commencé à tester les centaines de produits chimiques qui avaient contaminé l’eau.

Un article publié en 2020 a révélé la cause de cette mortalité : un produit chimique appelé 6PPD qui est ajouté aux pneus pour éviter qu’ils ne se fissurent et ne se dégradent. Présent dans la poussière de pneu, lorsque le 6PPD est exposé à l’ozone présent dans l’air, il se transforme en plusieurs autres substances chimiques dont le 6PPD-quinone ou 6PPD-q. Ce composé présente une toxicité aiguë pour quatre des onze espèces de poissons testées, dont le saumon coho.

Le mystère est résolu, mais pas le problème. Car ce produit chimique continue d’être utilisé par tous les grands fabricants de pneus et se retrouve sur les routes et dans les cours d’eau du monde entier. Bien que personne n’ait étudié l’impact du 6PPD-q sur la santé humaine, il a également été détecté dans l’urine d’enfants, d’adultes et de femmes enceintes dans le sud de la Chine. Les voies et l’importance de cette contamination sont pour l’instant inconnues.

Pourtant, des voix s’élèvent aujourd’hui pour réclamer une action réglementaire. Le mois dernier, l’organisation juridique à but non lucratif Earthjustice a déposé, au nom de l’industrie de la pêche, une notification d’intention de poursuivre les fabricants de pneus pour violation de la loi sur les espèces menacées d’extinction (Endangered Species Act) en raison de l’utilisation du 6PPD. Enfin, une coalition de tribus indiennes a récemment demandé à l’EPA [Agence de Protection de l’Environnement des États-Unis, NdT] d’interdire l’utilisation de ce produit chimique. « Nous avons été les premiers témoins de la l’extermination des espèces de saumon sur lesquelles nous avons toujours compté pour nourrir notre peuple », a déclaré le Conseil tribal de Puyallup dans un communiqué. « Nous avons assisté au déclin de ces espèces et nous assisterons à leur extinction complète si rien n’est fait pour les protéger. »

L’analyse minutieuse du 6PPD et du 6PPD-q n’était que le début d’une campagne mondiale visant à comprendre le cocktail toxique de produits chimiques organiques, de particules minuscules et de métaux lourds qui se cachent dans les pneus et, dans une moindre mesure, dans les systèmes de freinage. Si la toxicité aiguë du 6PPD-q et de sa source fait l’objet d’un consensus scientifique solide, le caoutchouc des pneus contient plus de 400 produits chimiques et composés, dont beaucoup sont cancérigènes. Et la recherche ne fait que commencer à montrer à quel point les problèmes liés à la poussière de pneu peuvent être répandus.

Si les anneaux de caoutchouc qui équipent votre voiture peuvent sembler inoffensifs – une campagne publicitaire mettait en scène des bébés bercés dans des pneus – ils constituent, selon les experts, une source importante de pollution de l’air, du sol et de l’eau, susceptible d’affecter l’humain ainsi que les poissons, la faune et d’autres organismes. C’est un problème, car quelque 2 milliards de pneus sont vendus chaque année dans le monde – de quoi atteindre la lune si on les empilait les uns sur les autres – et le marché devrait atteindre 3,4 milliards par an d’ici à 2030.

Les pneus sont fabriqués à partir d’environ 20 % de caoutchouc naturel et 24 % de caoutchouc synthétique, ce qui nécessite près de 19 litres de pétrole par pneu. Des centaines d’autres ingrédients, notamment de l’acier, des charges[7] et des métaux lourds (cuivre, cadmium, plomb et zinc) entrent aussi dans la composition des pneus. Nombre de ces additifs sont ajoutés pour améliorer leurs performances et leur durabilité ainsi que pour réduire les risques d’incendie.

Le caoutchouc naturel et le caoutchouc synthétique se décomposent tous deux dans l’environnement, mais les fragments synthétiques durent beaucoup plus longtemps. Selon un rapport du Pew Charitable Trust, 78 % des microplastiques présents dans les océans sont des pneus en caoutchouc synthétique. Ces fragments sont ingérés par les animaux marins – des particules sont retrouvées dans les branchies et les estomacs – et peuvent avoir toute une série d’effets, allant de la neurotoxicité au retard de croissance et aux anomalies comportementales.

« Nous avons trouvé des niveaux extrêmement élevés de microplastiques dans nos eaux pluviales », a déclaré Rebecca Sutton, une scientifique environnementale de l’Institut de l’estuaire de San Francisco qui a étudié les eaux de ruissellement. « Nous avons estimé à 7 000 milliards de particules le volume annuel de microplastiques rejetés dans la baie de San Francisco par les eaux de ruissellement, et nous pensons que la moitié était constituée de particules de pneus. »

Les particules d’usure de pneu, ou TWP [Tire wear particules] comme on les appelle parfois, sont émises en permanence par les véhicules. Leur taille varie de morceaux visibles de caoutchouc ou de plastique à des microparticules. Selon la société britannique Emissions Analytics, qui a passé trois ans à étudier les émissions des pneus, elles représentent l’un des impacts environnementaux les plus importants de ce produit industriel. L’entreprise a constaté que les quatre pneus d’une voiture émettent collectivement 1 000 milliards de particules ultrafines – de moins de 100 nanomètres – par kilomètre parcouru. Selon un nombre croissant d’experts, ces particules présentent un risque unique pour la santé : elles sont si petites qu’elles peuvent passer à travers les tissus pulmonaires dans la circulation sanguine et franchir la barrière hémato-encéphalique ou être inhalées et se rendre directement au cerveau, causant toute une série de problèmes.

Selon un rapport récent publié par des chercheurs de l’Imperial College de Londres, « il existe des preuves croissantes que les particules d’usure des pneus et d’autres particules peuvent contribuer à une série d’effets négatifs sur la santé, notamment sur le cœur, les poumons, le développement, la reproduction et le cancer. »

Le rapport indique que les pneus génèrent 6 millions de tonnes de particules par an, au niveau mondial, dont 200 000 tonnes finissent dans les océans. Selon Emissions Analytics, les voitures aux États-Unis émettent en moyenne 2 kg de particules de pneu par an, tandis que les voitures en Europe, où l’on parcourt moins de kilomètres, en émettent un peu moins de 1 kg par an. En outre, les émissions des pneus des véhicules électriques (VE) sont 20 % plus élevées que celles des véhicules à carburant fossile. Les VE sont plus lourd et leur moteur développe un couple plus important, ce qui use les pneus plus rapidement.

Contrairement aux gaz d’échappement, qui sont étudiés et réglementés depuis longtemps, les émissions des pneus et des freins – qui émettent des quantités importantes de particules métalliques en plus des produits chimiques organiques – sont beaucoup plus difficiles à mesurer et à contrôler et ont donc échappé à la réglementation. Ce n’est qu’au cours des dernières années, avec le développement de nouvelles technologies capables de mesurer les émissions des pneus et la découverte alarmante du 6PPD-q, que le sujet fait l’objet d’un examen plus que nécessaire.

Des études récentes montrent que la masse des émissions de PM 2,5 et de PM 10 – qui sont, avec l’ozone et les particules ultrafines, les principaux polluants atmosphériques dans le monde – provenant des pneus et des systèmes de freinage dépasse de loin la masse des émissions provenant des pots d’échappement, du moins dans les endroits où ces émissions ont été réduites de manière significative.

Le problème ne se limite pas au caoutchouc sous sa forme synthétique et naturelle. Les chercheurs gouvernementaux et universitaires étudient les transformations produites par les nombreux autres ingrédients des pneus, qui pourraient – comme le 6PPD – former des substances plus toxiques que leurs produits chimiques de base lorsqu’ils se décomposent sous l’effet de la lumière du soleil et de la pluie.

« Ces pneus contiennent un cocktail chimique que personne ne comprend vraiment et qui reste hautement confidentiel pour les fabricants de pneus », a déclaré Nick Molden, PDG d’Emissions Analytics. « Il est difficile de trouver un autre produit de consommation aussi répandu dans le monde, et utilisé par pratiquement tout le monde, dont le contenu est aussi peu connu. »

« Nous savions que les pneus contribuaient de manière significative à la pollution de l’environnement, mais ce n’est que récemment que nous avons commencé à en découvrir l’ampleur », a déclaré Cassandra Johannessen, chercheuse à l’université Concordia de Montréal. Elle quantifie les niveaux de produits chimiques contenus dans les pneus dans les bassins versants urbains et étudie la manière dont ils se transforment dans l’environnement. La découverte du 6PPD-q a surpris beaucoup de chercheurs, dit-elle, parce qu’ils ont appris que « c’est l’une des substances les plus toxiques connues et on la trouve partout dans le monde. »

Jim Robbins

Traduction : Philippe Oberlé


  1. https://e360.yale.edu/features/tire-pollution-toxic-chemicals

  2. https://www.radiofrance.fr/franceculture/podcasts/et-maintenant/des-micro-plastiques-dans-le-sang-humain-3950632

  3. https://www.futura-sciences.com/sante/actualites/cerveau-microplastiques-notre-environnement-alterent-fonctionnement-notre-cerveau-105005/

  4. https://www.lepoint.fr/sante/des-microplastiques-retrouves-dans-des-poumons-humains-08-04-2022-2471354_40.php

  5. Fabrice Nicolino, L’empoisonnement universel. Comment les produits chimiques ont envahi la planète, 2014

  6. Voir François Jarrive, Technocritiques. Du refus des machines à la contestation des technosciences, 2014.

  7. « On désigne sous le nom général de charge toute substance inerte, minérale ou végétale qui, ajoutée à un polymère de base, permet de modifier de manière sensible les propriétés mécaniques, électriques ou thermiques, d’améliorer l’aspect de surface ou bien, simplement, de réduire le prix de revient du matériau transformé. », https://www.techniques-ingenieur.fr/base-documentaire/archives-th12/archives-plastiques-et-composites-tiaam/archive-1/charges-a3220/

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