Jeff Bezos verse 791 millions de dollars à des ONG pour « conserver » le capitalisme
Le Bezos Earth Fund, une initiative philanthropique lancée par Jeff Bezos et dotée de 10 milliards de dollars début 2020, vient de verser 791 millions de dollars à 16 organisations : The Climate and Clean Energy Equity Fund, ClimateWorks Foundation, Dream Corps Green For All, Eden Reforestation Projects, Energy Foundation, Environmental Defense Fund, The Hive Fund for Climate and Gender Justice, Natural Resources Defense Council, The Nature Conservancy, NDN Collective, Rocky Mountain Institute, Salk Institute for Biological Studies, The Solutions Project, Union of Concerned Scientists, World Resources Institute, and World Wildlife Fund.
Et ce n’est qu’un début, comme notre ami Jeff le rappelle sur Instagram :
« Cette donation de 791 millions de dollars est seulement le début de mon engagement à hauteur de 10 milliards de dollars pour financer des scientifiques, activistes, ONG et d’autres acteurs. Nous pouvons tous protéger le futur de la Terre en lançant des actions courageuses maintenant. »
Effectivement, pour se délester de 10 milliards quand on en gagne 13 en une seule journée, il faut un sacré courage. Que les pauvres en prennent de la graine.
Propriétaire de l’Empire Amazon et fondateur de Blue Origin, un fabricant de lanceurs spatiaux, Jeff Bezos est selon Forbes l’homme le plus riche de tous les temps avec une fortune dépassant désormais les 200 milliards de dollars.
L’Environmental Defense Fund (EFD) va recevoir 100 millions de dollars sur les 791 millions distribués par le Bezos Earth Fund dans ce premier tour de table. Selon le média The Verge, l’EFD « a tendance à adopter une approche plus corporatiste dans son plaidoyer. L’organisation a travaillé avec des entreprises comme Walmart et McDonald’s sur leurs objectifs de développement durable. »
Walmart est le géant mondial de la distribution, propriété à 50 % des Walton, la famille la plus riche du monde avec une fortune estimée à 215 milliards de dollars. McDonald’s, inutile de détailler la nuisance que représente cette entreprise. Juste un chiffre, selon l’OMS, le monde compte près de 2 milliards de personnes obèses ou surpoids, un mal durable directement imputable aux deux firmes et à leurs industries.
The Nature Conservancy et le WWF vont recevoir chacune 100 millions de dollars. Ces deux organisations comptent parmi les cinq BINGOs ou Big International NGOs (Grandes ONG internationales) – le nom attribué aux mastodontes de la conservation de la nature par les organisations de défense des peuples autochtones – avec Conservation International, Wildlife Conservation Society et African Wildlife Foundation. Les BINGOs accaparent, d’après une enquête du journaliste Mark Dowie publiée en 2011, plus de 70 % des budgets internationaux dédiés à la conservation de la nature et sont considérées par les peuples indigènes comme la première menace pour leurs territoires.
Il y a une dizaine d’années, The Nature Conservancy et l’African Wildlife Foundation rachetaient au président kenyan Daniel Arap Moi une terre pour 2 millions de dollars, un lieu habité par des Samburu depuis des siècles d’après l’ONG Survival International. Cette dernière détaille les événements survenus juste après le rachat des terres par les deux BINGOs :
« Peu de temps après cette transaction, la police kenyane a entamé une série d’expulsions brutales des Samburu, incendiant leurs villages, tuant et dérobant leurs troupeaux et agressant hommes, femmes et enfants. Survival International a récemment reçu des informations selon lesquelles un aîné aurait été tué de « sang-froid ».
Deux mille familles samburu vivent désormais dans des campements improvisés à la limite de leur territoire et mille autres ont été relocalisées de force.
Leurs conditions de vie sont désastreuses et leurs ressources insuffisantes. Un reportage de la chaîne britannique Channel 4 a rendu compte de l’extrême brutalité de ces expulsions à Eland Downs. »
Ceci est loin d’être un cas isolé, c’est plutôt la règle avec les organisations de conservation de la nature. À noter également que Mark Tercek, un ancien cadre de Goldman Sachs devenu patron de The Nature Conservancy en 2008, a été obligé de quitter son poste suite à des accusations de discrimination, particulièrement envers les femmes.
Le cas du WWF s’avère encore plus intéressant. La multinationale au panda fait face à des accusations de persécutions des minorités autochtones à travers le monde, et ce depuis des décennies. En 2020, à seulement quelques mois d’intervalle, l’Union Européenne et les États-Unis ont décidé de retirer des financements au WWF en raison des violations de droits humains perpétrés dans des aires protégées créées et financées par le panda en Afrique. Pas de quoi alarmer Jeff Bezos, il sait que le WWF travaille avant tout à la conservation du capitalisme et non à la conservation de la nature.
Pavan Sukhdev, le président du WWF International, confirme :
« On me demande souvent comment je concilie mon héritage capitaliste avec mes engagements envers la nature. Je ne les concilie pas – je suis un capitaliste pur et dur. »
Bien entendu, Jeff Bezos a pris soin de ne rien donner aux organisations osant critiquer son Empire.
Pour finir, parce que les adeptes de l’optimisme décérébrant réussissent malgré tout à voir du positif dans le philanthro-capitalisme, il peut être utile de rappeler les objectifs d’un cinglé comme Jeff Bezos. Interviewé en 2016 durant la conférence annuelle de Recode, un média technologiste, Bezos révélait sa vision de l’avenir :
« La conquête spatiale, c’est mon job. Je construis des infrastructures peu importe les difficultés. J’utilise mes ressources pour mettre en place des infrastructures permettant de transporter des charges lourdes, afin que la prochaine génération de personnes puisse connaître une forte dynamique entrepreneuriale dans l’espace. […]
Je ne veux pas d’un plan B pour la Terre. Je veux un plan B pour que le plan A fonctionne. […] Je pense qu’il faut aller dans l’espace pour sauver la Terre. De nos jours, nous connaissons bien le système solaire, car nous y avons envoyé des sondes robotisées pour l’explorer. Je vous assure que la Terre est la meilleure planète du système solaire. […]
Toute notre industrie lourde sera déplacée hors de la planète, et la Terre sera classée en zones résidentielles et en zones industrielles légères. […]
Nous devons protéger la Terre, et nous y arriverons en allant dans l’espace. […] Vous ne voulez pas vivre dans un monde rétrograde. Vous ne voulez pas vivre sur une planète où il faudrait stopper la croissance démographique et réduire la consommation d’énergie. Nous profitons tous d’une civilisation extraordinaire ; elle est alimentée par l’énergie et la population, c’est pourquoi les centres urbains sont si dynamiques. Nous voulons que la population poursuive sa croissance sur cette planète. Nous voulons continuer à consommer plus d’énergie par habitant. »