Les documentaires animaliers nous trompent sur la réalité
Traduction d’un article de Janet Street-Porter publié dans le journal britannique The Independant. Malgré des points intéressants, ce texte passe à côté d’une vraie analyse du rôle fondamental des médias de masse : la neutralisation de la pensée critique via la fabrication, à travers l’image et un flux continu d’informations, d’une réalité universelle, indiscutable, pour tous les membres de la civilisation industrielle. Rien d’étonnant à cela puisque le journal The Independant participe à ce système. En prenant soin d’éviter toute incursion de l’être humain dans le cadre, même lorsque ce dernier cohabite avec les autres espèces depuis des millénaires, les documentaires animaliers sur l’Afrique ont participé au renforcement du mythe de l’Éden africain critiqué par l’historien Guillaume Blanc dans son livre.
On ne compte plus les révélations sur les documentaires animaliers présentant des images trompeuses et mises en scène, mais David Attenborough, célèbre narrateur des documentaires de la BBC, semble rester irréprochable aux yeux du public britannique.
David Attenborough est considéré comme un trésor national, et s’opposer à tout ce que fait le grand homme semble être une trahison, ou tout au moins un délit d’opinion, mais pour ma part, je ne peux pas supporter les programmes qu’il présente sur le monde naturel.
Ces programmes télévisés font office d’anesthésiant, c’est une forme d’apaisement social, aussi relaxant et inoffensif qu’un bain chaud.
Ces séries primées montrent régulièrement des mammifères en train de procréer en gros plans, des images accompagnées d’un commentaire feutré d’une banalité absolue et d’une musique d’ascenseur. Les réalisateurs de ce genre de programmes attribuent des qualités humaines aux animaux et à leur comportement, le tout sur un ton condescendant afin de niveler par le bas pour rendre le programme accessible au plus grand nombre.
Nous savons depuis des années que la réalité du règne animal ne s’accorde pas avec les exigences des cinéastes modernes. Ces derniers ont des restrictions budgétaires et de temps, ils doivent répondre aux demandes d’une audience globale avide de sexe, de sang, de frissons et de drames captivants interprétés par des insectes, des requins et des serpents.
Les aventuriers de canapé et les naturalistes amateurs veulent des héros et des méchants, des prédateurs et des victimes, des meurtres légitimés impliquant des objets à fourrure à plusieurs pattes ou des reptiles rampants. Il n’est pas surprenant que répondre à ces demandes puisse impliquer un certain niveau de manipulation de la réalité.
En 1997, une séquence avec un ours et ses petits a été filmée dans un zoo en Belgique, mais les spectateurs n’en ont pas été informés à l’époque.
Il y a eu un scandale en 2011, lorsque la BBC a dû admettre que des images mettant en scène une ourse polaire et ses petits dans Frozen Planet avaient en fait été filmées dans un zoo aux Pays-Bas et non dans un environnement arctique. La même année, la série Human Planet montrait un jeune chameau tué par un loup mais plus tard, il a été révélé que le public avait été trompé. N’ayant pas trouvé de loup sauvage, les réalisateurs avaient utilisé un animal semi-domestiqué amené sur place à l’aide d’une laisse.
En 2013, Doug Allan, un éminent caméraman spécialisé dans la faune et la flore qui a travaillé sur de nombreuses séries de la BBC, a révélé que la plupart des séquences impliquant des petits mammifères étaient filmées dans des environnements contrôlés, et a affirmé que le public n’était « pas importuné ».
Chris Palmer a écrit deux livres sur les astuces utilisées dans la photographie de la vie sauvage, révélant que les bonbons sont utilisés pour prendre au piège les sujets, et même pour entraîner les ours. Les gros plans sont couramment réalisés dans les zoos ou les enclos des parcs animaliers. Les poissons sont photographiés en train d’éclore dans des centres de recherche, loin de l’océan. Les prédateurs sont attirés à portée d’objectif par des carcasses, les requins sont attirés vers les caméras en utilisant un leurre ressemblant à un phoque.
Un caméraman a déclaré : « Après deux jours sans avoir capturé une seule image, quand il vous reste 24 heures et que l’argent s’épuise, vous êtes un peu désespéré ».
Ne devrions-nous pas avoir honte d’attendre des animaux qu’ils nous divertissent ? Les astuces utilisées pour filmer les animaux sauvages sont-elles bien meilleures que celles employées par les dresseurs d’un cirque ?
En tant que randonneuse passionnée, chaque observation d’un animal ou d’un reptile dans son habitat naturel reste un souvenir précieux, et non quelque chose que je veux voir répété en permanence sur un téléphone ou à la télévision. Je ne peux pas oublier la fois où j’ai rencontré une fouine dans les marais de Graveney ou vu une hermine danser dans un jardin du Yorkshire. La plupart des téléspectateurs ne se contenteraient pas de cela – ils exigent des gros plans et de l’intimité.
M. Attenborough affirme qu’il est plus respectueux de filmer les animaux dans des conditions contrôlées, et il parle constamment des compétences de ses équipes. En 2016, le personnel de la BBC spécialisé dans l’histoire naturelle a suivi une formation anti-falsification et les directives éditoriales sont strictes. Néanmoins, la manière dont le « drame » est construit dans beaucoup de ces films sur le monde naturel s’avère intrinsèquement mensonger. Les mêmes astuces sont utilisées pour filmer des tribus isolées qui vivent dans des habitats reculés – nous ne les traitons pas mieux que les animaux lorsqu’il s’agit de fournir un divertissement exotique dont nous pouvons nous émerveiller depuis notre confort douillet.
Plus tard ce mois-ci, la BBC diffusera My Year With The Tribe, qui retourne chez la tribu Korowai en Papouasie-Nouvelle-Guinée, filmée à l’origine pour Human Planet en 2011. Il s’avère que les cabanes dans les arbres construites par la tribu en 2011, au-dessus de la forêt tropicale, ont été spécialement conçues pour les caméras, et que les locaux ne s’embarrassent pas avec des choses aussi ridicules ; ils préfèrent vivre beaucoup plus près du sol. En d’autres termes, ils ont construit une cabane (décrite dans le commentaire comme « leur nouvelle maison ») pour faire plaisir aux caméras. Cette séquence a permis à la BBC de remporter de nombreux prix pour cette couverture courageuse d’un mode de vie exotique.
J’ai visité la Papouasie-Nouvelle-Guinée en tant qu’invité du British Council, et j’ai passé du temps sur une île isolée. En tant que visiteur, vous avez le privilège de découvrir un mode de vie qui disparaît rapidement. Je veux garder en mémoire les paysages, les sons, les couleurs et les saveurs de ce voyage, pas sur un film. Mais je crains qu’une quantité trop importante de visiteurs finisse par corrompre une culture fonctionnant sur la base du troc, sans argent liquide. La BBC, comme tant d’autres diffuseurs et équipes de tournage, pourrait être accusée de contribuer à la disparition de cette culture en incitant les Korowai à se mettre en scène.
La BBC a admis que les images des montagnes présentées dans sa série Earth’s Natural Wonders en février dernier n’étaient pas du Népal, mais des Dolomites italiennes. Si leurs montagnes sont transposées d’un continent à l’autre, jusqu’où iront-ils ?