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Les humains non-civilisés habitent la Terre depuis 12 000 ans sans la détruire

Traduction d’un article[1] publié sur le site d’information EcoWatch le 21 avril 2021 et reprenant les résultats d’une étude publiée par la revue PNAS. Les sociétés non-civilisées – rurales, sans ville ni État – ont habité et utilisé, de manière écologiquement soutenable, la majeure partie de la surface terrestre durant les 12 000 dernières années. À l’opposé, la civilisation et son agriculture – le fameux « progrès » – ont réduit de moitié la biomasse végétale terrestre sur la même période[2].

Photo : jeune berger Maasaï portant un animal trop faible pour marcher, au Kenya près de la frontière avec la Tanzanie. Au cours des dernières décennies/années, les deux États ont accaparé les terres de plusieurs dizaines de milliers de Maasaï pour en faire des « aires protégées » réservées aux touristes amateurs de safaris, pour la plupart occidentaux. Dans un article de Foreign Policy publié en 2009, le sociologue Charles C. Geisler estimait le nombre de ces « réfugiés » d’un nouveau genre à plus de 14 millions de personnes, rien qu’en Afrique[3]. On appelle ça un génocide culturel. La civilisation industrielle excelle en la matière, et elle poursuivra son œuvre aussi longtemps qu’elle ne sera pas démantelée ou réduite en cendres.

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Une nouvelle étude a confirmé la prise de conscience croissante et attendue depuis longtemps par les scientifiques et les conservationnistes [certains scientifiques et conservationnistes seulement, et certainement pas
les plus influents, NdT] que les sociétés indigènes sont les meilleures gardiennes de la biodiversité.

Cette nouvelle étude, publiée ce mois-ci dans la revue Proceedings of the National Academy of Sciences, a examiné les cartes de l’habitat humain au cours des 12 000 dernières années et a révélé que près des trois quarts des terres de la planète avaient été façonnées et gérées de manière durable par des sociétés indigènes ou traditionnelles au cours de cette période. Cela signifie que la présence humaine dans un paysage n’explique pas à elle seule la destruction de l’environnement.

« À de rares exceptions près, les pertes actuelles de biodiversité ne sont pas dues à la conversion ou à la dégradation par l’humain d’écosystèmes vierges, mais plutôt à l’accaparement, à la colonisation et à l’intensification de l’utilisation de terres habitées et utilisées par des sociétés antérieures », écrivent les auteurs de l’étude.

Selon un communiqué de presse de l’Université du Maryland, Baltimore County (UMBC), ce travail est le fruit d’un effort multidisciplinaire unique impliquant 18 chercheurs de plus d’une douzaine d’institutions du monde entier. L’équipe de géographes, d’archéologues, d’anthropologues, d’écologues et de spécialistes de la conservation a examiné les schémas d’utilisation des terres depuis 10 000 ans avant notre ère et a constaté que la plupart des régions ont été confrontées à une forme d’intervention humaine telle que le brûlage, la chasse, la culture ou la propagation de nouvelles espèces. Cela concernait plus de 95 % des forêts tempérées et 90 % des forêts tropicales.

« Les zones non touchées par l’homme étaient presque aussi rares il y a 12 000 ans qu’elles le sont aujourd’hui », précise Erle Ellis, auteur principal et professeur de géographie et de systèmes environnementaux à l’UMBC, dans le communiqué de l’UMBC.

La différence est que ces sociétés utilisaient la terre d’une manière qui n’était pas destructrice et qui était même bénéfique dans de nombreux cas. Les chercheurs ont examiné comment l’histoire de l’utilisation des terres était associée aux zones actuellement riches en biodiversité. Ils ont découvert que de nombreuses zones aujourd’hui considérées comme naturelles ont en fait été façonnées par des interventions humaines antérieures.

Selon James Watson, coauteur de l’étude, de l’université du Queensland (UQ), à UQ News :

 « Il est important de noter que les schémas mondiaux actuels concernant l’abondance des espèces de vertébrés et les points chauds de biodiversité sont fortement associés aux schémas passés d’utilisation des terres par les humains, quand ils sont comparés aux paysages actuels dits « naturels » et récemment déclarés vierges. »

Cette nouvelle étude va à l’encontre des hypothèses passées sur lesquelles se base la conservation de la nature. Par exemple, John Muir, le fondateur du Sierra Club [association pseudo-écologiste états-unienne, NdT], ne pensait pas que les communautés indigènes avaient leur place dans les zones sauvages protégées, comme l’explique le site Open Access Government. Les communautés amérindiennes ont été exclues des parcs nationaux du pays lors de leur création, comme le souligne l’UBMC. L’étude contredit également des résultats de recherches antérieures affirmant que la majeure partie du globe était inhabitée jusqu’en 1500 de notre ère.

Selon Watson :

« Il existe un paradigme parmi chez les spécialistes des sciences naturelles, les conservationnistes et les décideurs politiques selon lequel la transformation de la nature terrestre par l’humain est en grande partie récente et intrinsèquement destructrice »

Le fait que cette idée soit fausse a des implications importantes pour prévenir le déclin de la biodiversité et la sixième extinction de masse. De manière explicite, cela confirme que la protection des droits des peuples autochtones et la protection de la nature vont ensemble.

« Cette étude confirme, à une échelle inconnue jusqu’alors, que les peuples indigènes gèrent et influencent les écosystèmes depuis des milliers d’années, principalement de manière positive. Ces conclusions ont une importance particulière pour les droits et l’autodétermination des peuples indigènes contemporains. » C’est ce qu’a déclaré à l’UMBC Darren J. Ranco, coauteur de l’étude, professeur associé d’anthropologie et coordinateur de la recherche sur les Amérindiens à l’université du Maine et citoyen de la nation indienne Penobscot.

L’étude n’est pas la première à faire ce constat. Un important rapport des Nations Unies publié en mars a révélé que les communautés indigènes d’Amérique latine étaient les meilleures gardiennes des forêts de ce continent. Pourtant, les inégalités persistent. Les groupes autochtones n’auront pas de siège à la table des négociations lors de la prochaine conférence des Nations Unies sur la biodiversité qui se tiendra cette année, mais ils seront présents en tant qu’observateurs.

M. Ranco a fait remarquer que les groupes autochtones gèrent actuellement environ cinq pour cent des terres de la planète, mais que ces terres concentrent 80 % de la biodiversité sur Terre. Il a fait valoir que les efforts actuels pour conserver cette biodiversité ne doivent pas répéter les erreurs du passé.

Ranco a précisé :

« Nous devons également veiller à ce que les nouvelles tentatives de protection des terres et de la biodiversité ne se résument pas à une colonisation verte des terres indigènes. Nous ne pouvons pas recréer les pires politiques coloniales destinées à exclure les peuples autochtones, ce qui ferait sans aucun doute empirer la situation pour l’environnement et l’humanité. »


[1] https://www.ecowatch.com/indigenous-land-conservation-earth-history-2652676314.html

[2] https://www.frontiersin.org/articles/10.3389/fcosc.2020.615419/full

[3] https://foreignpolicy.com/2009/11/11/endangered-humans/

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