L’agriculture durable selon le World Economic Forum
Lancée en 2009 par le World Economic Forum, l’initiative « New Vision for Agriculture » se donne pour mission de transformer l’agriculture dans les pays du sud d’ici à 2050. Au programme : sécurité alimentaire, opportunités économiques et développement durable. Mais la réalité est tout autre, comme nous le démontre l’ONG Grain dans son dernier rapport.
Le World Economic Forum (WEF) est une organisation internationale qui s’emploie à rendre le monde meilleur en développant des partenariats publics-privés. Le WEF doute des capacités de l’agriculture pratiquée actuellement dans les pays du sud pour nourrir 9,5 milliards d’êtres humains en 2050. C’est pourquoi ces personnes bienveillantes du WEF ont en 2009 lancé « New Vision for Agriculture » (NAV), un programme se déclinant sous les appellations Grow Asia, Grow Africa et Grow Latin America dans les régions respectives. Cette vision de l’agriculture se donne 3 objectifs à atteindre chaque décennie et ce jusqu’en 2050 :
- Augmenter les rendements agricoles de 20% ;
- Réduire les émissions de CO2 de 20% ;
- Réduire la pauvreté de 20%.
La petite vidéo sympathique des humanistes du WEF qui, grâce à leur action, redonnent le sourire aux agriculteurs vietnamiens :
Sur la page de présentation du NAV, on aperçoit sur la droite les partenaires du projet. Parmi ces bienfaiteurs de l’humanité, on retrouve BASF, Bayer, Syngenta, Cargill, Carlsberg, Heineken, Nestlé, Deloitte, Dupont, McKinsey ou encore le célèbre Monsanto.
Bien évidemment, le World Economic Forum se garde bien de mentionner le chiffre de la FAO (Food and Agriculture Organization) sur le gaspillage alimentaire : 1,3 milliard de tonnes de nourriture sont gaspillées ou perdues chaque année, soit 1/3 de la production mondiale. Selon le WEF, produire plus est l’unique solution pour répondre aux challenges de demain.
Une drôle de conception de la sécurité alimentaire
Après lecture du rapport de l’ONG Grain, un gouffre se dessine entre la communication du WEF et la réalité du terrain :
- Grow Asia a établi son principal projet au Vietnam dans la province de Lam Dong. Le groupe PepsiCo y développe la culture de pommes de terre pour sa marque de chips Lay’s. Un aliment nutritif et riche en vitamines dont les vertus ne sont plus à démontrer.
- Toujours au Vietnam, Monsanto et Syngenta veulent remplacer dans les 5 prochaines années 668 000 hectares de production traditionnelle de riz par la culture de maïs hybride pour nourrir des animaux d’élevage. Les agriculteurs ne produisant plus leur aliment de base, ils dépendent alors d’hommes d’affaires qui leur fournissent à crédit du riz de mauvaise qualité. On a connu mieux pour garantir la sécurité alimentaire d’un pays.
Opportunité économique pour les petits paysans, vraiment ?
Grain explique que Grow Asia sert en fait à concentrer les efforts de lobbying de PepsiCo, Nestlé, Monsanto et d’autres géants de l’agroalimentaire. Ses actions visent entre autres à modifier la loi vietnamienne sur les semences pour supprimer les tests à effectuer avant leur autorisation dans le pays.
Sur le terrain, des hommes employés par ces mêmes entreprises encouragent et vantent les mérites de l’agriculture sous contrat. Ils profitent de l’illettrisme de certaines populations et cachent aux agriculteurs qu’ils travaillent dans le cadre d’un programme initié par des géants de l’agribusiness. La finalité ? Contraindre les paysans à acheter les semences et à vendre leur production aux entreprises membres de Grow. Cette solution se révèle être beaucoup plus rentable que la location ou le leasing de terres agricoles pour une production à grande échelle.
Pour les agriculteurs, c’est un jeu dangereux. Certains réalisent des profits importants tandis que d’autres sont obligés de vendre leurs terres pour rembourser les dettes. Ceux qui profitent le plus de ce système sont les fermiers qui s’en sortaient déjà bien avant. Dans le nord du Vietnam, le projet dirigé par Monsanto et Syngenta évoqué plus haut a déjà eu un impact significatif sur l’ethnie Xinh Mun. Les familles sont forcées de s’endetter pour acheter des graines de maïs et des fertilisants qu’ils ne pourront payer qu’à la prochaine récolte, en plus d’intérêts élevés. Et comme si cela ne suffisait pas, les paysans vendent leur maïs à un prix inférieur à celui du marché, comme stipulé dans leur contrat qu’ils ont signé sans rien y comprendre, la plupart d’entre eux étant illettrés. Pour en savoir plus sur la situation des Xinh Mun, vous pouvez lire cet article en anglais publié par Grain.
Et l’environnement dans tout ça ?
Le développement durable selon le WEF :
- Diminution de la biodiversité : les variétés de semences locales naturellement résistantes au climat et aux maladies sont remplacées par les hybrides non reproductibles et moins nutritives.
- Augmentation de l’utilisation de fertilisants à base d’azote pour la culture de pommes de terre et de maïs au Vietnam et en Indonésie car les variétés hybrides en réclament davantage que les variétés locales. Ces engrais représentent la plus grande source de gaz à effet de serre provenant de la production agricole.
- Pollution et épuisement des nappes phréatiques.
- Le WEF veut connecter les pays du sud à une chaîne de valeur mondialisée et offrir un accès à ce marché aux petits paysans. Or l’augmentation de la production agricole destinée à l’export et à la nourriture industrielle est en contradiction totale avec un objectif de réduction des émissions (transport, transformation, stockage, emballage, réfrigération et marketing).
Le World Economic Forum réinvente les partenariats publics privés. Ici, ce sont les firmes qui amènent ONG, gouvernements et fermiers à soutenir leurs projets et non l’inverse. Le programme NAV, ce sont en réalité des actions locales de lobbying sous la dénomination Grow Asia, Grow Africa et Grow Latin America. En facilitant l’accès des grands groupes de l’agroalimentaire aux producteurs et aux marchés locaux, le NAV permet aux firmes de :
- Prendre le contrôle du marché des semences et des intrants ;
- S’accaparer toute la chaine logistique, des graines au produit fini industriel, packagé et vendu dans les rayons chez Walmart par exemple.
Contrairement aux propos du World Economic Forum dans leur vidéo de propagande, absolument rien n’est fait pour enrayer la pauvreté, la malnutrition ou pour préserver l’environnement. Et comme on a pu le voir grâce aux enquêtes de Grain sur le terrain, la situation des paysans peut sérieusement se détériorer après leur adhésion au programme Grow.
Si après lecture, vous souhaitez rendre visite à nos camarades du World Economic Forum, sachez qu’ils se réunissent du 17 au 20 janvier 2017 à Davos.