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La Wehrmacht, une armée (éco)innovante et décarbonée

À l’occasion du 8 mai, un article volontairement provocateur pour dénoncer la bêtise des discours usant et abusant d’une novlangue débilitante ponctuée d’ « Europe post-carbone », d’ « économie décarbonée » et de « neutralité carbone ». Derrière ces exposés rapidement approuvés par les masses et le monde des affaires – industries, progrès technique ou encore mode de vie ne sont jamais remis en cause, ce qui arrange tout le monde en Occident –, se cache une réalité bien sombre. Les militants du mouvement climat rêvant d’une société éco-industrielle décarbonée, les collapsologues et les gens de gauche dans leur immense majorité ont tendance à l’ignorer ou à l’occulter, mais l’impérialisme et le militarisme étaient deux composantes essentielles à la naissance de leur civilisation qu’ils désirent tant préserver de l’effondrement. Ils trouveront peut-être un peu de réconfort en apprenant que l’Allemagne nazie et sa Wehrmacht étaient un modèle de « résilience » sur le plan énergétique, une nouvelle qui mettra assurément un peu de baume au cœur aux Servignistes et autres Jancovichistes, ces dépressifs chroniques pleurant le déclin civilisationnel. Le complexe militaro-industriel – donc la civilisation – est viable sans pétrole, hourra ! Cet article ravira également les ingénieurs-décarboneurs de tous bords travaillant d’arrache-pied au sauvetage de cette culture cinglée nous menant droit vers un nouveau conflit mondial[i].

En ce jour anniversaire de la capitulation allemande qui a mis fin à une énième boucherie gigantesque et absurde – mais inhérente au fonctionnement de la civilisation industrielle, de toute civilisation –, il est surprenant de ne pas entendre les zélateurs et autres ahuris de l’ « économie décarbonée », ainsi que les fondamentalistes du « marché du carbone », chanter les louanges de l’armée nazie, un modèle de réussite en matière d’ « efficacité énergétique » et de « décarbonisation ».

En effet, la composante terrestre des forces du Troisième Reich comptait à 80 % sur la traction animale pour sa logistique, et plus particulièrement sur les chevaux[ii]. Contrairement à une légende tenace sur la supériorité technique de l’armée nazie, l’accès limité de l’État allemand aux énergies fossiles, ainsi que le retard accusé par l’industrie automobile et les infrastructures, imposaient des contraintes élevées aux troupes d’Hitler. En moyenne et tout au long de la guerre, ce sont 1,1 million d’équidés qui ont été employés pour transporter le matériel et l’armement de l’infanterie[iii]. Sur les 322 divisions allemandes au milieu de la guerre en 1943, seules 52 étaient motorisées.


Cavalerie SS en 1941, Russie. (source : Bundesarchiv, Bild 101III-Adendorff-002-18A / Adendorf, Peter / CC-BY-SA 3.0)

Voici un court résumé du livre German Horse Power. Horse Drawn Elements of the German Army (« La puissance allemande. Les chevaux dans la logistique de l’armée allemande ») :

« Malgré les centaines de milliers de véhicules à moteur utilisés par les forces allemandes pendant la Seconde Guerre mondiale, les forces armées allemandes étaient encore extrêmement dépendantes du cheval. 

Le transport hippomobile était particulièrement important pour l’Allemagne, car elle manquait de ressources pétrolières naturelles. L’infanterie et l’artillerie allemande dépendaient beaucoup des véhicules tirés par des chevaux, en particulier dans leur chaîne d’approvisionnement et leur logistique. Chaque unité allemande employait des milliers de chevaux et des milliers d’hommes prenaient soin d’eux.

Cet album photos abondamment illustré comprend de nombreuses photos inédites, dont beaucoup proviennent de sources privées en Allemagne[iv]. »



Étienne Martel-Porchier, chercheur au Conservatoire national des arts et métiers (CNAM) et auteur du livre Robots tueurs : la guerre déshumanisée, les robots et les drones autonomes visent zéro mort, a publié en 2020 dans la revue The Conservation un article intitulé « Le changement climatique, adversaire le plus dangereux de l’armée américaine » qui nous en apprend un peu plus sur les étonnantes facultés de l’Allemagne nazie dans sa gestion de la contrainte énergétique :

« Dès les années 1930, le général Heinz Gudérian s’inquiétait des restrictions en matière d’approvisionnement en carburant. Au-delà d’un gigantesque programme de construction d’usines d’essence synthétique, les Allemands décidèrent de concevoir des engins légers et économes.

L’excellence tactique permettant de maximiser l’utilisation d’appareils moins armés et protégés que ceux de leurs adversaires. Dans le domaine des véhicules de transport, le side-car Zündapp, qui permettait de transporter trois soldats, en est l’exemple le plus représentatif avec sa consommation de 7 litres aux 100 km. Le véhicule tout-terrain allemand ou Kubelwagen est plutôt médiocre si on le compare à la Jeep américaine : si on prend en compte sa faible consommation (8 litres aux 100 km), on ne peut être qu’étonné par ses exceptionnelles performances. D’autre part, la Wehrmacht, la première à mener la Blitzkrieg, est plutôt une armée hippomobile. Car contrairement à une légende tenace, l’infanterie constitue le cœur de cette armée.

Dans le domaine aérien, il fut beaucoup plus difficile de suppléer à l’insuffisance de carburant. Cela eut des conséquences fâcheuses en termes d’entraînement des jeunes pilotes. En 1945, les Allemands expérimentèrent un avion-fusée utilisant un combustible non dérivé du pétrole : le Messerschmitt Me 163 Komet. Les résultats furent décevants. Plus prometteuses furent leurs recherches tardives sur un système anti-aérien à base de missiles à poudre. Mais ces engins ne dépassèrent jamais l’état de prototypes. À partir de 1944, les contraintes énergétiques devinrent telles que l’armée allemande s’effondra, incapable d’assumer l’effort logistique nécessaire à son approvisionnement[v]. »


Soldats allemands chargeant des chevaux dans un wagon de train, un autre moyen de transport « décarboné ». (source : Bundesarchiv, Bild 101I-217-0473-23A / Scheffler / CC-BY-SA 3.0)

Artillerie à cheval en Bessarabie (actuelle Roumanie), 1941. (source : Sueddeutsche Zeitung Photo )

Artillerie à cheval.

Cette même contrainte énergétique met aujourd’hui sous pression la civilisation industrielle et ses forces armées réfléchissent à diverses stratégies pour s’adapter à la nouvelle donne. Dans un autre article publié sur le site The Conversation, Thierry Berthier, chercheur en cyberdéfense à Saint-Cyr, et Nicolas Mazzucchi, chargé de recherche à la Fondation pour la recherche stratégique et responsable du module risque de l’Executive Master « énergie, environnement et régulation » à Sciences po, détaillent les recommandations du rapport Implications of Climate Change for the U.S. Army (« Les conséquences du changement climatique pour l’armée états-unienne »). Sans surprise, l’ensemble des technologies dites « vertes » (panneaux solaires, gestion, stockage, etc.), ainsi que celles de l’industrie numérique (Big Data, intelligence artificielle, robotisation, etc.), sont mises à contribution par le complexe militaro-industriel afin d’atteindre l’objectif qui est le sien : la guerre « durable », pour sauver la civilisation et son progrès.

Ainsi, grâce au passage d’un modèle « tout-hydrocarbure » à un modèle mixte « hydrocarbure-électrique », les forces armées états-uniennes espèrent renforcer leur « résilience », prérequis indispensable à la future guerre planant au-dessus de nos têtes pour les ressources encore abondantes en matières premières du sous-sol arctique :

« La zone arctique, qui dispose d’importantes ressources en hydrocarbures, fera l’objet de toutes les convoitises, notamment chinoises et russes. Il s’agira pour l’armée américaine de tirer parti de ces ressources en utilisant les nouvelles routes ouvertes par la fonte des glaces tout en contrant l’expansionnisme russe dans cette zone stratégique[vi]. »

Depuis plusieurs années, les États-Unis et la Chine, suivis par leurs États vassaux respectifs, sont en bon chemin pour un affrontement militaire de grande ampleur[vii]. Comment pourrait-il en être autrement dans le cadre d’un système nécessitant un approvisionnement exponentiel en ressources matérielles (énergies, métaux, matériaux de toutes sortes, etc.) pour se maintenir, mais évoluant dans un monde matériellement limité ?



Par ailleurs, il faut rappeler au fanclub du nucléariste Jancovici que la technologie à eau pressurisée équipant 93% des réacteurs nucléaires français a été développée par la firme états-unienne Westinghouse[viii] pour les navires et les sous-marins de l’US Navy[ix]. Sur le même sujet, on peut également lire ceci sur le site de la Zircon Industry Association [le zircon est un minéral lourd essentiel à la construction et au fonctionnement des réacteurs nucléaires à eau pressurisée, Ndr]:

« Au début des années 1950, la décision d’utiliser un alliage de zirconium dans les gaines de combustible nucléaire était essentiellement due à l’amiral Hyman Rickover de la marine américaine. Chargé de développer des navires et des sous-marins à propulsion nucléaire, Rickover s’est rendu compte que le réacteur utilisé dans les navires devait être compact, il devait aussi pouvoir fonctionner lorsque le navire subissait du roulis ou tanguait, ou à un certain angle lorsque le sous-marin plongeait ou faisait surface.

Un réacteur à eau pressurisée (REP) a été envisagé, avec comme besoin un matériau de gainage du combustible nucléaire qui résisterait à la corrosion à des températures élevées sur de longues périodes, qui maintiendrait son intégrité dans un environnement de rayonnement intense et n’absorberait pas les neutrons nécessaires à la réaction nucléaire[x]. »

Le développement de technologies « neutres en carbone » pour sauver la civilisation de l’effondrement nous mène de manière assez certaine vers une énième boucherie d’envergure mondiale, mais une boucherie fort heureusement « neutre en carbone » !


Le side-car Zündapp de la Wehrmacht. (source : Wikipédia)

Kubelwagen qui va peut-être bientôt connaître une nouvelle jeunesse avec les décarboneurs du Shift Project souhaitant généraliser la bagnole consommant moins de 2l/100km. Faut-il leur rappeler ce qu’est un effet rebond ? (source photo : Wikipédia)

[i] https://www.lemonde.fr/international/article/2020/06/17/la-france-se-prepare-a-endurcir-l-armee-de-terre_6043162_3210.html

[ii] https://www.zdnet.com/article/the-wwii-german-army-was-80-horse-drawn-business-lessons-from-history/

[iii] https://en.wikipedia.org/wiki/Horses_in_World_War_II

[iv] https://www.avions-bateaux.com/produit/mushroom-mmp-stratus/3354

[v] https://theconversation.com/le-changement-climatique-adversaire-le-plus-dangereux-de-larmee-americaine-129479

[vi] https://theconversation.com/defense-et-changement-climatique-quel-modele-pour-les-armees-de-demain-128641

[vii] https://www.partage-le.com/2016/12/22/la-menace-dune-guerre-contre-la-chine-2016/

[viii] https://www.westinghousenuclear.com/france

[ix] https://www.intechopen.com/books/nuclear-power-deployment-operation-and-sustainability/nuclear-naval-propulsion

[x] https://www.zircon-association.org/zirconium%E2%80%99s-essential-role-in-nuclear-engineering.html

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