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Langues et biodiversité disparaissent ensemble

Traduction d’un article publié en 2019 par Shayla Love sur le média VICE.


En 2018, lorsque Soner Oruç et Ceren Kazancı ont visité le Caucase, une région montagneuse entre la mer Noire et la mer Caspienne, une plante locale appelée kurum était presque impossible à trouver. Dans les années 1970, le kurum, une herbe surmontée d’une tête fleurie, avec des graines ressemblant à du millet, avait été une source de nourriture importante pour le peuple Laz, l’un des groupes indigènes vivant dans la région, près de la frontière entre la Turquie et la Géorgie. Mais aujourd’hui, le kurum ne se trouve plus que sous forme de graines pour oiseaux.

La plante a emporté avec elle quelque chose d’inattendu dans l’oubli : les mots indigènes utilisés pour la décrire. « Son rôle de nourriture pour l’homme a été effacé de la terre, tout comme les souvenirs des espèces végétales qui lui sont liées, les procédés de culture et de récolte, et le pain, la soupe, le riz et les autres plats traditionnels qui lui sont associés », écrivait Oruç, un ornithologue, et Kazancı, un étudiant en doctorat. « Malheureusement, tous les mots locaux liés à cette plante ont disparu sans laisser de trace. »

Le Fonds mondial pour la nature (WWF) décrit le Caucase comme « l’une des régions du monde les plus riches sur le plan biologique et pourtant les plus menacées. » Elle contient plus du double de la diversité animale des terres voisines, mais sa biodiversité – la variété de la vie végétale et animale dans un écosystème – disparaît rapidement en raison des activités humaines. À cet égard, le Caucase n’est pas unique. Au début de cette année, un rapport des Nations unies (ONU) sur la biodiversité mondiale a révélé que les humains ont mis jusqu’à un million d’autres espèces en danger d’extinction, en altérant ou en détruisant les trois quarts des environnements terrestres du monde, les deux tiers de ses habitats marins et 85 % des plus importantes zones humides.

La perte du kurum révèle que la langue est une autre victime de la perte de biodiversité. Depuis les années 1990, les scientifiques ont remarqué que les zones où l’on trouve une forte diversité biologique abritent également de nombreuses langues différentes. Lorsque ces zones sont confrontées à une perte d’espèces végétales et animales, il peut y avoir des extinctions similaires de mots, de phrases ou même de langues entières.

Les pertes d’habitat qui touchent les espèces peuvent affecter les populations indigènes, modifiant leur relation avec la terre – et par extension, la langue qu’elles utilisent – ou les forçant à se déplacer vers des endroits où elles doivent cesser de parler leur langue maternelle. L’afflux d’étrangers et d’industries peut également amener les gens à privilégier d’autres langues, même s’ils restent au même endroit. Dans certains cas, les dommages causés à la diversité culturelle et linguistique semblent passer en premier, et se répercuter sur l’environnement par l’abandon des connaissances indigènes et la protection des écosystèmes locaux.

Alors que nous sommes confrontés à une situation urgente, face à la perte de biodiversité et au changement climatique tous deux provoqués par les activités humaines, ces interactions complexes entre langues et biodiversité nous rappellent que nos existences culturelles sont également enveloppées dans le monde naturel. Tout comme une espèce animale, nos langues ont évolué dans le contexte des milieux naturels qui les entouraient. Lorsque nous modifions ces environnements, nous menaçons bien plus que les seuls êtres vivants qui évoluent dans ces systèmes.

Au milieu des années 1990, au moment même où les biologistes et les conservationnistes sonnaient l’alarme sur la perte de biodiversité mondiale, les linguistes et les anthropologues s’inquiétaient également de la disparition de cultures et de langues dans le monde. Luisa Maffi, une chercheuse ayant une formation en linguistique, anthropologie et sciences naturelles, a estimé que ce n’était pas une coïncidence.

« J’ai eu l’intuition que tous ces phénomènes de perte de diversité devaient être liés », a déclaré Maffi, aujourd’hui directrice de Terralingua, une organisation à but non lucratif qu’elle a cofondée et qui s’intéresse à la diversité dans la nature et la culture. « J’ai vu la biodiversité, la diversité culturelle et la diversité linguistique comme des manifestations distinctes mais interdépendantes de la diversité de la vie sur terre, et j’ai pensé qu’il devait y avoir des causes et des conséquences communes à la perte de chacune d’entre elles. »

Terralingua a contribué à la création d’un indice de la diversité linguistique dans le monde. Entre 1970 et 2005, les recherches ont montré que la diversité linguistique avait diminué de 20 %. En réponse à l’intuition de Maffi, Terralingua a également dressé des cartes montrant le chevauchement entre la biodiversité et la diversité linguistique et a comparé les pertes. Les deux se suivaient de près. Maffi a contribué à inventer l’expression « diversité bioculturelle », un clin d’œil au fait que la diversité biologique, linguistique et culturelle a tendance à converger dans les mêmes zones.

Une étude plus récente publiée par PNAS a confirmé que les régions ayant un niveau élevé de biodiversité contiennent également une grande partie de la diversité linguistique du monde. Sur près de 7 000 langues sur Terre, plus de 4 800 sont parlées dans ces zones de grande diversité biologique. Cela signifie que près de 70 % des langues sont parlées sur environ 25 % de la surface de la Terre, soit les mêmes zones où se concentre la diversité des espèces.

Beaucoup de ces langues sont en voie d’extinction, tout comme les espèces qui y vivent. Les linguistes estiment que 50 à 90 % des langues du monde vont disparaître d’ici la fin du siècle, et quatre langues indigènes sur dix sont menacées de disparition, selon les experts des droits de l’homme des Nations unies. Environ 2 800 des langues qui se trouvent dans ces zones de grande biodiversité sont en danger – elles comptent 10 000 locuteurs ou moins. Plus de 1 200 de ces langues comptent 1 000 locuteurs ou moins.

La plupart des langues du monde sont déjà parlées par un très petit nombre de personnes. Environ la moitié de la population mondiale parle l’une des vingt-quatre langues dominantes, comme l’anglais, l’espagnol, le mandarin, le russe, l’hindi et l’arabe, a déclaré Jonathan Loh, associé de recherche honoraire à l’université de Kent, à l’école d’anthropologie et de conservation, qui a précédemment contribué à la production du rapport The Living Planet Report pour le WWF, un état des lieux annuel sur la biodiversité de la planète.

Selon Jonathan Loh :

« En tant que biologiste, je vois ce processus très semblable – ou parallèle – à la situation des espèces envahissantes, qui peuvent être transportées d’une partie du monde à une autre. Les espèces indigènes commencent alors à disparaître en raison de la concurrence, de la prédation ou de la propagation de maladies. »

Contrairement à l’extinction d’une espèce, une langue n’est pas nécessairement perdue parce que tous les locuteurs meurent. C’est généralement parce qu’une population est obligée de vivre dans un contexte différent et cesse de pratiquer sa langue, parfois contrainte par l’usage de la force.

Dans l’actuel parc national de Yosemite, des peuples indigènes appelés Paiutes et Miwoks vivaient autrefois sur ces terres et les géraient pour les cultures vivrières et le gibier. Le gouvernement américain a chassé les Amérindiens de leurs terres lors de la création des parcs nationaux, et lorsque les indigènes de la vallée du Yosemite sont partis, le lien entre leurs pratiques culturelles indigènes et cet environnement s’est rompu.

John Muir, naturaliste « père des parcs nationaux », a été impressionné par la beauté de la vallée du Yosemite, mais il n’a pas réalisé que c’était en grande partie dû au travail de la terre des amérindiens. Quarante ans après la disparition des indigènes du Yosemite, le gardien de l’État de la concession du Yosemite a constaté que presque toute la prairie de la zone avait disparu. Les Amérindiens utilisaient le feu pour nettoyer régulièrement la vallée, et ces feux contribuaient à sa biodiversité ; un rapport de 1996 du Sierra Nevada Ecosystem Project révélait que beaucoup de plantes indigènes du Yosemite sont intolérantes à l’ombre – les feux ont enlevé les grands arbres qui avaient empêché ces plantes de pousser, et « le résultat a été que la diversité végétale a été maximisée. »

« L’entretien soigneux des Miwoks et des Paiutes pendant des millénaires, soutenu par leurs langues qui détaillent les techniques et le terrain sans pouvoir le traduire directement en anglais, est tombé en ruine après que les gens aient été forcés de quitter la vallée », rapporte The Revelator. « Les bosquets ouverts de chênes, de saules et de carex ont laissé la place à un surpeuplement de conifères, des aiguilles mortes, de l’herbe et des sous-bois. »

Des espèces comme le tournesol laineux de Yosemite, une petite fleur jaune de la famille des marguerites, et le carex de Tompkin, une herbe indigène, ont commencé à mourir par manque de soleil et par concurrence avec d’autres espèces. Les populations d’espèces animales, comme le renard roux de la Sierra Nevada, ont également commencé à diminuer. Cette perte de biodiversité s’est accompagnée d’une chute de la santé de la langue indigène, comme l’a souligné The Revelator : aujourd’hui, seules 400 personnes parlent la langue Paiute du Nord, parlée au Yosemite, et seules trois personnes parlent le Miwok du Sud de la Sierra.

Jonathan Loh considère les langues comme des espèces à part entière qui interagissent avec les milieux naturels qui les entourent. Elles se développent, évoluent et dépendent des animaux et des plantes qui y vivent. Les arbres généalogiques peuvent être dessinés pour les langues, tout comme ils peuvent l’être pour les espèces animales. Une fois qu’ils sont retirés de ces environnements, ils commencent à s’effacer.

Aujourd’hui, la plupart des habitats naturels sont perdus, non pas pour les parcs naturels*, mais pour la production agricole ou l’extraction des ressources, a déclaré Larry Gorenflo, géographe et professeur à la Penn State University et premier auteur du papier de PNAS.

*[D’après l’enquête Les réfugiés de la conservation réalisée par le journaliste Mark Dowie, les peuples indigènes considèrent aujourd’hui la création d’aires protégées comme la principale menace pour leurs communautés, NdT]

Il a relaté l’un des nombreux exemples contemporains : la culture du soja empiète actuellement sur une zone de prairie brésilienne appelée le Cerrado, où l’on compte 216 territoires indigènes et 83 groupes ethniques différents, ainsi que plus de 4 800 espèces que l’on ne trouve nulle part ailleurs dans le monde. La conversion de cette zone en terres agricoles a entraîné la déforestation, un afflux d’agriculteurs et la perturbation des écosystèmes locaux, autant de facteurs qui ont eu un effet dévastateur sur la diversité bioculturelle.

« Il y a une grande partie de l’habitat naturel sur lequel reposait la subsistance des peuples indigènes, qui parlaient des langues indigènes, qui n’existe plus », selon M. Gorenflo. « Ils se sont donc éloignés ou, dans certains cas, se sont convertis, se sont occidentalisés et, ce faisant, ont perdu leurs langues. »

Lorsqu’une langue se perd, ce ne sont pas seulement les mots et la grammaire qui disparaissent, beaucoup d’autres aspects de la culture commencent à disparaître. Les cultures indigènes sont riches en connaissances écologiques et environnementales, c’est-à-dire que les faits concernant les différentes plantes, les animaux et les écosystèmes sont liés à la langue.

Dans la base orientale des Andes péruviennes centrales, la tribu Amuesha possède une longue histoire de culture de différentes sortes de manioc, un légume-racine. L’altitude et la topographie modifient la façon dont il est cultivé, les ravageurs qui essaient de le manger, et sa taille ou sa couleur. Dans une seule étude, jusqu’à 700 variétés de manioc ont été nommées.

Les Amuesha sont gravement menacés, et une étude a révélé que « la perte de locuteurs et de gardiens du savoir parmi les Amuesha a eu un impact direct et négatif sur la diversité » du manioc. Les noms et les connaissances sur les types de manioc étaient ancrés dans les chants traditionnels, les couleurs, ou associés à la terminologie d’autres plantes et animaux locaux.

Un mythe Amuesha prétend qu’avant le début de ce monde, les racines du manioc étaient humaines, et qu’à la fin du monde, elles redeviendraient humaines. Cela a conduit à élever l’importance culturelle pour la production de manioc, et a montré à quel point le manioc était cultivé avec attention et délicatesse – les champs devaient être organisés, car la légende dit que le manioc était soigné et minutieux quand il était humain.

Le manioc était l’apanage des femmes, et les champs étaient un endroit tellement protégé que même les filles devaient demander la permission pour entrer dans les champs de leur mère. Les femmes chantaient la « Chanson des cultures » pour le manioc qui poussait : « Tu es heureux maintenant que nous te cultivons. »

Toutes ces connaissances indigènes, rassemblées en des pratiques culturelles et une langue, ont encouragé l’appréciation et la compréhension de la diversité du manioc. Lorsque la langue a commencé à disparaître, les compétences et les capacités à cultiver le manioc se sont également effondrées, ce qui a entraîné une diminution du nombre de variétés de manioc. Le manioc est maintenant cultivé principalement pour les marchés traditionnels, où « la variété de manioc n’a pas d’importance, seule la production compte. »

« La perte de la langue a eu des conséquences environnementales aussi bien que purement culturelles », a déclaré M. Loh.

À cet égard, Maffi considère la présence de la langue et de la biodiversité dans un lieu non seulement comme une association, mais comme deux facteurs interdépendants qui s’appuient l’un sur l’autre. Si l’environnement naturel devient dysfonctionnel et entraîne une perte de biodiversité, cela peut entraîner la perte de la culture et de la langue. Mais elle voit des cas où les changements culturels et linguistiques viennent en premier, comme dans le cas du manioc, et où la dégradation de l’environnement suit.

« Le fait d’être exclus de leurs terres et interdits de poursuivre leurs modes de vie, et de se voir imposer des cultures et des langues étrangères, rendrait pratiquement impossible pour les populations locales de continuer à prendre soin de l’environnement naturel comme elles le faisaient auparavant », déclare Luisa Maffi. « Dans le même temps, les colons, qui ne sont pas guidés ni limités par ces mêmes valeurs, exploitent souvent sans discernement la terre et ses ressources, ce qui entraîne une dégradation de l’environnement. »

Ces récits soulèvent une perspective intrigante, selon Maffi. S’il existe un lien de cause à effet entre la biodiversité et la culture, peut-être que la préservation de la culture peut également agir comme une forme de conservation écologique.

En étudiant et en revitalisant les dictons ancestraux du peuple Maori de Nouvelle-Zélande, de nouvelles informations ont été trouvées sur la culture des plantes, des sols et des nutriments, et sur le paysage. Dans une analyse séparée des données satellites, les chercheurs ont découvert que les terres indigènes pouvaient servir de barrières à la déforestation.

À Hawaii, les populations de tortues de mer vertes, ou honus, ont diminué en même temps que la pratique de la langue hawaiienne, qui a été interdite dans les écoles publiques en 1896. Mais dans les années 70 et 80, des efforts considérables ont été déployés pour faire connaître la culture et la langue à la population. « Le taux de nidification des honus a augmenté de 53 % au cours des 25 dernières années, tout comme celui des tortues hawaïennes depuis les années 1980 », écrivait le quotidien The Revelator en 2018 à propos de cette corrélation.

C’est une façon potentielle d’utiliser cette association pour le bien : si les efforts pour préserver la diversité culturelle et indigène, ainsi que la langue, peuvent se répercuter sur la biodiversité globale, il pourrait être possible dans la stratégie de préserver les deux.

Le bosquet d’Albany, également connu sous le nom de « forêt Xhosa », est un écosystème critique et menacé qui a des liens culturels de longue date avec les Xhosa, un groupe indigène situé principalement dans les provinces du Cap-Oriental et du Cap-Occidental en Afrique du Sud.

Le lien profond des Xhosa avec la forêt « a imprégné la langue des Xhosa, imprégnant des idiomes, des proverbes, des énigmes, des noms de mois et d’heures de la journée, des histoires, des légendes, des chansons, des chants, et plus encore », selon Terralingua.

Dans une étude publiée en 2012 dans le South African Journal of Science, les auteurs ont évalué la signification culturelle de la forêt et ont trouvé des liens entre l’utilisation de la langue traditionnelle et la terre. « J’aime aller dans la forêt avec mes amis et ma mère pour ramasser du bois de chauffage », a déclaré une jeune fille de 15 ans. « Nous bavardons et ma mère m’apprend les noms des arbres et j’enseigne à mes amis. Je me sens heureuse quand je suis dans la forêt. » Un homme de 30 ans a dit : « Je montre à mon fils de 3 ans les médecines traditionnelles de la forêt. Il est important qu’il connaisse ces choses [parce que] cela fait partie de notre culture, c’est cela être Xhosa ! »

Une personne habitant le Montana ou Ottawa ne verra jamais la forêt Xhosa, alors quelle importance pour cet étranger de préserver les mots décrivant ce milieu naturel ? Selon M. Loh, c’est une perspective qu’il entend également dans le contexte du déclin de la biodiversité. Si une plante ou un animal rare disparaît à l’autre bout du monde, est-ce vraiment important ? Cela peut sembler encore plus abstrait quand il s’agit de langage.

Jonathan Loh dit qu’il y a plusieurs raisons de s’en soucier. L’une d’entre elles est fondée sur un principe : nous pourrions nous en soucier parce qu’une fois qu’une espèce s’éteint, elle est probablement partie pour toujours. De même, lorsqu’un aspect d’une culture ou d’un peuple indigène disparaît, un produit unique de l’évolution culturelle disparaît également.

Si cela ne fonctionne pas, il y a une motivation utilitaire. « Nous pourrions tirer un bénéfice des milliers de personnes différentes dans le monde qui ont la connaissance la plus intime de leur environnement naturel », a déclaré M. Loh. « Les façons dont il est possible de survivre dans cet environnement, les façons dont les différentes plantes et les différents animaux peuvent être utilisés, comment ils sont capturés, cueillis ou chassés, comment ils sont préparés, cuits ou stockés, s’ils ont une valeur médicinale – toutes ces connaissances, et c’est une vaste banque de connaissances, sont en train de s’éroder. »

Les chercheurs du projet Hans Rausing Endangered Languages de la School of Oriental and African Studies de Londres ont écrit que « chaque dernier mot signifie un autre monde perdu. » Nous pourrions considérer la langue comme une simple variable de la culture, mais cela ne tient pas compte de la nuance que les mots apportent à notre expérience vécue. Le mot très spécifique d’une langue pour un sentiment particulier – par exemple, le mot portugais saudade, défini comme un sentiment de « désir » qui est « caractéristique du tempérament brésilien » – pourrait en fait faciliter l’expérience de ce sentiment, ou du moins la reconnaissance de celui-ci.

Les mots font plus que simplement décrire, ils ont une signification en soi. Selon la légende, Charles Quint, un empereur du Saint Empire romain, utilisait l’espagnol quand il parlait à Dieu, le français quand il parlait aux hommes, l’italien quand il parlait aux femmes et l’allemand pour converser avec son cheval. Dans un essai sur le fait de parler plusieurs langues, le romancier Ben Faccini rappelait le dégoût de son père francophone pour toutes les traductions anglaises de « tant pis ». « Too Bad », « nevermind » ou « oh well » ne lui rendaient pas tout à fait justice, et les gestes d’accompagnement n’étaient certainement pas les mêmes non plus. »

La disparition des langues menace de nous faire courir le risque, comme l’expliquait le linguiste australien Peter Mühlhäusler, de nous retrouver avec des « angles morts culturels », ou de ne pas être capables de reconnaître d’autres façons d’être, de penser et de parler.

Selon Luisa Maffi :

« C’est sans doute la conséquence globale la plus cruciale de la perte de diversité culturelle et linguistique, car nous ignorons les leçons tirées d’autres manières d’être humain à nos propres risques et périls. »

En 1981, le biologiste Paul Ehrlich de l’université de Stanford, a avancé l’hypothèse du rivet-popper pour la biodiversité. Les rivets tiennent les éléments d’un avion ensemble et sert d’analogie avec notre écosystème mondial. Il y a probablement une certaine redondance, dans les espèces, dans les langues, tout comme il y a des avions qui ont plus de rivets qu’ils n’en ont besoin. Si vous en retirez un, trois ou cinq, l’avion restera probablement en l’air. Mais si vous continuez à enlever les rivets, vous risquez un effondrement total, et il n’est pas certain quel rivet sera celui qui fera que l’avion entier se brisera en morceaux.

« Je crois de plus en plus que la culture et la nature sont en quelque sorte liées », déclare M. Gorenflo. « Je ne pense pas qu’on puisse maintenir des niveaux élevés de biodiversité dans beaucoup d’endroits sans maintenir la diversité culturelle qui leur est associée partout, dans toutes sortes d’écosystèmes différents. Je pense qu’il est nécessaire de maintenir les deux, ou de perdre les deux, mais vous ne pouvez pas garder l’un et perdre l’autre. »

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