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Le mensonge, une condition nécessaire à la survie du nucléaire

Diplômé de l’École Polytechnique et de l’École Nationale Supérieure des Télécommunications de Paris, président du conseil d’administration du think tank The Shift Project et associé-fondateur du cabinet de consulting Carbone 4 spécialisé dans la décarbonation de l’économie, Jean-Marc Jancovici colporte régulièrement le mensonge selon lequel la radioactivité serait inoffensive voire bénéfique aux écosystèmes. La raison ? Après une explosion de centrale, les nuisibles humains sont contraints de s’enfuir ! Donc, si nous suivons la logique sociopathique d’un Jancovici, il ne nous reste plus qu’à dynamiter allègrement les centrales nucléaires pour sauver la biodiversité. Quel merveilleux programme. On ignore ce qu’ils leur donnent à manger à la cantine de Polytechnique, mais l’effet semble puissant et durable. Dans tous les cas, les biologistes ne sont pas du tout du même avis que Jancovici.

Pour commencer, un extrait de l’entretien donné à Enerpresse en 2012 par Jean-Marc Jancovici :

« Vous êtes un partisan déclaré de l’énergie nucléaire. L’accident de Fukushima ne vous a pas fait changer d’avis ?

Jean-Marc Jancovici : Non. Même si tous les 20 ans se produit un accident similaire, le nucléaire évitera toujours plus de risques qu’il n’en crée. Il n’y a plus de raison sanitaire, aujourd’hui, d’empêcher le retour des populations évacuées à Fukushima, qui, au final, n’aura fait aucun mort par irradiation. De son côté, le million d’évacués pour le barrage des Trois Gorges, parfaitement « renouvelable », est assuré de ne jamais retrouver son « chez lui » ! En France – car c’est loin d’être pareil partout – Fukushima aura surtout été un problème médiatique majeur, avant d’être un désastre sanitaire ou environnemental majeur. Cet embrasement médiatique n’est pas du tout en rapport avec l’importance de cette nuisance dans l’ensemble des problèmes connus dans ce vaste monde. Du point de vue des écosystèmes, et ce n’est pas du tout de l’ironie, un accident de centrale est une excellente nouvelle, car cela crée instantanément une réserve naturelle parfaite ! La vie sauvage ne s’est jamais aussi bien portée dans les environs de Tchernobyl que depuis que les hommes ont été évacués (la colonisation soviétique, à l’inverse, a été une vraie catastrophe pour la flore et la faune). Le niveau de radioactivité est désormais sans effet sur les écosystèmes environnants, et le fait d’avoir évacué le prédateur en chef sur cette terre (nous) a permis le retour des castors, loups, faucons, etc. On a même profité de cette création inattendue de réserve naturelle pour réintroduire des bisons et des chevaux de Przewalski , qui vont très bien merci. La hantise de la radioactivité vient de la crainte que nous avons tous quand nous ne comprenons pas ce qui se passe. Mais ce que nous ne comprenons pas n’est pas nécessairement dangereux pour autant[1]… »

La même année, dans une excellente critique de la nuisance Jancovici publiée par le site Sniadecki, Bertrand Louart cite Le journal de l’environnement :

« Depuis 20 ans, Anders Pape Moller, de l’Université Pierre et Marie Curie de Paris, évalue les effets de la contamination radioactive sur la faune des alentours de la centrale ukrainienne. Et d’après le biologiste danois, pas plus que pour les humains, les rayons bêta et gamma ne sont bons pour les animaux. Ces dernières années, cet ornithologue patenté a publié de nombreux articles sur le déclin des populations d’oiseaux dans la région de Tchernobyl : “Nous avons réalisé de nombreuses campagnes de comptage dans et hors des zones contaminées. Et, à l’intérieur de la zone d’exclusion, les populations d’oiseaux sont, en général, inférieures de moitié à celles que l’on trouve à l’extérieur.”

Jusqu’à présent, ses travaux n’ont porté que sur nos amis à plumes. Avec son habituel compère Timothy Mousseau, de l’université de Caroline du Sud, Anders Pape Moller a voulu en savoir plus. […] Trois années durant, les chercheurs vont observer et baguer des oiseaux, compter bourdons, sauterelles et libellules, traquer les traces des renards. […] “Tous ces animaux sont touchés par les doses de radiations et cela se voit nettement. Dans la zone d’exclusion leurs populations, tant en nombre qu’en diversité, sont moindres qu’à l’extérieur des zones contaminées. Pour certaines espèces d’insectes, la population est 89% moins importante autour de Tchernobyl que dans le reste de l’Ukraine.” »

Plus loin, sur l’extrême nocivité de la radioactivité pour toutes les formes de vie complexes :

« Jancovici passe ainsi tranquillement à côté du fait fondamental concernant la radioactivité : de nombreux biologistes s’accordent en effet à dire que les formes de vie les plus évoluées, à l’organisation plus délicate, n’ont pu apparaître sur Terre qu’à mesure que la radioactivité naturelle des roches ayant formé notre planète décroissait. La nocivité des radioéléments disséminés semble donc être une évidence à partir du moment où l’on élargit l’horizon de sa réflexion à la dimension géologique du phénomène de la radioactivité et qu’on le replace dans le contexte de l’ensemble du vivant et de son histoire, qui contient également la nôtre.

Or, depuis un demi-siècle que cette industrie existe, le “bruit de fond radioactif” s’accroît, au contraire, régulièrement : Fukushima, par exemple, vient de le tripler en quelques mois par ses rejets dans l’océan Pacifique.

L’inévitable dissémination des radioéléments qu’impliquent les activités nucléaires entraine donc une régression des conditions biologiques propres à l’épanouissement de la vie sur Terre et particulièrement de celle des mammifères que nous sommes. Ce n’est donc pas à la bougie, au Moyen-Âge ni même à l’âge des cavernes que nous ramène le nucléaire, mais bien plus loin en arrière dans l’histoire et l’évolution du vivant : du temps où la Terre n’était peuplée que de bactéries… »

Bertrand Louart cite un extrait du livre Les sanctuaires de l’abîme, chronique du désastre de Fukushima :

« En 1982, lors d’une audition devant un comité du Congrès américain, l’amiral Hyman Rickover, artisan dans les années 1950 du prototype du réacteur Mark I – qui sera largement diffusé à travers le monde, notamment au Japon –, ingénieur en chef du Nautilus (le premier sous-marin américain à propulsion nucléaire) et de la première centrale nucléaire américaine de Shippingport (Pennsylvanie), promoteur acharné de la prolifération de l’énergie nucléaire “civile”, icône du complexe militaro-industriel américain, dira, en réponse à une question sur le bien-fondé du développement du nucléaire :

“Il y a deux milliards d’années, la vie n’existait pas sur la Terre à cause des radiations. Avec la puissance nucléaire, nous créons quelque chose que la nature a essayé de détruire pour rendre la vie possible… Chaque fois que vous générez de la radioactivité, vous produisez quelque chose qui continue d’agir, dans certains cas pendant des millions d’années. Je crois que l’espèce humaine va provoquer son propre naufrage, et il est essentiel que nous ayons le contrôle de cette force horrible et que nous essayions de l’éliminer… Je ne crois pas que la puissance nucléaire vaille la peine si elle génère du rayonnement. Alors vous allez me demander pourquoi j’ai développé des navires à propulsion nucléaire. C’est un mal nécessaire. S’il ne tenait qu’à moi, je les coulerais tous… Ai-je répondu à votre question[2] ?” »

Pour enfoncer le clou, citons cet article publié en 2016 dans la revue The Conversation par le biologiste Thimothy A. Mousseau de l’université de Caroline du Sud. Il fait un état des lieux de la santé des écosystèmes à Tchernobyl et Fukushima :

« Dans la région de Tchernobyl, l’exposition aux rayonnements ionisants a provoqué des dommages génétiques et augmenté les taux de mutation pour nombre d’organismes. À ce jour, nous n’avons que très peu d’éléments montrant que certains d’entre eux pourraient évoluer pour devenir plus résistants aux radiations.

L’histoire de l’évolution des organismes est essentielle pour déterminer le degré de leur vulnérabilité au regard des radiations. Dans nos travaux, les espèces ayant montré au fil des années de hauts degrés de mutation – comme l’hirondelle rustique (Hirundo rustica), l’hypolaïs ictérine (Hippolais icterina) et la fauvette à tête noire (Sylvia atricapilla) – sont aussi celles dont les populations déclinent à Tchernobyl. Notre hypothèse est que les espèces diffèrent dans leur capacité à restaurer l’ADN ; ceci concerne à la fois les taux de substitutions nucléotidiques et la sensibilité à la radiation pour les zones étudiées à Tchernobyl.

Tout comme les survivants des bombardements atomiques d’Hiroshima et Nagasaki, les oiseaux et les mammifères de la région souffrent de cataracte et présentent des cerveaux plus petits. Ce sont les conséquences directes de l’exposition aux substances radioactives présentes dans l’air, l’eau et la nourriture. Comme les personnes dont on traite un cancer par radiothérapie, la plupart des oiseaux ont des spermatozoïdes déformés. Dans les zones les plus touchées, près de 40 % des oiseaux mâles sont totalement stériles, ne possédant aucun sperme ou seulement des spermatozoïdes morts en période de reproduction.

Des tumeurs, vraisemblablement cancéreuses, s’observent sur les oiseaux présents dans les zones les plus irradiées. On constate de même des anomalies dans le développement de certaines plantes et insectes.

Étant donné le caractère évident de perturbations d’ordre génétique sur les individus, il n’est pas surprenant que les populations de nombreux animaux présents dans les zones les plus touchées aient décliné. À Tchernobyl, les principaux groupes que nous avons suivis s’avéraient moins nombreux dans les zones les plus contaminées. Ceci concerne les oiseaux, les papillons, les libellules, les abeilles, les sauterelles, les araignées ainsi que de petits et grands mammifères.

Les espèces ne montrent cependant pas toutes les mêmes tendances au déclin. Nombre d’entre elles, à l’image des loups, témoignent d’une densité de population intacte. Et quelques espèces d’oiseaux semblent plus abondantes dans les zones irradiées. Dans les deux cas, ces données nous informent sur les effets de l’absence de prédateurs pour ces espèces.

Il faut également souligner que de vastes portions de la zone d’exclusion de Tchernobyl sont actuellement peu contaminées, offrant un refuge pour de nombreuses espèces. Une étude publiée en 2015 décrit le gibier – sangliers et élans notamment – prospérant dans l’écosystème de Tchernobyl. Mais les conséquences des radiations étudiées en Ukraine et à Fukushima, au Japon, montrent que presque tous les organismes exposés en souffrent très sérieusement. »

À Fukushima, les biologistes ont observé la même tendance :

« Nous avons trouvé globalement les mêmes tendances de déclin en matière de densité et de diversité de populations d’oiseaux, même si certaines espèces apparaissent plus fragilisées que d’autres. Nous avons également constaté le déclin de certains groupes d’insectes, à l’image des papillons, ce qui témoigne vraisemblablement de l’accumulation de mutations néfastes sur plusieurs générations.

Nos plus récents travaux menés à Fukushima ont bénéficié de méthodes d’analyses sophistiquées des doses de radiation reçues par les animaux. Dans notre plus récent article à ce sujet, nous nous sommes associés à des radioécologistes pour reproduire les doses reçues par quelque 7 000 oiseaux. Le rapprochement effectué entre Tchernobyl et Fukushima apporte la preuve que la radiation est la cause profonde des conséquences observées dans ces deux régions[3]. »


[1] https://www.latribune.fr/opinions/tribunes/20120220trib000684006/entretien.-nicolas-sarkozy-a-rate-la-marche-du-grenelle-de-l-environnement-.html

[2] https://sniadecki.wordpress.com/2012/06/14/jancovici-nucleariste/

[3] https://theconversation.com/non-tchernobyl-nest-pas-devenu-une-reserve-naturelle-58335

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