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Ni harmonie, ni équilibre : la nature est chaotique

Traduction d’un article paru dans le New York Times le 31 juillet 1990[1]. Les scientifiques savent depuis des décennies que l’instabilité – et non l’équilibre – est la norme dans les écosystèmes, mais l’idée d’une nature harmonieuse et équilibrée tend à persister dans la « mentalité collective » (Fernand Braudel) de la civilisation. En cherchant un peu, on trouve seulement une poignée de livres et d’articles sur le sujet, pour la plupart en anglais (The Chronicle of Higher Education[2], Aeon[3] ou National Geographic[4]). Je n’ai découvert cette réalité scientifique que très récemment, et dans mes publications plus anciennes il est fort probable que vous trouverez encore les termes « harmonie » ou « équilibre » suggérant que cet état serait l’état normal de la nature.

En réalité, la nature est par essence chaotique, l’harmonie n’existe que dans les films de Disney implantant dès le plus jeune âge une vision ordonnée – donc mensongère – du monde dans le cerveau des enfants. Prenons par exemple le film Le Roi Lion, lorsque Mufasa s’adresse à son jeune fils Simba :

« L’ensemble des choses que tu peux contempler obéit aux lois d’un équilibre délicat. En tant que futur roi, il te faut comprendre cet équilibre et respecter toutes les créatures, de la fourmi qui rampe à l’antilope galopant dans la savane[5]. »

Mais Disney est loin d’être le seul responsable.

Cette idée de l’équilibre dans la nature est très imprégnée dans la culture de la civilisation, et particulièrement dans l’idée fondatrice de l’environnementalisme moderne considérant l’humain comme un perturbateur à extraire du milieu naturel pour le « conserver » dans son état originel. On trouve aussi cette idée d’équilibre dans « l’effort de guerre » mené contre le changement climatique dont l’objectif serait de « réparer la machine climatique ». De l’organisme à l’écosystème en passant par le climat, la nature est perçue dans la culture dominante comme une machine qui serait en temps normal réglée à la manière d’une horloge suisse. Dans cette fable millénaire, tout se passait pour le mieux jusqu’au jour où Homo sapiens a débarqué sur Terre. Cette perception est complètement erronée, puisque les perturbations sont partout et proviennent aussi bien des communautés biotiques elles-mêmes que d’événements climatiques ou géologiques.

Quelques recherches sur le web suffisent à mesurer l’inertie de cette idée d’équilibre dans la culture dominante.

Sur Vikidia, « l’encyclopédie des 8-13 ans » :

« L’équilibre écologique est l’équilibre naturel qui se réalise entre les êtres vivants et leur milieu, en particulier au sein d’une chaîne alimentaire[6]. »

Dans le communiqué de presse de Greenpeace du 3 septembre 2021 au sujet du Congrès mondial de la nature organisé par l’UICN à Marseille :

« Le déclin de la nature est sans précédent : il y a une urgence absolue à prendre des décisions fortes pour protéger les écosystèmes, dont l’équilibre est directement menacé par nos modes de production et de consommation[7]. »

Sur le site du WWF :

« Des abysses aux forêts tropicales et aux déserts glacés, nous découvrons des paysages exceptionnels et la façon dont les humains les transforment, affectant les équilibres naturels[8]. »

Corinne Morel Darleux, secrétaire nationale à l’écosocialisme du Parti de gauche et conseillère régionale Auvergne – Rhône-Alpes, dans une chronique intitulée « La nature n’a pas de morale, elle cherche l’équilibre » publiée par le média Reporterre en 2017 :

« Bien sûr, on se sent spontanément du côté de la gazelle assaillie par le lion, de la mouche qui se débat dans une toile d’araignée, du lézard sous les griffes de mon chat. Mais même les cafards ont leur utilité. Sûrement. Quand on appréhende la complexité d’un écosystème, on est souvent surpris. A la fois de la capacité de la nature à s’adapter, et de la capacité des “méchants” à rendre des services “gentils”. Parce que la nature ne connaît pas de morale, pas de manichéisme, juste des équilibres à préserver, des déséquilibres à corriger. »

La nature ne cherche rien, elle ne poursuit aucun but. La nature est, tout simplement.

La gauche, toujours à côté de la plaque. La droite, n’en parlons même pas.

Même le directeur général de l’UICN Bruno Oberle (avec qui je ne partage aucun lien de parenté) semble ignorer la réalité scientifique afin de promouvoir la privatisation et la financiarisation du « capital naturel » :

« Pour maintenir l’équilibre de la nature, nous avons besoin d’un milliard de dollars par an, et aujourd’hui nous n’investissons que moins de 100 millions[9]. »

Même National Geographic, qui dénonçait dans un article paru en 2019 « l’équilibre de la nature » comme une « fable millénaire et naïve[10] », titrait en juillet 2021 « La présence de requins équilibre la vie océanique[11] ». Ces erreurs, le fait d’associer par réflexe la nature à l’harmonie et à l’équilibre, montrent à quel point cette notion est indissociable de la culture dominante, de la civilisation.

Dans son livre Balance of Nature – Ecology’s Enduring Myth[12] (2009) (« L’équilibre de la nature, le mythe persistant de l’écologie »), le biologiste John Kricher explique que ce mythe est né avec la civilisation, et plus particulièrement avec les penseurs grecs :

« Depuis les débuts de la civilisation humaine, et plus particulièrement depuis les contributions intellectuelles des Grecs de l’Antiquité, les humains ont envisagé la vie sur Terre comme ayant à la fois un équilibre et un but. Une telle notion était philosophiquement satisfaisante, immensément satisfaisante, peut-être même essentielle pour la psyché de ces premiers penseurs en toge. »

En réalité, il existe des perturbations positives qui augmentent la diversité biologique et l’abondance, et des perturbations négatives qui les diminuent.

« Les écologues ont appris que des niveaux de perturbation intermédiaires semblent conduire à un niveau maximal de biodiversité. Si les perturbations sont trop faibles, la concurrence entre les espèces éliminera certaines d’entre elles et réduira la diversité des espèces. Si les perturbations sont trop importantes, peu d’espèces seront capables de tolérer la fréquence des perturbations. »

D’un côté des sociétés humaines à faible niveau technologique – peuples de chasseurs-cueilleurs-horticulteurs, de pasteurs-nomades, etc. – qui créent de faibles perturbations et concentrent sur leurs terres 80 % de la biodiversité globale[13] ; de l’autre, la civilisation technologique et industrielle générant des perturbations gigantesques (extraction massive de ressources, émissions massives de gaz à effet de serre, etc.) et permanentes conduisant à un appauvrissement global de la diversité et de l’abondance des créatures vivantes.


Nouveau regard sur la nature : l’instabilité est la véritable constante (par William K. Stevens)

De nombreux scientifiques ont abandonné l’un des concepts les plus profondément ancrés dans l’écologie : l’équilibre de la nature. Cette évolution pourrait avoir de profondes implications sur la façon dont les humains perçoivent le monde et le rôle qu’ils y jouent.

Traditionnellement, les écologues partaient du principe que la condition normale de la nature est un état d’équilibre dans lequel les organismes entrent en concurrence et coexistent dans un système écologique dont les rouages sont essentiellement stables. Les prédateurs et les proies – par exemple orignaux et loups ou guépards et gazelles – étaient censés se maintenir dans un équilibre statique. Les anchois et les saumons atteignent une population maximale qui peut être soutenue par leur milieu océanique et restent à ce niveau. Une forêt se développe jusqu’à un magnifique stade de maturité qui devient sa condition naturelle permanente.

Ce concept d’équilibre naturel a longtemps dirigé la recherche écologique et la gestion de ressources naturelles telles que les forêts et les pêcheries. Il a conduit à la doctrine, populaire parmi les défenseurs de l’environnement, selon laquelle Dame nature se débrouille toujours mieux seule. Dans ce paradigme, l’intervention humaine est par définition perçue négativement.

Depuis quelques années, une accumulation de preuves a progressivement conduit de nombreux écologues à abandonner ce concept ou à le déclarer obsolète, d’autres à le modifier radicalement. Ils affirment que la nature se trouve en réalité dans un état permanent de perturbations et de fluctuations. Le changement et le désordre, plus que la constance et l’équilibre, sont la règle. Selon de nombreux experts dans ce domaine, les manuels scolaires devront être réécrits et les stratégies de conservation et de gestion des ressources repensées.

Le concept d’équilibre dans la nature, « c’est bon pour la poésie, mais ce n’est pas de la science », selon Steward T. A. Pickett, écologue spécialiste des végétaux à l’Institute of Ecosystem Studies du New York Botanical Garden à Millbrook. Il est co-organisateur d’un congrès abordant la question à Snowbird dans l’Utah, lors de la réunion annuelle de l’Ecological Society of America, la principale organisation nationale de scientifiques spécialisés en écologie.

Bien que cette évolution de la pensée n’ait pas encore donné lieu à une nouvelle théorie cohérente pour remplacer l’ancienne, Pickett présente cela comme « une révision majeure de l’une de nos hypothèses fondamentales sur le fonctionnement du monde naturel ». La conviction grandissante que la nature est davantage régie par des flux et des perturbations est en train de « devenir l’idée dominante ».

D’après Simon A. Levin, écologue à l’Université Cornell et nouveau président de l’Ecological Society :

« Il y aura toujours des gens qui s’accrocheront aux vieilles idées. Mais il est certain que le centre de gravité de la pensée des écologues s’est éloigné de l’équilibre pour se concentrer sur la nature fluctuante des systèmes naturels. »

Certains scientifiques affirment désormais que les communautés écologiques de plantes et d’animaux sont intrinsèquement instables, en grande partie à cause des différences particulières de comportement entre les communautés et entre les individus qui composent ces communautés. Par exemple, un chef de meute très agressif peut augmenter considérablement l’efficacité de la chasse et déstabiliser l’écosystème – tout comme la mort d’un chef de meute peut favoriser l’instabilité.

Même quand les communautés écologiques présentent une sorte d’équilibre interne, de nombreux scientifiques pensent que les perturbations externes telles que les changements climatiques, les variations annuelles des régimes climatiques, les incendies, les tempêtes, les ouragans et les maladies ne donnent que rarement (voire jamais) aux communautés la possibilité de s’installer dans un état stable. De ce point de vue, la forêt à son apogée, la relation prédateur-proie parfaitement symétrique et la surpopulation de poissons deviennent au mieux des conditions transitoires, même en l’absence d’intervention humaine.

Les scientifiques constatent que cela se vérifie pour de nombreuses échelles de temps et d’espace, de l’échelle glaciaire et mondiale à l’échelle saisonnière et locale. Les régions du monde longtemps considérées comme les plus vierges et les plus stables, comme les forêts tropicales humides d’Amérique du Sud et d’Amérique centrale, ou les forêts du nord du Canada et du nord des États-Unis, sont également instables.

Dans le paysage naturel, « il n’existe pratiquement aucune situation où quelque chose ne modifie pas le système », selon George L. Jacobson Jr., paléoécologue à l’Université du Maine qui étudie les changements écologiques passés inscrits dans les sédiments et les roches anciennes. Et bien qu’il puisse parfois y avoir une tendance vers un équilibre stable, « ce dernier est toujours empêché par quelque chose, donc il se peut bien que cet état d’équilibre n’existe pas. »

Une difficile question : qu’est-ce qui est naturel ?

Dans cette nouvelle perspective, les humains apparaissent comme l’une des nombreuses sources de perturbation écologique qui maintiennent la nature dans une agitation perpétuelle. Selon les écologues, la question de savoir si l’homme doit intervenir dans les processus naturels est dépassée, car les humains et leurs ancêtres proches le font depuis des lustres. Les systèmes écologiques du monde entier portent l’empreinte indélébile d’Homo sapiens.

Les forêts tropicales prétendument vierges d’Amérique latine doivent une partie de leur caractère à l’intervention des humains qui ont planté et transplanté des arbres et d’autres plantes dans toute la jungle. Et en Afrique, la plaine du Serengeti censée être intacte doit sa formidable abondance d’herbivores au moins en partie aux incendies allumés par l’homme qui ont créé des habitats de savane, certains écologues en sont convaincus.

Selon les écologues, dans ce nouveau contexte il faut distinguer les types d’interventions humaines à promouvoir et lesquels il faut combattre.

L’une des plus importantes interventions humaines se produit selon certains en ce moment même ; des substances chimiques capturant la chaleur – principalement du dioxyde de carbone – sont déversées dans l’atmosphère. De nombreux climatologues s’attendent à ce que cela entraîne un réchauffement significatif du climat de la Terre bouleversant les écosystèmes à un niveau global.

Les écologues rappellent que la température de la Terre a connu de nombreuses variations au cours des millénaires et que les écosystèmes se sont toujours adaptés. Mais selon les scientifiques, cette intervention humaine menace de provoquer en seulement un siècle de vastes changements climatiques et écologiques qui se produisent habituellement sur des millénaires. Les écologues craignent que cette fois, les écosystèmes ne s’adaptent pas assez rapidement pour éviter la catastrophe à de nombreuses espèces.

De plus, certains écologues pensent que les perturbations naturelles favorisent la diversité des espèces dans une forêt, par exemple en ouvrant des brèches et des prairies où peuvent pousser des plantes différentes de celles qui poussaient auparavant. Mais les humains éliminent une partie de cette diversité.

Selon Julie Denslow, écologue spécialisée dans les milieux tropicaux :

« Nous menaçons cette variabilité parce que nous voulons tout gérer comme nous gérons des champs de maïs. Un grand nombre d’écologues s’oppose à cette horrible homogénéisation du monde. »

Selon les scientifiques, cette nouvelle vision de la nature pose quelques difficultés aux conservationnistes et aux environnementalistes qui veulent préserver les choses dans leur état naturel. Car dès lors la question suivante se pose : si le changement est constant, quel est l’état naturel des choses ?

Par exemple, quel est l’état naturel des Adirondacks ? Dans un débat animé encore en cours, les parties prenantes se demandent si les poissons « vulgaires » tels que les meuniers, les vairons et les chevesnes devraient être tués et retirés de certains étangs pour faire place aux nobles truites. D’un côté certaines personnes mettent en avant une politique de l’État visant à « perpétuer les écosystèmes aquatiques naturels » dans la région. Les poissons vulgaires sont endémiques et représentent l’état naturel des étangs, donc ils devraient être préservés dans cet état. D’autres affirment qu’au moins une partie des poissons vulgaires descendent de poissons-appâts introduits par l’homme, et qu’ils ont fini par s’imposer là où les truites prospéraient auparavant.

L’un ou l’autre de ces états est-il « l’état naturel » ? Ou bien l’état naturel est-il celui dans lequel se trouvaient les Adirondacks à l’arrivée des Européens ? Ou bien était-ce au cours des milliers d’années où la région était recouverte par d’immenses glaciers durant l’ère glaciaire ? Ou était-ce dans la succession forêts, d’animaux et d’écosystèmes différents qui ont suivi ?

« La nature peut se trouver dans de nombreuses conditions », d’après Daniel B. Botkin, écologue à l’Université de Californie à Santa Barbara et l’un des responsables de cette révolution écologique en cours. Pour cette raison, les conservationnistes et les gestionnaires de ressources devront analyser chaque situation donnée plus attentivement que par le passé. Ils devront ensuite choisir la condition naturelle à promouvoir plutôt que d’insister simplement sur le fait que les humains ne devraient pas perturber le soi-disant équilibre de la nature.

« Je pense qu’il a raison », avance Rupert Cutler, président de Defenders of Wildlife, une importante organisation de protection de la nature. D’après lui, l’évolution de la pensée « suggère que la responsabilité de la protection de la nature exigera une expertise scientifique bien plus élevée que ce que l’on imaginait par le passé. »

Théorie vide : les observations ne montrent aucun équilibre

Dans sa formulation classique, le concept d’équilibre de la nature veut qu’un écosystème maintienne un équilibre constant et que, lorsqu’il est perturbé, il retrouve son état antérieur lorsque la cause de la perturbation est supprimée.

De nombreux scientifiques affirment aujourd’hui que les choses ne fonctionnent pas ainsi. « Nous pouvons dire que ce concept est mort pour la plupart des membres de la communauté scientifique », a déclaré le Dr Peter L. Chesson, un écologue théoricien de l’Ohio State University qui a participé au congrès d’hier avec les professeurs Pickett, Jacobson, Botkin et Denslow. Les autres participants étaient Margaret B. Davis, paléoécologue à l’Université du Minnesota, qui a aidé à organiser l’événement, et Judy L. Meyer, écologue experte des cours d’eau à l’Université de Géorgie.

Selon Botkin, de nombreuses observations du comportement des populations animales dans la nature réfutent l’hypothèse d’un équilibre parfait décrit par la théorie écologique traditionnelle. D’après cette théorie, lorsqu’une population d’animaux s’installe dans une région, elle croît progressivement jusqu’à un niveau d’abondance auquel son environnement lui permet de se maintenir indéfiniment, puis reste à ce niveau. Selon un autre aspect de la théorie, les populations de prédateurs et de proies dans un écosystème donné oscillent en nombre, une population atteignant un pic alors que l’autre est au plus bas et vice versa, créant ainsi un équilibre au fil du temps.

Mais dans la réalité, Botkin explique que « lorsque vous introduisez une population dans une nouvelle zone, elle augmente puis s’effondre, et par la suite ne reste pas constante ». Les chiffres à long terme varient et sont beaucoup plus faibles que ceux prédits par la théorie. De même, un certain nombre d’études et d’observations, tant en laboratoire que dans la nature, montrent que les populations de prédateurs et de proies n’oscillent pas de manière stable et prévisible. Au contraire, soit elles fluctuent de façon frénétique et imprévisible, soit les proies sont éliminées et les prédateurs meurent de faim. Dans une expérience célèbre, les populations de paramécies [micro-organisme, un protozoaire cilié vivant en eau douce, dans les mares et les étangs, NdT] ont augmenté rapidement. Lorsque des micro-organismes prédateurs ont été introduits, leur population s’est accrue également. Mais à la fin, les paramécies ont été exterminées et les prédateurs sont morts de faim.

Selon Botkin, les tentatives d’application du principe d’équilibre classique à la gestion des pêcheries marines ont conduit au désastre. Pendant des années, les régulateurs internationaux de la pêche commerciale ont déterminé les prises annuelles autorisées en calculant les rendements maximaux durables selon la théorie de l’équilibre. Cette théorie servant de guide était si mauvaise que les populations de poissons commerciaux ont subi des déclins catastrophiques dans les années 1950 et 1960 et que certaines ne se sont toujours pas rétablies.

Les gestionnaires des pêcheries tentent aujourd’hui de s’écarter de cette stratégie, en analysant les facteurs plus complexes qui déterminent réellement les populations de poissons. Parmi ceux-ci figurent par exemple les perturbations environnementales qui influencent en grande partie le nombre de poissons qui naissent une année donnée. En estimant et en gardant trace de ces différentes « classes d’âge », les gestionnaires espèrent pouvoir ajuster les quotas de capture d’une année sur l’autre et éviter de faire disparaître une classe entière. [Il est évident que ça ne fonctionne pas étant donné que l’effondrement total des pêcheries est prévu pour 2048, et que la course à l’armement technologique grassement subventionnée augmente toujours davantage l’efficacité de l’extermination en cours, NdT]

Toutefois, certains scientifiques ne sont pas encore prêts pour l’abandon complet du concept d’une tendance inhérente à l’équilibre dans les écosystèmes. Une sorte d’équilibre peut exister à certaines échelles de temps et d’espace selon eux.

En fait, l’échelle peut se révéler très importante. Selon Pickett, il peut y avoir d’énormes perturbations et fluctuations provoquant des déséquilibres dans de petites populations évoluant au sein de petits écosystèmes. Mais ces fluctuations peuvent être atténuées si l’on considère la situation dans son ensemble, où une sorte d’équilibre à une échelle intermédiaire peut être atteint. Une population animale qui périclite dans un environnement donné pourrait survivre si on lui permettait de s’étendre sur une zone plus vaste. Botkin a également déclaré qu’il est tout à fait possible que, même si l’écologie d’une localité donnée évolue de façon marquée sur des milliers d’années, des similitudes récurrentes – et donc une sorte d’équilibre flottant – peuvent s’observer à des échelles temporelles intermédiaires.

C’est en réalité ce que Chesson – le théoricien – postule. Par exemple, il se peut qu’il existe une zone limitée dans laquelle une population animale fluctue sur plusieurs centaines d’années. On pourrait calculer un équilibre en prenant la moyenne des fluctuations. Mais ce serait une « véritable erreur » selon Chesson d’assimiler cela à quelque chose qui ressemblerait « de loin » à l’idée classique de l’équilibre de la nature.

Changement constant : des facteurs externes façonnent les écosystèmes

L’élément qui tend à montrer de manière décisive la réalité d’une écologie du changement permanent et des perturbations constantes provient peut-être des études sur les facteurs externes naturels bouleversant les écosystèmes.

Selon madame Meyer de l’université de Géorgie, ces influences extérieures ont longtemps été insuffisamment prises en compte. L’accent était mis « sur les processus se déroulant au sein du système », même si « ces processus sont influencés par les événements qui se produisent à l’extérieur ». Les écologues « avaient des œillères lorsqu’ils étudiaient les facteurs de contrôle externes ».

Parmi ces facteurs, le climat et les conditions météorologiques semblent être les plus importants. D’après le professeur Davis de l’université du Minnesota, en étudiant les traces laissées par les sédiments océaniques et lacustres, les scientifiques ont découvert que le climat a connu des « fluctuations sauvages » au cours des deux derniers millions d’années, et la forme des écosystèmes a fluctué en conséquence. Ces fluctuations se produisent non seulement d’un éon à l’autre [« l’éon est l’intervalle de temps géochronologique correspondant à la plus grande subdivision chronostratigraphique de l’échelle des temps géologiques, l’éonothème[14] », NdT], mais aussi d’une année à l’autre et à toutes les échelles intermédiaires. « On ne peut donc pas visualiser une période d’équilibre », déclare Davis.

Le professeur Jacobson ajoute que l’environnement global ne reste pratiquement jamais constant très longtemps. « Cela signifie que la configuration des écosystèmes change constamment. »



[1] https://www.nytimes.com/1990/07/31/science/new-eye-on-nature-the-real-constant-is-eternal-turmoil.html

[2] https://www.chronicle.com/article/is-there-really-balance-in-nature

[3] https://aeon.co/essays/nature-is-out-of-balance-but-it-s-still-worth-saving

[4] https://www.nationalgeographic.com/environment/article/balance-of-nature-explained

[5] https://youtu.be/bW7PlTaawfQ

[6] https://fr.vikidia.org/wiki/%C3%89quilibre_%C3%A9cologique

[7] https://www.greenpeace.fr/iucn-a-marseille-stop-a-lecologie-des-petits-pas/

[8] https://www.wwf.fr/vous-informer/actualites/le-wwf-presente-la-serie-documentaire-notre-planete

[9] https://fr.euronews.com/2021/09/03/le-congres-mondial-de-la-nature-s-ouvre-a-marseille

[10] https://www.nationalgeographic.fr/environnement/2019/07/lequilibre-de-la-nature-une-fable-millenaire-et-naive

[11] https://www.nationalgeographic.fr/animaux/2021/07/la-presence-de-requins-equilibre-la-vie-oceanique

[12] https://press.princeton.edu/books/hardcover/9780691138985/the-balance-of-nature

[13] https://www.worldbank.org/en/topic/indigenouspeoples#1

[14] https://fr.wikipedia.org/wiki/%C3%89on

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