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Nicolas Casaux démasque les traîtres de l’écologie

« L’impossibilité que j’ai voulu exposer dans cet ouvrage, c’est la conciliation entre technologie et démocratie, ainsi qu’entre technologie et écologie. C’est l’avènement d’une civilisation industrielle démocratique et “durable” ou “soutenable”, même au terme d’une décroissance importante, d’une diminution majeure de la consommation de ressources individuelle et générale (si tant est qu’une telle chose soit techniquement réalisable.) »

– Nicolas Casaux

Dans son livre Mensonges renouvelables et capitalisme décarboné. Notes sur la récupération du mouvement écologiste (2024), l’éditeur et traducteur Nicolas Casaux expose les mensonges des principales figures de l’écologie, en France mais également à l’étranger. Casaux, qui se dit « anarchiste naturien[1] », n’en est pas à son coup d’essai. Depuis une dizaine d’années, il publie ses critiques des éco-influenceurs, de la technologie moderne, de l’État et plus généralement de la civilisation[2] sur le blog Le Partage (d’où sont tirés les textes du livre dont il est question ici).

L’ouvrage commence par deux textes de fond sur la technologie et la civilisation. Ils fournissent une base théorique au lecteur pour comprendre l’absurdité du projet, porté autant par les éco-réformistes (Alternatiba, Greenpeace, EELV et cie) que les éco-révolutionnaires (Andreas Malm, Les Soulèvements de la terre, etc.), un projet consistant à rendre la civilisation industrielle plus verte, plus propre, plus juste, plus égalitaire et plus démocratique. Mais en s’intéressant à la matérialité de notre mode de vie industriel, on s’aperçoit rapidement que ces gens poursuivent une chimère, car la technologie n’est jamais neutre sur le plan social, politique, économique et écologique. Certains types de technologies – en particulier les technologies à grande échelle – demandent pour leur développement et leur maintien une structure sociale, économique et politique particulière. Seul un doux rêveur peut croire que le monde matériel ne nous impose aucune loi ni aucune limite.

Suite à l’Accord de Paris en 2016, au moment de la montée en puissance du mouvement pour le climat, Casaux était l’un des rares écologistes à dénoncer les collusions entre certains activistes, associations militantes, ONG et fondations d’ultrariches. De Greta Thunberg à Naomi Klein et Bill McKibben (350.org) en passant par Kate Raworth et Jason Hickel, tous ces éco-influenceurs du monde anglo-saxon sont financés par – ou ont des liens étroits avec – l’industrie et/ou des milliardaires et/ou des institutions technocratiques. Même chose pour les mouvements d’activistes tels que Dernière Rénovation et Extinction Rebellion[3]. Rien de nouveau sous le soleil, les ultrariches américains ont compris il y a déjà plus d’un siècle qu’ils avaient tout intérêt à créer/financer des associations caritatives et des ONG de protection de la nature. Cela leur a permis dans une certaine mesure de prendre le contrôle de l’activisme social et écologiste, et d’invisibiliser dans les médias des mouvements – autrement plus radicaux – organisés par les gens ordinaires.

Concernant la France, Casaux dénonce les escrocs de l’écologie et de la décroissance que sont Thomas Wagner (alias Bon Pote), Timothée Parrique, Camille Etienne, Cyril Dion ou encore Jean-Marc Jancovici (un ingénieur polytechnicien qui plébiscite le techno-totalitarisme chinois). Leurs discours technocratiques se ressemblent tellement qu’on dirait des clones. Ils appellent tous à un retour en force de l’État pour reprendre le contrôle de l’économie – autrement dit des humains. Parce que du point de vue de la classe technocratique, ce n’est jamais le système industriel qui est problématique, mais toujours le facteur humain. N’est-ce pas monsieur Taylor ?

« Par le passé, l’homme était le plus important ; à l’avenir, le système devra primer[4]. »

La leçon à retenir ici est que l’éco-technocratie fera absolument tout ce qui est en son pouvoir pour éviter l’effondrement du système industriel. Quitte à imposer le pire des esclavages, la pire des tyrannies[5]. Quitte à raconter aux gens les choses les plus absurdes, par exemple que le projet de l’écologie décroissante équivaut à une réindustrialisation[6]. La révolution industrielle au XIXe siècle est pourtant à l’origine de la plus forte poussée de croissance économique et du plus grand écocide de l’histoire de l’humanité. Preuve que l’éco-technocratie se moque ouvertement du monde, l’économiste marxiste Timothée Parrique affirme par exemple dans une interview qu’« il va falloir réindustrialiser avec une vision très artisanale de l’industrie[7] », sans toutefois préciser ce qu’il entend par là. Il est vrai que les mines artisanales en République Démocratique du Congo font des merveilles et permettent d’assurer 20 % de la production annuelle de cobalt du pays[8]. Vive la résilience ! Quant à l’impact écologique d’une réindustrialisation, les éco-technocrates en sont tout à fait conscients, à l’instar de l’ingénieur et thérapeute de la résilience Arthur Keller :

« Je prône également – et je ne suis pas le seul – une relocalisation, une réindustrialisation de certaines choses sur les territoires, au niveau national. Et ça, ça va être crade. Ça veut dire que, écologiquement, ça va provoquer des problèmes locaux qui n’existaient pas avant. Ce sont des arbitrages très compliqués. C’est aussi important de dire ça : la résilience, ce n’est pas une question d’écolos. Il faut que les gens qui ne sont pas écolos le comprennent, et puis aussi certains écolos[9]. »

Vous avez compris les écolos ? Ou il faut vous l’imprimer à coups de matraque et de LBD ? La réalité, c’est que la population en France et en Europe n’en veut pas de cette saloperie de réindustrialisation. Ce sont même les techno-réactionnaires du journal Le Monde qui s’en plaignent[10]. C’était tellement mieux avant, durant les « Trente Glorieuses », quand la France était industrialisée et que son économie affichait une croissance moyenne annuelle de plus de 5 %, avec des pics à 7,9[11] % ; quand on construisait des Autobahnen pour développer le transport routier, des centrales nucléaires et des barrages hydroélectriques (qui ont englouti des dizaines de villages de montagne[12]) pour alimenter l’industrie en énergie ; quand la planification autoritaire a imposé le remembrement des terres agricoles et la mécanisation pour industrialiser l’agriculture[13], ce qui a conduit à « l’ethnocide » des paysans[14], etc.

L’article de Nicolas Casaux sur Bon Pote est particulièrement intéressant. Bon Pote, c’est probablement le seul « déserteur » au monde qui palpe peut-être autant (voire davantage) de pognon en militant qu’avec son ancien poste de consultant dans la finance. En effet, Bon Pote touchait pas moins de 10 000 euros par mois sur Tipeee avant de choisir de dissimuler l’information[15]. Bon Pote, c’est aussi un type plébiscité par les médias autorisés pour sa prétendue « traque du greenwashing », du Monde[16] à L’Humanité[17] en passant par La Croix[18], 20Minutes[19], Ouest France[20] et Les Echos[21] (le journal du milliardaire Bernard Arnault, grand pourfendeur du capitalisme industriel). Bon Pote, c’est quelqu’un qui nous dit que « l’électrification des voitures est indispensable pour le climat[22] » (pas la mise à l’arrêt de toutes les usines fabriquant des bagnoles thermiques et électriques), qui défend l’industrie nucléaire[23] (et par conséquent tout ce qui en est indissociable – le règne de la technocratie, le militarisme, l’impérialisme, la répression policière, l’enfouissement des déchets, le risque d’accident, d’attentat ou de guerre atomique), ou qui passe son temps à défendre le retour d’un État fort – c’est-à-dire autoritaire voire totalitaire – pour reprendre le contrôle de l’économie.

Bon Pote est aussi l’un des auteurs de Tout comprendre (ou presque) sur le climat, un livre publié en partenariat avec le CNRS où, selon Casaux, il est question non pas « d’arrêter le capitalisme industriel, seulement d’assurer son avenir ». Comment ? En comptant sur « l’implication des gouvernements, des firmes et des citoyens ». Après avoir indiqué que « les relations du CNRS avec l’industrie sont très anciennes et même fondatrices » (il compte entre autres Michelin, Thales, Naval Group parmi ses partenaires), et qu’un de ses nouveaux laboratoires a été construit en partenariat avec TotalEnergies[24], Casaux rappelle à juste titre que le progrès technoscientifique est le principal responsable du développement industriel et de ses conséquences socioécologiques cataclysmiques. Rappelons en outre que la révolution industrielle et les développements technologiques ultérieurs ont provoqué la plus importante vague d’écocides, d’ethnocides et de génocides de l’histoire[25]. Ils sont également à l’origine du changement climatique ainsi que de la contamination généralisée de tous les écosystèmes, de tous les organismes vivants par des polluants d’origine industrielle.

Cela dit, j’ai tout de même quelques désaccords avec la conclusion de Nicolas Casaux et le sentiment qu’il donne au lecteur que tout est déjà foutu, qu’il n’y a pas grand-chose à faire à part l’adoption d’une posture morale. Faire preuve d’idéalisme[26] quand la nature crame partout sur Terre, c’est inacceptable et irresponsable. Dans tous les cas, si vous voulez comprendre pourquoi le mouvement écologiste échoue à stopper le carnage, il faut lire Mensonges renouvelables et capitalisme décarboné. S’il n’y avait qu’une seule chose à retenir de l’ouvrage, c’est que le greenwashing est structurel à la civilisation techno-industrielle. Il n’est pas possible pour les États de reprendre le contrôle afin de diminuer l’impact écologique des sociétés industrialisées ; ceci est une fable. On le voit de plus en plus dans le discours de l’éco-technocratie, l’écologie est instrumentalisée pour réindustrialiser – autrement dit pour achever la nature. En tant qu’écologiste, si l’on se fixe comme objectif de conserver l’habitabilité de la planète, il n’y a qu’une seule chose à faire : démanteler le système techno-industriel et se préparer à endurer les conséquences de son effondrement. Pour accomplir cette tâche, nous avons besoin d’un mouvement révolutionnaire d’inspiration luddite[27].

« Cette révolution ne sera pas politique. Son but ne sera pas de renverser des gouvernements, mais les bases économiques et technologiques de la société actuelle[28]. »

Philippe Oberlé


  1. Voir cet article pour plus d’explications sur le mouvement des anarchistes naturiens : https://www.partage-le.com/2019/03/02/les-naturiens-precurseurs-dune-critique-de-la-civilisation-par-nicolas-casaux/

  2. Contrairement à une croyance répandue, le mot « civilisation » a été inventé par les élites occidentales pour désigner des sociétés prétendument supérieures, plus évoluées, plus développées et avancées techniquement que d’autres. Ce mot véhicule une conception hiérarchique, progressiste des sociétés humaines, ce qui est une absurdité maintes fois démontée par les anthropologues. Voir par exemple Thomas C. Patterson, L’invention de la civilisation occidentale, 2021.

  3. Concernant Extinction Rebellion, à ma connaissance certaines antennes françaises ont adopté leur propre ligne idéologique, bien plus radicale que celle inscrite sur le site national. Il n’y a pas d’unité théorique au sein de XR en France, et pour avoir fréquenté certaines antennes, vu leur manque de moyens il paraît peu probable que l’argent perçu par les principaux responsables du mouvement soit redistribué à tous les groupes locaux.

  4. Voir la bible d’un des théoriciens de l’organisation scientifique du travail, Frederick Winslow Taylor, The Principles of Scientific Management, 1911.

  5. Le technocrate Jancovici est on ne peut plus clair à ce sujet dans ses cours donnés à l’École des Mines de Paris où il affirme que la démocratie représentative est un handicap considérable pour gérer le pays dans un monde de plus en plus sous contrainte physique. Il propose de s’inspirer du modèle managérial des grandes firmes transnationales (ce qui rappelle le discours du Club de Rome, un think tank industrialiste) : https://jancovici.com/wp-content/uploads/2020/07/Jancovici_Mines_ParisTech_cours_5.pdf

  6. Tous les pionniers du mouvement écologiste en France et ailleurs, de Jacques Ellul à Bernard Charbonneau en passant par Alexandre Grothendieck ont présenté l’industrie et son système, le « système technicien », comme la cause principale de tous nos maux sociaux et environnementaux.

  7. Voir cette interview réalisée par la chaine Greenletter Club : https://youtu.be/8znjuAk-V7k?si=_ZeKEXCP5pTBbHqn

  8. https://www.lesechos.fr/finance-marches/marches-financiers/mines-artisanales-le-virage-de-glencore-1236671

  9. Voir cette interview réalisée par la chaine Greenletter Club : https://youtu.be/YthNd_PRA08?si=NMblkmYbQh_BfWB4

  10. https://www.lemonde.fr/economie/article/2023/11/13/reindustrialisation-de-la-france-le-defi-de-l-acceptabilite-sociale_6199805_3234.html

    https://www.lemonde.fr/economie/article/2024/04/29/en-europe-une-si-difficile-reindustrialisation_6230541_3234.html

  11. https://fr.wikipedia.org/wiki/Trente_Glorieuses

  12. https://www.ouest-france.fr/leditiondusoir/2020-04-10/ces-villages-de-france-engloutis-sacrifies-sur-lautel-de-la-fee-electricite-d991f81f-23ef-4163-9ea2-5736a23659e3

  13. Voir L’atelier paysan, Reprendre la terre aux machines, 2021.

  14. Voir Pierre Bitoun et Yves Dupont, Le sacrifice des paysans, 2016.

  15. Bon Pote fait sur Tipeee la liste des différentes utilisations de l’argent collecté et met désormais en avant l’équipe qui travaille avec lui. Mais pourquoi alors dissimuler l’information sur l’argent collecté s’il est effectivement distribué à l’équipe ? C’est toujours intéressant de constater qu’influenceurs et autres activistes, qui passent leur temps à exiger la transparence chez les autres, se dispensent eux-mêmes d’être transparents. Ça donne une bonne idée du type de « transition » que nous allons devoir supporter si ces nuisibles prennent le pouvoir.

  16. https://www.lemonde.fr/campus/article/2023/09/28/thomas-wagner-le-bon-pote-qui-traque-le-greenwashing_6191450_4401468.html

  17. https://www.humanite.fr/societe/un-jour-avec/un-bon-pote-qui-veut-la-vie-en-vert-792389

  18. https://www.la-croix.com/environnement/Thomas-Wagner-alias-Bon-Pote-linfluenceur-climat-2023-02-25-1201256798

  19. https://www.20minutes.fr/planete/rechauffement-climatique/4088141-20240427-comment-thomas-aka-bon-pote-victoire-fait-3-000-km-voir-aurores-boreales-trop-cramer-co2

  20. https://www.ouest-france.fr/environnement/rechauffement-climatique/portrait-avec-thomas-wagner-le-bon-pote-cest-celui-qui-ne-vous-ment-pas-sur-le-climat-1ac09164-a860-11ed-aeeb-69381795ad8f

  21. https://start.lesechos.fr/societe/engagement-societal/thomas-wagner-bon-pote-de-lecologie-cauchemar-des-entreprises-qui-greenwashent-1776506

  22. https://bonpote.com/la-voiture-electrique-solution-ideale-pour-le-climat/

  23. Voir cet article https://bonpote.com/propos-4-oui-le-nucleaire-est-une-electricite-verte/#h-le-mot-de-la-fin ou encore celui-ci https://bonpote.com/les-centrales-nucleaires-vont-elles-resister-au-changement-climatique-1-2/

    On remarquera que Bon Pote, en bon soldat ayant absorbé la rhétorique technocratique, se réfugie systématiquement derrière « les chiffres » pour délimiter le terrain du débat et éviter d’avoir à aborder tous les autres aspects problématiques de l’industrie nucléaire (qui n’ont rien à voir avec des statistiques puisqu’ils sont d’ordre politique et géopolitique).

  24. Ce qui vient rappeler pour la énième fois, comme l’historien Jean-Baptiste Fressoz ne cesse de le marteler, que la transition énergétique est une invention de la technocratie. Cette transition est une impossibilité matérielle dans le cadre de la civilisation industrielle.

  25. Voir également John Bodley, Victims of Progress, 1975.

  26. En philosophie, le matérialisme postule que les idées et la pensée sont le résultat, après traitement par notre système oculaire et notre cerveau, de l’environnement dans lequel nous vivons et avec lequel nous interagissons. L’idéalisme postule que le monde réel n’existe qu’à travers les idées. Pour cette école philosophique, le monde et l’être se réduisent aux représentations que nous en avons, il suffirait alors de changer d’imaginaire pour transformer, presque comme par enchantement, le monde matériel.

  27. La révolte luddite est un mouvement insurrectionnel d’artisans et d’ouvriers de l’industrie textile britannique du début du XIXe siècle. Ils se sont distingués par leurs tactiques qui consistaient à attaquer l’outil de production (destruction des machines et des manufactures) plutôt qu’à chercher à se le réapproprier. Les luddites avaient compris que c’était le moyen de production en lui-même qui causait leur misère, ce que la (fumeuse) théorie marxiste a critiqué par la suite. Pour un récit historique complet, voir Kirkpatrick Sale, La révolte luddite, 2006.

  28. Theodore Kaczynski, La Société industrielle et son avenir, 1995.

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