Pompili en safari à Kaziranga, le parc qui massacre des innocents
Dimanche 31 janvier 2021, une délégation française menée par la ministre de la transition pathologique a visité – donc cautionné – le parc de Kaziranga dans la province d’Assam en Inde[i], probablement l’un des pires exemple de « conservation-forteresse » existant à l’heure actuelle, un modèle exclusionnaire qui a nécessité pour l’agrandissement du parc des déplacements forcés de villages entiers, souvent accompagnés de protestations puis d’une répression sanglante.
D’après le Hindustan Times, cette visite officielle avait pour objectif principal le renforcement de la coopération sur le développement durable, en d’autres termes dynamiser la croissance pour continuer à ruiner la planète :
« Singh [ministre des énergies renouvelables, NdT] et Pompili présideront à la signature d’une lettre d’intention entre la Solar Energy Corporation of India (SECI) et l’Agence française de développement (AFD) pour le développement d’une centrale solaire flottante d’une puissance maximale de 150 MW.
L’AFD signera également un accord de facilité de crédit avec le ministère des finances afin de fournir 250 millions d’euros pour le financement du projet de métro ferroviaire de Surat, conformément à l’engagement de la France à soutenir la mobilité urbaine verte en Inde, a déclaré l’ambassade française dans un communiqué[ii]. »
Après avoir bien présidé, Barbara a ressenti le besoin d’entrer en communion avec la nature sauvage du parc de Kaziranga, lui aussi financé en partie par l’AFD. La zone de Kaziranga est densément peuplée, avec de nombreuses communautés tribales habitant la zone depuis des siècles. Selon un reportage de la BBC[iii], elles assurent leur subsistance par des cultures vivrières et de l’élevage, et collectent aussi dans la forêt des plantes et du bois pour cuisiner.
Ces vingt dernières années, 106 personnes auraient été abattues par les gardes du parc qui ont l’autorisation de tirer à vue sur de potentiels braconniers ; il s’agit de la très critiquée et totalement contre-productive politique du « shoot-to-kill ». En 2016, Akash Orang[iv], un enfant autochtone, a été pris pour cible par les gardes du parc, son mollet a été déchiqueté par une balle. Il est mutilé à vie et ne pourra plus jamais marcher normalement. En 2013, un autre garçon souffrant d’un handicap mental, bien connu dans la localité, a lui été froidement abattu. Parti dans le parc à la recherche des vaches de ses parents, il n’aurait pas répondu aux avertissements des gardes qui auraient alors fait feu.
Le WWF, qui a financé la formation et de l’équipement pour les gardes du parc, ne fait pour ainsi dire rien pour ralentir la frénésie meurtrière des éco-gardes. Depuis 2012 au moins, l’Agence française de développement (AFD) fait également partie des soutiens financiers du parc et prétend sur son site que tout se passe merveilleusement bien dans l’État d’Assam[v].
Pour justifier le tir à vue, les autorités mettent en avant le braconnage des rhinocéros au nombre de 2 400 dans le parc, soit environ 70 % des rhinocéros à une corne (Rhinoceros unicornis) restants dans le monde[vi]. Le parc de Kaziranga subirait une forte pression des braconniers menaçant également la survie des tigres vivant dans la zone protégée. Problème, depuis 20 ans le nombre de rhinocéros abattus chaque année n’a jamais dépassé les 30 individus ; rien à voir avec les centaines de rhinocéros braconnés chaque année dans le parc Kruger en Afrique du Sud (303 sur 2019/2020, en baisse par rapport aux années précédentes)[vii].
D’après le reportage de la BBC datant de 2017, un seul garde a été tué par des braconniers depuis 20 ans à Kaziranga. Dans ce film, on peut voir le journaliste accompagner une patrouille nocturne des éco-gardes pour aller à la rencontre des rhinocéros. Les éco-gardes, qui ne sont que deux pour une zone soi-disant ciblée par des braconniers dangereux, se promènent avec une lampe de poche (excellent pour la discrétion) alors que le WWF leur a fourni des lunettes de vision nocturne. Leur attitude décontractée, les mains derrière le dos et le fusil en bandoulière ou sur l’épaule, en disent long sur le prétendu niveau de menace auquel ils font face. Soit le niveau de menace est faible, et donc leur attitude est compréhensible, mais dans ce cas tirer à vue est une réponse totalement disproportionnée. Soit le niveau de menace est élevé, alors dans ce cas les gardes sont irresponsables et inconscients. Dans les deux cas, ils donnent l’impression d’une bande d’amateurs jamais formés correctement et bénéficiant d’une impunité presque totale de la part de leur hiérarchie, elle-aussi parfaitement irresponsable et incompétente.
En 2015, plus de personnes ont été exécutées par les gardes que de rhinocéros tués par des braconniers. Cette politique très laxiste à l’égard des exécutions extra-judiciaires perpétrées par les gardes tend à les corrompre. En 2016, quatre gardes du parc ont ainsi été arrêtés pour braconnage de rhinocéros.
Rappelons que si les rhinocéros indiens ont frôlé l’extinction – il restait 200 individus au début du XXe siècle –, c’est en raison de la chasse « sportive » pratiquée par les élites britanniques et indiennes. Les rhinocéros à une corne ont également été longtemps considérés comme des nuisibles à éradiquer pour permettre le développement de la culture de thé[viii]. Avec 3 000 km² de champs, l’État d’Assam est la première région productrice de thé en Inde[ix].
Rien ne justifie un tel déferlement de violence à l’encontre des
communautés autochtones vivant aux abords du parc. Kaziranga est aujourd’hui célébré
comme un exemple de réussite par le monde de la conservation, pratiquement sur
la seule base du nombre de rhinocéros en croissance et sur la centaine de tigres
occupant la forêt. Peut-on parler de succès quand on massacre des innocents ?
Cette politique est-elle vraiment la bonne quand, sur 2016 et 2017, davantage
de rhinocéros ont péri écrasé par des véhicules que sous les balles des
braconniers ? Alors que les animaux du parc paraissent extrêmement
stressés et agressifs, que des attaques contre les éco-gardes et les touristes
se multiplient, est-il judicieux de poursuivre le développement du tourisme de
safari connaissant ses nombreux impacts délétères sur la faune[x] (générateur
de stress handicapant le succès reproductif et perturbant le système
immunitaire[xi],
accidents de la route, déchets laissés dans la nature[xii],
etc.) ?
[i] https://www.thenortheasttoday.com/current-affairs/states/assam/french-minister-barbara-pompili-visits-kaziranga-national-park
[ii] https://www.hindustantimes.com/india-news/india-france-to-sign-two-agreements-during-french-minister-s-5-day-visit-101611772132914.html
[iii] https://www.bbc.com/news/world-south-asia-38909512
[iv] https://www.survivalinternational.org/news/11522
[v] https://www.afd.fr/fr/actualites/grand-angle/en-inde-la-foret-retrouvee-de-letat-dassam
[vi] https://www.researchgate.net/publication/344225631_TOURISM_AND_ITS_ENVIRONMENTAL_IMPLICATIONS_A_CASE_STUDY_OF_KAZIRANGA_NATIONAL_PARK_INDIA
https://www.iucnredlist.org/species/19496/18494149#population
[vii] https://www.sanparks.org/about/annual/
[viii] https://www.worldwildlife.org/species/greater-one-horned-rhino
[ix] https://www.iucn.org/news/species/201707/habitat-connectivi-tea
[x] https://www.assamtimes.org/node/19967
[xi] https://www.thehindu.com/sci-tech/science/indian-tigers-are-highly-stressed-due-to-human-disturbances/article26866184.ece
[xii] https://conservationaction.co.za/resources/reports/too-much-tourism-in-the-serengeti/