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Tout le pétrole sera extrait, légalement ou illégalement

Le documentaire Planet of the humans produit par Michael Moore, Ozzie Zehner et Jeff Gibbs démontant le mythe de la transition énergétique a été mis en ligne il y a à peine quelques jours et, au vu des réactions, les promoteurs des énergies « vertes » ont moyennement apprécié. Comment pourrait-il en être autrement ? Après avoir prôné la « neutralité carbone », la « décarbonation » de l’économie et, surtout, après avoir tant accusé les majors pétrolières, ils sont mis devant le fait accompli : les énergies dites « propres » sont perfusées au charbon, au pétrole, au nucléaire et au gaz. Tandis que l’accent a été mis sur l’éolien et le solaire dans les campagnes de lobotomisation du public, l’industrie de la biomasse se développait massivement pour remplacer l’or noir dans nos réservoirs par des monocultures industrielles dopées au pétrole et par des forêts anciennes.

Nombreux sont les ONG, think tanks, entreprises et influenceurs du mouvement pour le climat à défendre l’idée selon laquelle il faudrait laisser les ressources fossiles dans le sol pour diminuer les émissions de CO2 dans l’atmosphère. Avez-vous déjà remarqué l’absence totale de débat ou de discussion sur la mise en place de telles mesures ou même sur la possibilité de le faire ? Sur leur pertinence et leur hypothétique efficacité ? En règle générale, ça se limite à geindre et à taper sur les méchantes majors du pétrole ou à implorer les décideurs politiques de prendre des « décisions courageuses ». Comme si le courage faisait partie de la boîte à outil d’un laquais au service des intérêts économiques.

La civilisation industrielle est une junkie, le pétrole son héroïne. Demande-t-on à un camé de faire preuve de responsabilité ou d’être raisonnable ? Non. Le toxicomane est entièrement soumis à la substance coulant dans ses veines. Avant même de ressentir le manque, et par peur d’expérimenter cette souffrance atroce, le drogué utilise tous les moyens techniques et humains à sa disposition. Il n’hésite pas à user de la force et de la violence si nécessaire pour se procurer sa dose quotidienne. Il en va de même pour la civilisation industrielle shootée au pétrole depuis maintenant plus d’un siècle. Son bras armé – le complexe militaro-industriel – se charge des expéditions impérialistes visant à mettre la main sur les ressources de brut, peu importe les pertes en vies humaines et non humaines ou les dégâts incommensurables sur les milieux naturels. Un camé ne peut ressentir de l’empathie, il est esclave de son addiction.

[Je n’ai rien de particulier contre les toxicomanes, ils font partie des nombreuses victimes de nos sociétés industrielles, je trouvais simplement l’analogie intéressante. D’une certaine manière, les humains civilisés du monde industrialisé sont tous des camés. La dépendance est un des piliers de la civilisation comme évoqué dans un autre article.]

Les économistes définissent le niveau de dépendance – ou d’addiction – à un bien de consommation par le concept d’élasticité-prix de la demande. La drogue fait partie des produits à l’élasticité faible, c’est-à-dire que la demande est faiblement influencée par l’augmentation du prix. Le tabac en est un bon exemple. Ainsi, malgré l’augmentation délirante du prix des cigarettes sanctionnant principalement les pauvres, chaque année le tabagisme tue 75 000 personnes en France. Certes, le nombre de fumeurs a certainement diminué, mais l’industrie du tabac a massivement investi dans une autre drogue : la cigarette électronique. A chaque fois qu’une addiction est combattue, qu’une ridicule bataille a été remportée, les petits génies de l’entrepreneuriat et des startups innovantes créent un marché de substitution sur lequel se jettent les capitalistes de l’industrie lésée. Même scénario avec le gras remplacé par le sucre dans les produits industriels. Les produits ultra-transformés sont devenus encore plus addictifs, la pandémie mondiale d’obésité touchera 3 milliards de personnes en 2030, maladies cardiovasculaires et cancers sont les deux causes principales de décès dans le monde, etc. De leur côté, les industries agroalimentaires et pharmaceutiques se frottent les mains.

Cette propension à trouver des substituts, on la retrouve chez le toxicomane polyconsommateur qui se rabat sur des substituts quand son fournisseur lui fait défaut pour sa dose quotidienne. Il finit donc par devenir accro à un éventail diversifié de drogues toutes plus nocives les unes que les autres. On retrouve là encore le même schéma de fonctionnement pour la société techno-industrielle ; la raréfaction du pétrole l’encourage à se tourner vers de nouvelles sources d’énergie (solaire, éolien, biomasse, etc) qui ne font qu’aggraver le problème de dépendance au lieu d’y remédier.


La civilisation industrielle est polytoxicomane.

Dans son livre Se libérer du superflu : vers une économie de post-croissance, l’économiste Niko Paech présente les choses en ces termes :

« Un coup d’œil sur un siècle et demi de hausse de productivité nous apprend que les innovations ne sortent pas ex nihilo des mains d’inventeurs géniaux. Machine à vapeur, électricité ou numérisation — un seul et même déterminant explique, en profondeur, que le travail soit devenu plus productif : l’ÉNERGIE. Derrière la croissance considérable de la productivité du travail humain, il y a un échafaudage gigantesque d’appareils et de processus énergivores grâce auquel on travaille toujours moins pour un même résultat. Envisagée de ce côté, l’histoire du progrès technique n’est rien d’autre que l’histoire d’une consommation croissante d’énergie sous ses différentes formes. »

Paradoxalement, la culture dominante assume pleinement cette addiction à l’énergie, alors que les idéaux de liberté et d’indépendance se retrouvent dans tous les symboles. Un signe évocateur de la schizophrénie ambiante.

Jeff Bezos peut ainsi prononcer ce genre de propos sans se faire lyncher par les médias :

« Nous profitons tous d’une extraordinaire civilisation, et elle est alimentée par l’énergie, et elle est alimentée par la population. C’est pourquoi les centres urbains sont si dynamiques. Nous voulons que la population continue de croître sur cette planète. Nous voulons continuer à consommer plus d’énergie par habitant. »

Jean-Marc Jancovici et toute sa clique du Shift Project – et beaucoup d’autres partisans du mouvement pour le climat – tentent de faire pression sur les politiques pour entamer une « décarbonation » de l’économie avec l’objectif revendiqué de s’attaquer à l’industrie pétrolière pour lui sommer de laisser les réserves dans le sous-sol. Autant vous le dire tout de suite, ça n’arrivera pas. D’une part, l’industrie pétrolière est, de très loin, le premier secteur économique mondial avec les dix premières firmes générant un chiffre d’affaires total comparable au PIB français.



Si Total investit aujourd’hui massivement dans la capture du carbone, c’est surtout parce que le pétrole se raréfie – ou plus exactement, le pétrole facile à extraire devient plus rare – et qu’en termes de stratégie d’entreprise, il convient de diversifier ses activités pour maintenir la profitabilité. D’autant plus que le marché mondial du carbone offre des perspectives de croissance alléchantes. Soit dit en passant, le Shift Project défend la capture-séquestration industrielle du carbone pour « décarboner » des industries comme la sidérurgie, la production de ciment ou la chimie lourde comprenant la pétrochimie, donc des produits chimiques dérivés du pétrole.

D’autre part, l’ensemble de l’économie repose ‘une manière ou d’une autre sur le pétrole. Chaque infrastructure, chaque bâtiment, chaque machine, chaque objet de notre quotidien nécessite d’extraire et/ou de brûler du pétrole à un moment donné dans une ou plusieurs des étapes de leur cycle de vie.

On pourrait aussi parler des innombrables – mais vaines – tentatives de réformer le système en passant par la voie légale. Depuis combien d’années l’opinion publique demande-t-elle l’interdiction du glyphosate, un produit fabriquée par Monsanto, donc par une seule entreprise ? Qu’en est-il des produits industriels transformés dont les enfants raffolent et qui sont responsables d’une pandémie mondiale d’obésité, de diabète et de tout un cortège de maladies cardiovasculaires ? Quid du combat sans fin de l’avocat Robert Bilott contre le géant de la chimie DuPont pour interdire le PFOA (un seul composé chimique parmi des milliers potentiellement nocifs et/ou inconnus !) ?

Alors que les institutions européennes sont gangrénées par les lobbys, les décarboneurs veulent nous faire croire qu’il est possible, dans le cadre de ce système délirant, d’interdire l’extraction du pétrole au cartel le plus puissant qui existe. En refusant d’accepter l’évidencede s’attaquer à la racine du problème – la civilisation industrielle –, les décarboneurs repoussent chaque jour les limites de la bêtise. D’ailleurs, il suffit de jeter un œil aux neufs propositions du Shift Project pour diagnostiquer une sérieuse pathologie mentale chez ces gens voulant « tripler les réseaux des trains à grande vitesse », « inventer l’industrie lourde de demain », « généraliser la voiture à moins de 2L/100 km » ou encore « rénover les logements anciens ». Quid des consommations de ressources et d’énergie supplémentaires ? De leur impact sur le quotidien des populations dans les pays du Sud ? Comment peut-on proposer de construire de nouvelles lignes de chemins de fer alors que le territoire européen est le plus fragmenté au monde, un cauchemar pour la vie sauvage ou que la SNCF est le premier consommateur de glyphosate en France ?

Cette obstination criminelle ressemble à une manifestation de la peur face à l’anticipation du manque future d’énergie. Mais un camé qui anticipe et planifie à l’avance sa consommation reste un camé, un drogué privilégié. Et qu’y a-t-il de pire qu’un riche toxicomane ? Le Shift Project – et son fanclub de cadres de la fonction publique, du secteur privé et de journalistes parisiens –  se moque pas mal de la logique impérialiste, de l’extractivisme ou de la prolétarisation des populations situées en périphérie de l’économie-monde, prérequis indispensables au maintien du confort matériel et énergétique des sociétés techno-industrielles occidentales. Le racisme systémique, la violence omniprésente, l’essor délirant de la pornographie, la consommation croissante de psychothropes et de drogues de plus en plus puissantes, le caractère autoritaire et anti-démocratique des hautes-technologies, la multiplication des écrans ruinant les capacités cognitives du cerveau des enfants et leurs aptitudes sociales, la publicité omniprésente, etc., tout ceci ne préoccupe pas nos amis du Shift Project.



Mathieu Auzanneau, directeur du Shift Project, philosophe pendant une heure dans une vidéo Youtube intitulée Un avenir sans pétrole ?, alors qu’il n’y a pas une seule mesure proposée par le Shift Project visant l’industrie pétrolière dans les propositions du think tank sur le site Decarbonize Europe. Peut-être parce que le Shift Project compte parmi ses financeurs et membres de grands groupes à l’avenir incertain sans pétrole ? Par exemple Vinci qui construit en ce moment-même une nouvelle autoroute controversée en Alsace ?


Les partenaires et mécènes du Shift Project, une belle brochette de crevures. (Source : https://theshiftproject.org/gouvernance/ )

Tentons de raisonner par l’absurde et donnons une chance aux décarboneurs et à leur scénario digne d’un conte pour enfant. Et si, finalement, leur croisade pour la réduction volontaire des énergies fossiles se concrétisait par une victoire à l’usure ?

Et si, par la bénédiction du Saint Esprit, les dirigeants politiques arrivaient à « raisonner », à convaincre le cartel du pétrole de ralentir puis de stopper l’exploration et l’extraction ? A fermer les puits en activité ? Que se passerait-il ?

Le crime organisé prendrait le relai, comme il l’a fait avec l’alcool durant la prohibition aux États-Unis, comme il l’a fait avec l’héroïne exploitée pour la première fois au XIXème siècle comme médicament par l’entreprise pharmaceutique Bayer, comme il l’a fait avec la cocaïne alors que le laboratoire Merck dominait le marché au XIXème siècle, comme il le fait à chaque fois qu’un marché existe pour une substance addictive devenue illégale. Il n’y aucune raison pour que le même schéma ne se répète pas avec le pétrole. Et il en va de même pour le charbon.

Ce scénario est d’autant plus probable que le crime organisé recherche en permanence à multiplier ses sources de revenus. Ainsi, l’Atlas mondial des flux illicites produit par Interpol, RHIPTO et The Global Initiative révèle l’ampleur de l’exploitation des ressources naturelles par les mafias et les groupes armés :

« Aujourd’hui, on estime que la valeur annuelle du crime environnemental est comprise entre 110 et 281 milliards de dollars (d’après les chiffres de 2018), soit un accroissement d’environ 14% (9-20%) depuis les précédentes estimations en 2016, et 44% au-dessus (35-57%) des premières estimations en 2014, hors inflation. »

Atlas mondial des flux illicites (source : Interpol, RHIPTO, Global Initiative)

L’exploitation forestière illégale se place loin devant tous les autres trafics et représente 15 % à 30 % du commerce licite, chose assez hallucinante mais révélatrice d’un système totalement hors de contrôle. Les mafias mondiales prospèrent avec le développement du commerce international et grâce aux innovations technologiques qu’elles tournent également à leur avantage (utilisation des réseaux sociaux, des plateformes de vente en ligne, dark web, monnaies virtuelles, etc.).

Le pétrole forme une part substantielle du crime environnemental : « L’exploitation illégale et le vol de pétrole – dont l’ampleur était jusqu’alors inconnue faute d’information – rajoute au minimum entre 19 et 23 milliards de dollars au total (soit 9% de l’estimation totale de la valeur de la criminalité environnementale). »

Atlas mondial des flux illicites (source : Interpol, RHIPTO, Global Initiative)

Le rapport donne l’ampleur du trafic dans divers régions du monde. Dans le delta du Niger, l’ONUDC estimait en 2009 que 55 millions de barils de pétrole (145 000 par jour) passaient en contrebande à l’export. Une autre étude estimait entre 3 et 8 milliards le déficit du gouvernement nigérian dû au trafic illégal d’hydrocarbures, soit une perte de 100 000 bl/jour au premier trimestre 2013.

Dans une région ravagée depuis des décennies par l’extraction du brut, les habitants tentent de survivre tant bien que mal. Certains basculent dans la criminalité et rejoignent le Mouvement pour l’émancipation du delta du Niger (MEND), un groupe rebelle connu pour ses attaques contre les installations pétrolifères et ses kidnapping d’expatriés travaillant sur les plateformes. Avec au moins 7 000 kilomètres d’oléoducs jonchant le sol de la région, il est quasiment impossible de surveiller l’ensemble du réseau. Entre 2004 et 2011, les sabotages ont provoqué en moyenne la perte de 44 % de ces installations.

L’Atlas mondial des flux illicites précise les méthodes employées :

« Quant au vol de pétrole, les méthodes couramment employées sont le piquage sur conduites en charge (qui consiste à connecter des tuyaux entre eux, par exemple sous l’eau) et sur conduites non pressurisées (au cours duquel un oléoduc est détruit afin d’être remplacé par une dérivation). Les barges transportent ensuite le pétrole dérobé jusqu’à des pétroliers en aval, dans le Golfe de Guinée20 (une partie est transportée par camion dans des barils). La corruption est un autre moyen de dérober le pétrole. Entre temps, les groupes armés non-étatiques comme le Mouvement pour l’émancipation du delta du Niger et les Vengeurs du delta du Niger tirent profit des recettes générées par le vol de pétrole. »

Le journaliste britannique Ross Kemp s’est rendu dans le delta du Niger pour tenter de rencontrer le MEND, l’un des groupes rebelles opérant dans la région. Son reportage révèle les conditions de vie effroyables des habitants du delta et l’ampleur du pillage de pétrole opéré sur les puits scellés par les compagnies pétrolières.

Le vol de pétrole est organisé entre trois acteurs principaux :

  • Les premiers coupant les pipelines et ouvrant les puits scellés pour remplir des jerrycans ;
  • Ils vendent ensuite la marchandise aux intermédiaires possédant des barges où stocker l’or noir ;
  • Ces intermédiaires ont de nombreuses connections avec les politiciens et les militaires ;
  • Ils vont ensuite transporter le pétrole au large du delta où se trouvent les tankers contrôlés par des personnes très haut placées dans la hiérarchie sociale et supervisant les opérations depuis la capitale Abuja.

D’après l’activiste local interviewé par Ross Kemp, le vol de pétrole était estimé à 15 milliards de dollars l’année précédant l’interview.



Puits mal scellé dans le Delta du Niger sur lequel est réalisé le soutage ou « bunkering ». Les pilleurs viennent prélever le précieux fluide pour remplir des barges qui rejoindront les tankers mouillant au large des côtes. (source : reportage de Ross Kemp)

Dans le delta du Niger, autre exemple de puits scellé – mais laissant échappé du pétrole – où les pilleurs viennent se ravitailler. (source : reportage de Ross Kemp)

Bidonvilles à Lagos, capitale économique du Nigéria. Les merveilles de la civilisation industrielle et du progrès dans le pays le plus riche d’Afrique. (source : reportage de Ross Kemp)

Au Mexique, 23 500 bl/jour de pétrole brut et raffiné sont volés via le sabotage des oléoducs, une perte estimée à 1,17 milliard de dollars en 2017. Le cartel des Zetas accapare à lui seul près de 39 % du marché noir d’hydrocarbure. Même scénario au Ghana, au Maroc, en Iran, au Pakistan, en Libye ou en Angola.

Le pétrole a été la principale source de financement de l’Etat Islamique en 2014 et 2015. A son plus haut niveau, il a amassé 1,4 milliard de dollars par an grâce aux ventes de pétrole et de gaz, dont une grande partie vendue à la Turquie. Lorsque la guerre civile a éclaté en Syrie, la contrebande de pétrole à la frontière des deux pays a augmenté de 300 %.


Atlas mondial des flux illicites (source : Interpol, RHIPTO, Global Initiative)

Nous avons là un avant-goût du scénario mondial où, d’un côté, l’extraction légale de pétrole serait progressivement réduite puis interdite par un accord international et de l’autre, la civilisation industrielle maintenue. Le monde de Jean-Marc Jancovici et de ses petits copains adeptes de la « neutralité carbone » fait vraiment envie. Tant que le système – infrastructures, machines, usines, etc. – continuera de tourner à plein régime, il y aura des débouchés et donc un marché pour le pétrole. Tant qu’il y aura des machines pour extraire du pétrole, celui-ci sera extrait. Tant qu’il y aura des machines et infrastructures pour transporter le pétrole, l’or noir sera convoyé et vendu là où existe une demande. A cela, les « décarboneurs » me répondront que les Etats doivent assumer la « mission » qui est la leur, c’est-à-dire de veiller sur la population et sur l’environnement en faisant respecter la loi. Passons sur la stupidité d’une telle vision d’un État « mère poule » soi-disant investi d’une mission pour « faire le bien » et intéressons-nous aux conséquences si un tel scénario venait à se mettre en place dans un futur proche.

Il nous est possible d’anticiper les actions concrètes à mener pour lutter contre la pègre mondiale qui se jettera à n’en pas douter sur les puits de pétrole aussitôt ces derniers abandonnés par les firmes. Cela impliquerait de maintenir toute la puissance militaire (Gazprom dispose de sa propre armée privée) afin de protéger les installations en cours de démantèlement et, très vraisemblablement, d’intensifier encore l’ « effort de guerre » pour surveiller des zones immenses comme le delta du Niger et ses milliers de kilomètres de pipelines. Une surveillance humaine est impossible étant donné les conditions géographiques ; une armée de drones serait alors certainement employée. A l’environnement ravagé par des décennies de ruée sur l’or noir s’ajouterait, pour les populations locales, un cauchemar techno-sécuritaire. Pour éviter que des clones de l’État islamique germent un peu partout sur la planète, les États, ceux du côté des « gentils », n’auraient pas d’autre choix que d’investir dans leurs armées ou de déléguer au secteur privé. A ce moment-là, un léger problème va se poser. L’armée américaine est le premier émetteur institutionnel de gaz à effet de serre au monde, elle en rejette autant que la Suède ou le Danemark, les trois quarts étant liés à la consommation de carburant de l’aviation. Dès lors, comment maintenir de puissantes armées sans pétrole ? Si la biomasse apparaissait au début – ou en tout cas dans la campagne de propagande de Barack Obama – comme une alternative « écologique » au pétrole, il n’en est rien. Inutile de sortir de Polytechnique pour réaliser que de remplacer le pétrole dans les réservoirs des machines par des forêts anciennes, de la monoculture industrielle d’arbres, de canne à sucre ou toute autre culture intensive est une complète folie. Le dernier documentaire de Michael Moore vient enfoncer le clou pour ceux qui en douteraient encore.

L’avenir du complexe militaro-industriel ne semble pas être dans la biomasse, il est ailleurs d’après Eric Martel, auteur d’un article intitulé « Le changement climatique, adversaire le plus dangereux de l’armée américaine » et publié dans la revue scientifique The Conversation :

« Face à cette situation, l’US Army fit un premier effort significatif d’économie d’énergie fossile grâce à l’utilisation massive de panneaux photovoltaïques et à une meilleure aération et isolation des bâtiments. Dans certains cas, la consommation a pu être réduite de 90 %. À la suite de ces résultats, l’US Navy décida d’expérimenter l’utilisation de biocarburants en créant une flotte de combat, la Great Green Fleet. Il reste que, en y incluant le processus de production, les biocarburants émettent quasiment autant de gaz à effet de serre que les dérivés du pétrole ; dès lors, on peut douter de l’intérêt de cette expérience en termes de lutte contre le réchauffement climatique. »

Eric Martel prend pour exemple les éco-innovations de la Wehrmarcht :

« Au-delà des solutions technologiques, il serait intéressant de se référer à des cas historiques. L’Allemagne nazie en constitue le seul exemple : elle a réussi à maintenir un haut niveau d’efficacité opérationnelle tant que la contrainte énergétique ne dépassait pas un certain seuil.

Dès les années 1930, le général Heinz Gudérian s’inquiétait des restrictions en matière d’approvisionnement en carburant. Au-delà d’un gigantesque programme de construction d’usines d’essence synthétique, les Allemands décidèrent de concevoir des engins légers et économes. »

Eric Marel fait ensuite la liste de plusieurs engins efficients en énergie (side-car Zündapp, Kubelwagen) de l’armée allemande et insiste sur la nécessité d’une excellence tactique pour éviter le gaspillage d’énergie. Il précise également :

« L’excellence tactique permettant de maximiser l’utilisation d’appareils moins armés et protégés que ceux de leurs adversaires. Dans le domaine des véhicules de transport, le side-car Zündapp, qui permettait de transporter trois soldats, en est l’exemple le plus représentatif avec sa consommation de 7 litres aux 100 km. Le véhicule tout-terrain allemand ou Kubelwagen est plutôt médiocre si on le compare à la Jeep américaine : si on prend en compte sa faible consommation (8 litres aux 100 km), on ne peut être qu’étonné par ses exceptionnelles performances. D’autre part, la Wehrmacht, la première à mener la Blitzkrieg, est plutôt une armée hippomobile. Car contrairement à une légende tenace, l’infanterie constitue le cœur de cette armée. »

Effectivement, la mobilité de la Wehrmacht reposait à 80 % sur les chevaux (en moyenne 1,1 million). Sur les 322 divisions de l’armée allemande en 1943, seules 52 étaient blindées ou motorisées[ii].

Eric Martel nous donne ensuite des « pistes pour l’avenir » :

« Concevoir des engins plus économes n’est pas la tendance que suit l’armée américaine. Si le Humvee, son véhicule utilitaire de référence, consomme entre 23 et 40 litres aux 100 km – à comparer aux 8 litres du vénérable Kubelwagen –, son successeur, l’Oshkosh, ne devrait pas faire mieux, bien au contraire, en raison de son poids.

En termes technologiques, deux pistes complémentaires permettraient de diminuer cette consommation de carburant. Des microcentrales nucléaires établies dans chaque base américaine permettraient ainsi de fournir de l’électricité à des engins robotisés mobiles, donc beaucoup plus petits que les véhicules actuels. Au-delà, s’il est possible d’équiper les bateaux de mini-réacteurs nucléaires, il en va autrement des véhicules terrestres et aériens. Expérimentés dans les années 1950 par les Américains et les Russes, principalement dans le domaine aérien, leur dangerosité est rédhibitoire.
La robotisation est également une voie prometteuse, bien qu’elle suppose un changement complet de doctrine militaire. Les contraintes en termes de taille des batteries sont telles que les engins létaux du futur seront petits, voire très petits, bien loin des véhicules blindés et avions de combat actuels. Paradoxalement, les plus enclins à réfléchir à de nouvelles doctrines de combat économes sont des acteurs disposant de faibles moyens. L’attaque des installations pétrolières saoudiennes par des drones en septembre dernier nous donne un aperçu de cette possible guerre du futur. Comme pour l’Allemagne nazie, la contrainte reste ainsi le meilleur stimulant de l’innovation. »

Nucléaire, robotisation, inspiration de « l’excellence tactique » et de l’efficience énergétique de l’armée nazie, la vraie recette du bonheur pour futur écodurable mes amis !

Plus sérieusement, l’armée américaine a déjà commencé à s’atteler à la tâche et à trouver des solutions pour faire face à la raréfaction du pétrole. C’est ce que nous apprenons dans un autre article, toujours sur The Conversation, publié en décembre 2019 par deux auteurs dont Thierry Berthier, maître de conférences à Saint-Cyr. Le contenu du rapport Implications of Climate Change for the U.S. Army produit par le United States Army War College y est résumé.

Les pays industrialisés à la biodiversité saccagée, où les populations sont complètement dépendantes d’un système – la société techno-industrielle – alimenté par le pétrole et l’extraction de ressources provenant du pillage écologique de pays lointains, vont connaître le chaos et la désolation :

« Selon le rapport, la population américaine pourrait être confrontée, à l’horizon 2040-2050, à des pannes d’électricité de longue durée, à des épidémies, au manque d’eau potable, à la famine et à la guerre. Dans ce contexte fortement dégradé, l’armée des États-Unis pourrait à son tour s’effondrer et perdre ses capacités opérationnelles.

Les auteurs du rapport identifient deux menaces majeures provoquées par le réchauffement climatique pour les vingt prochaines années : un effondrement du réseau électrique national et l’apparition d’épidémies massives. L’augmentation des besoins énergétiques provoquée par les nouvelles conditions climatiques alternant de longues périodes de forte chaleur, de sécheresse puis de froid intense pourrait submerger un système de production et de distribution déjà fragile. »

Avec le changement climatique libérant des voies navigables et pour faire face au manque de pétrole, le cercle arctique devient depuis quelques années le centre de toutes les attentions :

« La zone arctique, qui dispose d’importantes ressources en hydrocarbures, fera l’objet de toutes les convoitises, notamment chinoises et russes. Il s’agira pour l’armée américaine de tirer parti de ces ressources en utilisant les nouvelles routes ouvertes par la fonte des glaces tout en contrant l’expansionnisme russe dans cette zone stratégique. »

L’ensemble des nouvelles technologies dites « vertes » vont servir à moderniser le complexe militaro-industriel :

« La principale solution envisagée est l’électrisation des forces et des systèmes, qui reposerait notamment sur une évolution profonde des systèmes énergétiques militaires actuels. »

Efficacité énergétique, stockage et systèmes de gestion « smart » sont au programme pour une guerre durable :

« Au-delà du passage d’un modèle tout-hydrocarbure à un modèle mixte hydrocarbure-électrique, il importe de prendre en compte l’enjeu majeur que représentent les technologies d’efficacité énergétique, que ce soit dans la gestion de la production et de la distribution d’électricité dans les systèmes que dans le stockage de l’énergie. 

La gestion et le stockage sont les deux grands axes de développement aujourd’hui envisagés qui font par ailleurs appel à des technologies par essence civiles, comme les batteries lithium-ion, les piles à combustible ou les systèmes de gestion de réseau. L’efficacité semble ainsi être le mot-clé dans cette nouvelle vision de l’énergie militaire opérationnelle puisque, grâce à elle – même en conservant des systèmes fondés sur un carburant unique –, il est possible d’obtenir des gains opérationnels importants. La même logique se retrouve dans la gestion de l’eau et des déchets où l’enjeu d’une approche raisonnée et efficiente est le principal défi auquel la logistique sera confrontée dans les années à venir. »

Comme vous pouvez le constater avec l’armée U.S., il n’est nullement question d’effectuer une transition énergétique, quand bien même serait-elle techniquement réalisable dans le cadre d’un système expansionniste comme l’est la civilisation industrielle. Il s’agit de remédier à l’instabilité provoquée par les tensions sur les ressources naturelles, en particulier autour de la raréfaction du pétrole. Pour la société industrielle dans son ensemble, le même scénario est à l’œuvre avec les productions d’énergie dites « vertes » qui s’additionnent aux énergies fossiles dans le mix énergétique.

Selon toute probabilité, en refusant de démanteler la civilisation industrielle et en raison de son addiction aux hydrocarbures, nous pouvons nous attendre à la prolifération des conflits armés un peu partout à la surface du globe, y compris dans des zones encore (relativement) intactes à l’image du cercle arctique, un endroit qui pourrait devenir le théâtre d’une nouvelle guerre entre grandes puissances étatiques – États-Unis, Royaume-Uni, Union Européenne, Chine, Russie et d’autres voulant leur part du gâteau.

Le toxicomane reste dépendant à vie, il n’apprend jamais de ses erreurs et se montre incapable de faire appel à la raison pour cesser de se droguer. Sans l’intervention d’une force extérieure salvatrice, il poursuit inlassablement sa lente descente aux enfers qui se termine bien souvent par une overdose ou un suicide.

En voulant sauver la civilisation industrielle, les décarboneurs semblent avoir opté pour la seconde option.

Pour réaliser à quel point nous sommes proches d’une guerre entre deux puissances nucléaires – les États-Unis et la Chine –, voir le documentaire La menace d’une guerre contre la Chine de John Pilger sous-titré en français grâce au travail remarquable du collectif Le Partage :



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