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Zircon : l’industrie nucléaire participe au carnage en Afrique

Les débats des écologistes autour de l’industrie nucléaire se concentrent bien souvent sur le risque d’accident ou sur les déchets nucléaires, sur le type d’énergie en lui-même, jamais sur la finalité de cette production énergétique destinée à alimenter la mégamachine dévorant cette planète. De la même manière, les métaux – uranium, hafnium, titane, zirconium, etc. – consommés par l’industrie atomique font rarement l’objet de débats houleux. Titane et zirconium sont respectivement utilisés dans la fabrication des réacteurs nucléaires et le gainage des barres de combustible. On les obtient à partir de l’extraction puis de la transformation des minéraux lourds présents dans la croûte terrestre, et plus précisément dans les gisements alluviaux ou éoliens composés de sable. Ces derniers forment souvent des habitats côtiers riches en diversité biologique (plages, dunes et lits de rivière).

Chaque année, la France importe près de 23 000 tonnes de zircon – un minéral dit « lourd » classé hautement critique pour l’industrie française – à partir duquel est produit le zirconium, un métal dur, argenté et satiné développé pour des applications nucléaires à cause de sa transparence aux neutrons et pour sa bonne stabilité chimique à haute température, particulièrement sa résistance à la corrosion. En 2018, ce zircon provenait à 59 % d’Afrique du Sud – le 2nd producteur mondial derrière l’Australie –, à 20 % du Mozambique et à 6 % du Sénégal.[1] La production mondiale s’élevait quant à elle à un peu moins de 1,4 millions de tonnes en 2016[2], un chiffre à mettre en regard avec la faible concentration des minéraux lourds dans les gisements alluviaux (entre 1 % et 50 % pour le zircon[3]). Difficile de trouver un chiffre sur les dizaines (centaines ?) de millions de tonnes de matières à extraire pour obtenir un million de tonnes de zircon.

Production de zircon par pays (source : statista.com)

Pour l’usage dans l’industrie nucléaire, c’est l’entreprise sidérurgique Framatome – ancienne propriété d’Areva devenue filiale d’EDF – qui transforme le zircon en éponges de zirconium sur le territoire français à Jarrie (Isère). Elles sont ensuite laminées à Rugles (Eure). Afin d’extraire le zirconium, ce dernier doit être séparé du hafnium avec lequel il coexiste dans le zircon.

La France produit annuellement 2 200 tonnes de zirconium, soit 35 % de la production mondiale. Interviewé dans le magazine L’Usine Nouvelle, le géologue-économiste Mathieu Leguérinel précise : « Compte-tenu de sa très bonne transparence aux neutrons, les alliages au zirconium servent surtout de gaines isolantes autour des crayons de combustible des réacteurs dans les centrales. » Le zirconium entre aussi dans la fabrication des réacteurs nucléaires : un réacteur à eau bouillante (REB) contient environ 44 tonnes de zirconium tandis qu’un réacteur à eau pressurisée (REP) en contient autour de 29 tonnes.[4]

Cycle de production de l’alliage au zirconium (source : Uppsala Universitet)

Autre sujet rarement abordé : les liens étroits entre l’industrie nucléaire et le secteur de la défense. Le site Techniques de l’ingénieur rappelle la synergie entre nucléaire militaire et nucléaire civile :

« La volonté de construire des sous-marins à propulsion nucléaire a conduit à retenir le zirconium comme seul élément de structure pouvant convenir pour la construction d’un réacteur compact. »[5]

Le site de la Zircon Industry Association apporte d’autres détails à ce sujet :

« Au début des années 1950, la décision d’utiliser un alliage de zirconium dans les gaines de combustible nucléaire était essentiellement due à l’amiral Hyman Rickover de la marine américaine. Chargé de développer des navires et des sous-marins à propulsion nucléaire, Rickover s’est rendu compte que le réacteur utilisé dans les navires devait être compact, il devait aussi pouvoir fonctionner lorsque le navire subissait du roulis ou tanguait, ou à un certain angle lorsque le sous-marin plongeait ou faisait surface.

Un réacteur à eau pressurisée (REP) a été envisagé, avec comme besoin un matériau de gainage du combustible nucléaire qui résisterait à la corrosion à des températures élevées sur de longues périodes, qui maintiendrait son intégrité dans un environnement de rayonnement intense et n’absorberait pas les neutrons nécessaires à la réaction nucléaire. »[6]

Cette technologie REP a été développée par la firme états-unienne Westinghouse pour les sous-marins de l’US Navy[7], et elle équipe désormais 93 % des réacteurs nucléaires français[8].

L’extraction du sable de zircon saccage les paysages naturels, accélère la désertification et anéantit la vie de milliers de personnes aux confins de l’économie-monde, loin des centres de pouvoir. Sans surprise, l’industrie extractive se défend en insistant sur l’infime quantité de matière prélevée dans les dunes de sable et insiste sur les projets de réhabilitation. Il s’agit en général de reformer les dunes et le sol après traitement puis de replanter la végétation arrachée par les bulldozers en amont du projet. Dans le cas du projet Grande Côte Operations au Sénégal, environ 2 % du sable extrait est récupéré sous forme de concentré de minéraux lourds et 98 % sera restitué au système dunaire pour soi-disant « reconstituer le paysage ». Mais seul un esprit détraqué peut croire qu’il est possible de recréer un paysage millénaire en un claquement doigt, grâce au progrès technique et aux machines. À lui seul, le nettoyage mécanique des plages par criblage sur seulement vingt centimètres de profondeur suffit déjà à détruire l’écosystème et la géomorphologie du paysage côtier, alors on n’ose imaginer le désastre avec une drague aspirant 7 000 tonnes de sable minéralisé à l’heure et 55 millions de tonnes à l’année, comme c’est le cas pour le projet Grand Côte Operations (GCO), au Sénégal. Ce monstre déplace 55 millions de tonnes de sable par an pour n’en prélever que 1,1 million, un bon exemple de l’inefficience caractéristique de la société techno-industrielle capitaliste. Au niveau social, l’impact paraît tout aussi désastreux avec, comme souvent, une population qui a été trompée et qui ne peut plus faire marche arrière une fois les parasites occidentaux implantés sur leur territoire[9].

Pour le GCO, la drague est en plus alimentée en électricité par une centrale thermique de 36 MW fonctionnant au fioul lourd, diesel ou gaz. Dans le cas du projet GCO, l’État sénégalais possède 10 % des parts et la holding TiZir détient 90 %, cette même holding étant contrôlée à 50 % par l’Australien Mineral Deposits Limited (MDL) et à 50 % par le groupe français minier et métallurgique Eramet[10]. Ajoutons également que la principale production du GCO est l’ilménite servant à la fabrication de titane. L’immense majorité du titane s’utilise sous forme de dioxyde de titane dans les pigments et opacifiants des peintures, crèmes solaires, dentifrices, céramiques, médicaments, etc. Il est aussi employé dans d’innombrables secteurs industriels : aéronautique, aérospatiale, industrie chimique, industrie papetière, industrie médical (prothèses et outils), sans oublier l’industrie de l’armement (blindage).

Film réalisé par l’exploitant de la mine de Diogo au Sénégal :

Le Mozambique semble être lui aussi un futur eldorado pour les rapaces de l’industrie du zircon. D’après David Archer, PDG de l’entreprise britannique Savannah Resources, les fameuses plages du Mozambique figurent parmi « l’un des gisements de sable minéralisé les plus attractifs au monde. » En partenariat avec le géant minier anglo-australien Rio Tinto, la Britannique Savannah, déjà présente depuis 2013 dans le pays, vient d’obtenir une nouvelle concession minière sur une surface de 400 km² afin d’extraire du titane et du zircon. Savannah a fait une demande pour exploiter 138 km² supplémentaires dans la même région. D’autres firmes occidentales et chinoises se ruent sur les sables mozambicains. L’Irlandais Kenmare y produit 7 % du titane, le Chinois Haiyu a été accusé par Amnesty International de dévaster la topographie côtière si sévèrement que des inondations ont rasé 48 maisons en 2015. De son côté, le Chinois Dingsheng Minerals a pour objectif de procéder à l’extraction de 100 000 tonnes de sable par jour à Gaza dans une concession de 100 km² où 1 500 personnes devront être chassées de leurs terres. Le Britannique MGR Metals s’est lui aussi joint à la fête. Depuis la ville de Pemba dans la région de Cabo Delgado jusqu’à l’embouchure du fleuve Zambèze, sur des centaines de kilomètres, des licences de prospection ont été attribuées sur toute la région côtière[11].

Cadastre minier du Mozambique. La prospection est autorisée sur tous les terrains en bleu. Il est aisé de comprendre pourquoi une insurrection fait rage dans le nord-est du pays. Entre les parcs nationaux (en vert) et les terrains livrés à l’exploration minière, la population rurale n’a nulle part où aller. (source : https://portals.landfolio.com/mozambique/en/ )

D’après la Zircon Industry Association (ZIA), le zircon est utilisé dans de très nombreuses applications indispensables indissociables de la civilisation industrielle :

  • Il donne un aspect brillant et une résistance aux rayures pour les céramiques et intérieurs modernes ;
  • Matériel réfractaire dans les fonderies (verre, acier) ;
  • Revêtement des turbines de réacteur d’avion ;
  • Pots catalytiques ;
  • Implants et prothèses pour la médecine moderne ;
  • Matériel médical (ultrasons, imagerie médicale, appareillage auditif, implants dentaires, etc.) ;
  • Industrie digitale : le zircon est utilisé dans la fabrication des écrans de smartphones ;
  • Etc.

Film promotionnel de la ZIA listant les applications du zircon :

Les thuriféraires de l’atome se défendront probablement en avançant que l’industrie nucléaire consomme d’infimes quantités de la production globale de zircon (1 % pour le zirconium métal) comparé à d’autres secteurs industriels – céramiques (52 %), produits chimiques (20 %), matériaux réfractaires (15 %), sables de fonderies (10 %)[12]. Un procédé de manipulation classique des industriels pour faire rationaliser et accepter au public des risques toujours plus délirants : « Regardez, le nucléaire ne tue que X personnes chaque année, alors que l’industrie des fossiles en tue X fois plus ! » ou « Soyez raisonnables, cette usine ne rejette que X tonnes de déchets toxiques dans l’environnement, d’autres font bien pire ! »

Comme toute industrie, le nucléaire dépend donc d’un apport constant et croissant de flux de matières premières des pays du Sud afin de maintenir et de faire croître ses revenus. D’autre part, comme indiqué plus haut, l’électricité produite par le nucléaire (72 % en France en 2016) maintient en état de marche d’autres secteurs industriels bien plus gourmands en matières premières. En France, le secteur de l’industrie et de l’énergie consomme ainsi 27 % de l’électricité produite tandis que l’agriculture et le secteur tertiaire totalisent 30 % de la consommation[13]. Le nucléaire produit une énergie abondante au service des industriels de la pétrochimie, de la métallurgie, des usines automobiles, des fabricants d’avions de ligne et de chasse, d’armes et de bombes, de cuillères et de sachets en plastique, de steaks hachés et de sodas, de smartphones et d’écrans de télévision, de meubles en bois aggloméré et de parquet stratifié. L’atome rend le carnage durable. Au final, isoler la production d’énergie du système par et pour lequel cette dernière a été pensée, comme Jean-Marc Jancovici[14] et d’autres le font systématiquement, ne sert qu’à tromper pour mieux perpétuer la nuisance incarnée par la société industrielle.


[1] https://www.usinenouvelle.com/article/framatome-champion-du-zirconium.N709839

[2] http://www.mineralinfo.fr/sites/default/files/upload/documents/Fiches_criticite/fichecriticitezr180702.pdf

[3] https://www.zircon-association.org/zircon-sand.html

[4] https://www.diva-portal.org/smash/get/diva2:475527/FULLTEXT01.pdf

[5] https://www.techniques-ingenieur.fr/base-documentaire/materiaux-th11/metaux-et-alliages-non-ferreux-42357210/proprietes-du-zirconium-et-du-hafnium-m4785/

[6] https://www.zircon-association.org/zirconium%E2%80%99s-essential-role-in-nuclear-engineering.html

[7] https://www.intechopen.com/books/nuclear-power-deployment-operation-and-sustainability/nuclear-naval-propulsion

[8] https://www.westinghousenuclear.com/france

[9] https://reporterre.net/Le-nettoyage-mecanique-des-plages-devaste-leur-biodiversite

https://www.au-senegal.com/exploitation-du-zircon-a-diogo-que-nous-restera-t-il,15752.html?lang=fr

[10] https://www.financialafrik.com/2017/05/09/interview-exclusive-avec-daniel-marini-adg-de-grande-cote-operation-au-senegal/

[11] https://clubofmozambique.com/news/mozambique-400-sq-kilometres-of-inhambane-beach-to-be-mined-by-joseph-hanlon-154456/

[12] https://www.lelementarium.fr/product/zircon/

[13] https://www.edf.fr/groupe-edf/espaces-dedies/l-energie-de-a-a-z/tout-sur-l-energie/le-developpement-durable/la-consommation-d-electricite-en-chiffres

[14] https://www.facebook.com/watch/?v=309062867113889

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