UICN : conservation de la nature ou du business ? – Partie 1
Depuis sa création en 1948, l’Union Internationale pour la Conservation de la Nature (UICN ou IUCN en anglais) fait office de référence mondiale en matière de connaissances sur la biodiversité, d’évaluation de l’état des espèces sauvages et de protection du monde naturel. L’UICN apparaît dans les médias de masse comme une source d’autorité, sûre et indépendante, au même titre que les grandes ONG impliquées dans la conservation de la nature telles que le World Wildlife Fund (WWF), la Wildlife Conservation Society (WCS) ou la Zoological Society of London (ZSL).
Mais qu’en est-il réellement ? Pouvons-nous accorder une confiance aveugle à l’UICN et à ces ONG, toutes occidentales, vieilles de plus d’un demi-siècle, certaines (WCS et ZSL) ayant même été fondées au XIXème siècle, au moment où l’idéologie coloniale et l’impérialisme étaient pleinement assumés par la classe dirigeante ?
Inutile de creuser bien longtemps avant de déceler des connexions douteuses entretenues par l’UICN avec le monde des affaires. C’est même une position explicitement assumée par l’organisation sur son site. Rien de tout cela n’est caché, il n’y a pas de complot mondial, tout se déroule au grand jour et sous nos yeux.
Avant de commencer notre démonstration, il convient de rappeler que la société médiatique est — et a toujours été — un système de propagande, c’est là sa principale fonction. Il s’agit de façonner une certaine vision du monde puis de la fixer dans l’esprit des masses, mais la complexité croissante caractérisant ce système rend la tâche difficile pour celui qui voudrait en faire la démonstration. Les consignes du bon vieux Joseph Goebbels, patron de la propagande de l’Etat nazi, ont été remarquablement suivies. Selon sa théorie, les médias devaient être « uniformes sur le principe » mais « polymorphes dans les nuances »*, autrement dit véhiculer le même message en variant les formes pour donner l’illusion de diversité des opinions.
*[Voir le documentaire indépendant The Power Principle de Scott Noble avec des intervenants comme Noam Chomsky ainsi que des historiens, écrivains, sociologues, etc. Les trois épisodes Empire, Propagande et Apocalypse sont disponibles sur Youtube en VOST]
Noam Chomsky, linguiste, analyste du fonctionnement des médias et ancien professeur au MIT, a déjà entrepris de décrypter ce sac de nœuds dans les années 1980. Il décrit ce « modèle de propagande » en l’illustrant avec de nombreux exemples dans les plus de 700 pages de son ouvrage Fabriquer un consentement : la gestion politique des médias de masse.
Voici la définition qu’il livre du système médiatique :
« Les mass médias forment un système utilisé pour communiquer messages et symboles à l’ensemble de la population. Leur fonction est de distraire, d’amuser, d’informer, et d’inculquer aux individus les valeurs, croyances et codes comportementaux qui les intègreront dans les structures institutionnelles de la société au sens large du terme. Dans un monde dominé par une forte concentration des richesses et une fracture sociale béante, cette fonction même implique une propagande systématique. »
Noam Chomsky décrit neuf types de « filtres » utilisés par les médias pour sélectionner l’information. Le choix des sources est l’un de ces filtres :
« Les mass médias entretiennent une relation totalement symbiotique avec de puissantes sources d’information pour des questions d’impératifs économiques et d’intérêts réciproques : ils ont vitalement besoin d’un flux continu et stable d’information brute et ne peuvent se soustraire ni à la demande d’information quotidienne ni à la grille horaire qui lui est impartie. » […] Mais les sources proches du gouvernement et des milieux d’affaires ont aussi un gros avantage : leur statut et leur prestige les rendent reconnaissables et crédibles d’office. […] Autre raison du poids considérable attribué aux sources officielles : les mass médias prétendent dispenser « objectivement » l’information. Afin de préserver cette image d’objectivité et de rester à l’abri de toute accusation de partialité et d’éventuelles poursuites pour diffamation, ils ont besoin d’un matériel qui puisse être présenté comme théoriquement exact. Mais c’est aussi une question de coût : tirer des informations de sources a priori crédibles réduit d’autant les frais d’enquêtes [le résultat de la logique de rentabilité des médias de masse], tandis que les informations puisées auprès de sources susceptibles de s’avérer douteuses ou d’entraîner critiques ou menaces doivent être soigneusement vérifiées, ce qui implique parfois de coûteuses recherches. »
L’UICN correspond précisément à la définition d’une « puissante source d’information », elle est à la fois proche des gouvernements et des milieux d’affaires.
Il suffit de taper sur un moteur de recherche le nom d’un média et le mot clé « UICN » pour évaluer l’importance accordée à cette source d’information par la presse.
France TV Info
10/10/2020 — Afrique du Sud : le trafic des griffes et des dents de lions
« Décimé par les trafics, le lion (Panthera leo) figure sur la liste rouge de l’Union internationale de la protection de la nature (IUCN). »
Précisons, afin d’exposer la médiocrité des médias publics français, que l’article ne mentionne à aucun moment l’élevage de lions (5 000 à 8 000 individus) en Afrique du Sud pour la chasse ET pour exporter des squelettes en Asie, le tout avec la bénédiction des instances internationales (CITES) leur octroyant les permis nécessaires. Pourtant, France Info parlait de l’élevage de lions dans un article en 2016…
02/01/2020 — Vidéo. La culture de soja, un désastre écologique au Brésil
« La consommation de soja de ces pays a été particulièrement préjudiciable à l’habitat du fourmilier géant. L’espèce est aujourd’hui classée comme vulnérable sur la liste rouge de l’IUCN. Une situation qui pourrait empirer… »
Le Monde
« Le chat est considéré par l’Union internationale pour la conservation de la nature (IUCN) comme l’une des cent « espèces exotiques envahissantes » les plus nuisibles, tout comme le rat noir. »
Libération
05/04/2020 — Pour l’UICN, le Covid-19 est dû aux pressions humaines sur la nature
« Le coronavirus, soupçonné d’être né dans le monde animal avant de passer aux humains, est une alerte sans précédent et montre l’urgence de protéger la nature, plaide le directeur du Comité français de l’UICN (Union internationale pour la conservation de la nature) »
Le Figaro
20/02/2020 — Coronavirus : le pangolin, une victime aux airs de coupable
« Sur sa fameuse liste rouge des espèces menacées, l’Union internationale pour la conservation de la nature (IUCN) place tous les types de pangolins au niveau «danger critique» ou «vulnérable». »
L’Express
16/08/2019 — En Afrique, les girafes menacées « d’extinction silencieuse »
« À l’échelle du continent, le nombre de girafes a diminué de quelque 40% entre 1985 et 2015, pour atteindre environ 98 000 individus, selon les chiffres de l’IUCN. »
L’OBS
27/09/2019 — « Liste rouge » des arbres en Europe : plus de 40 % des espèces menacées d’extinction
« C’est la première fois que l’Union internationale pour la conservation de la nature (UICN), une ONG basée à Gland (Suisse), publie une “Liste rouge” des arbres européens. A cette occasion, l’organisation s’est penchée sur le sort des 454 espèces d’arbres présents sur le sol européen. »
L’objet n’est pas ici de faire une étude aussi représentative qu’a pu le faire Noam Chomsky, je laisse le soin au lecteur de vérifier par lui-même, avec une simple recherche sur le web, l’omniprésence de l’UICN dans la presse nationale et internationale. Manifestement, l’UICN fait figure d’autorité sur la question environnementale et en particulier sur la biodiversité.
Ces dernières semaines, une « bonne nouvelle » en provenance d’Afrique a émergé un peu partout dans la presse : avec une population passée entre 2012 et 2018 de 4 845 à 5 630 individus, le rhinocéros noir se porte mieux. La corne de rhinocéros pouvant atteindre plusieurs dizaines de milliers d’euros le kilo sur le marché noir en Asie, l’animal est victime d’une recrudescence du braconnage depuis une vingtaine d’années en Afrique. Cette information de l’UICN annonçant la croissance de la population des rhinocéros noirs à un taux annuel de 2,5 % entre 2012 et 2018 a donc été accueillie les bras ouverts par les chefs éditoriaux amateurs de feel-good news sur le thème de la nature.
De nombreux médias francophones (Le Monde, Metro, Libération, France Info, L’Express, Futura-Sciences, Sciences et Avenir, 20 Minutes, L’Info Durable, Novethic, Géo, Paris Match, RSE Magazine) citent le communiqué de l’UICN comme unique source référente ; la meilleure santé de l’espèce est le résultat d’un durcissement des sanctions, d’un renforcement des moyens pour lutter contre le braconnage ainsi que de « mesures de gestion des populations, y compris le déplacement de certains rhinocéros de populations établies vers de nouveaux emplacements, afin de maintenir les populations productives et d’augmenter l’aire de répartition de l’espèce. »
Les commentaires des cadres dirigeants de l’IUCN dans le communiqué de presse de l’organisation :
Grethel Aguilar, directrice générale de l’IUCN commente la nouvelle :
« Bien que les rhinocéros d’Afrique soient toujours menacés d’extinction, la lente récupération continue des populations de rhinocéros noirs témoigne des immenses efforts déployés dans les pays où l’espèce est présente, et constitue un puissant rappel à la communauté mondiale que la conservation fonctionne. Cependant, il est évident qu’il n’y a nulle place pour la complaisance car le braconnage et le commerce illégal restent des menaces importantes » […] « Il est essentiel que les mesures de lutte contre le braconnage en cours et la gestion intensive et proactive des populations se poursuivent, avec le soutien des acteurs nationaux et internationaux. »
A ce stade, on peut déjà se demander pourquoi le lycaon — un canidé endémique à l’Afrique — figurant lui aussi sur la liste rouge de l’UICN avec une population estimée à seulement 1 409 individus matures, ne fait pas l’objet de la même attention, voire même d’une attention bien plus importante. Pareil pour le guépard dont il reste dans le monde à peine 6 674 individus matures.
Jane Smart, directrice globale du Biodiversity Conservation Group de l’UICN, ajoute :
« Il est crucial que les populations locales soient de plus en plus impliquées dans les efforts de conservation et en bénéficient. Les acteurs internationaux, nationaux et locaux doivent travailler ensemble pour faire face à la crise de la biodiversité. Il sera critique que les voix de ceux qui travaillent sur le terrain pour protéger les espèces menacées telles que les rhinocéros africains soient amplifiées, dans les années à venir, à l’heure où nous établissons le programme de conservation pour la prochaine décennie. »
Que cachent réellement les termes « immenses efforts » de conservation, « mesures de lutte contre le braconnage », « gestion intensive et proactive des populations [de rhinocéros] » et « implication » des populations locales ?
Il suffit de lire le communiqué de l’UICN dans sa totalité. Aucun média n’a cru bon de relever un passage pourtant essentiel pour aider le lecteur à comprendre comment se déroule aujourd’hui la « conservation » du rhinocéros :
« Bien que les efforts de conservation soient efficaces, les coûts liés à la sécurité des rhinocéros ont considérablement augmenté et les prix de vente d’animaux vivants ont considérablement diminué au cours de la dernière décennie, réduisant les incitations pour les propriétaires fonciers privés et les communautés à les protéger. Avec environ la moitié des Rhinocéros blancs et près de 40 % des Rhinocéros noirs aujourd’hui conservés sur des terres privées ou gérées par les communautés, la tendance croissante à considérer les rhinocéros comme un fardeau coûteux pourrait limiter ou inverser l’expansion de l’aire de répartition et des effectifs de ces espèces. »
La majorité des rhinocéros noirs et blancs se concentrent aujourd’hui dans deux pays : l’Afrique du Sud et la Namibie. L’élevage de gibier pour la chasse y est répandu, c’est même une industrie très lucrative et le rhinocéros n’y échappe pas. Ce dernier est élevé pour la chasse et, de plus en plus, pour sa corne qui est prélevée pour être stockée. Seul problème dans le cas du rhinocéros, un propriétaire fait face à des coûts croissants pour sécuriser la poule aux œufs d’or source de toutes les convoitises, notamment du crime organisé. John Hume, heureux propriétaire d’un cheptel de 1 700 rhinocéros, pratique depuis des années un intense lobbying pour commercialiser son stock de cornes — qui se compte en tonnes — afin d’ôter ce « fardeau coûteux » pesant sur son portefeuille.
Comment en est-on arrivé là ?
Développement économique important des pays asiatiques s’accompagnant de l’émergence de classes moyennes (et surtout privilégiées) dotées d’un important pouvoir d’achat, essor du commerce international et des technologies numériques favorisant les trafics en ligne, prolifération du crime organisé en diversifiant ses activités à l’exploitation des ressources naturelles, inégalités systémiques béantes en Afrique du Sud, persécutions et expulsions des populations rurales de leurs terres au nom du développement et de la protection de l’environnement résultant en une prolétarisation massive des populations à travers toute l’Afrique, etc. ; c’est une combinaison de multiples facteurs qui a mené à l’explosion du braconnage des rhinocéros. Quand les professionnels de la conservation s’attaquent à une cause en particulier, la complexité du système permet à chaque fois aux trafiquants de trouver une parade. La répression sur les plateformes de vente en ligne s’intensifie ? Les trafiquants basculent sur le dark web. Les gardes forestiers patrouillant les parcs bénéficient du renfort des militaires ? Les braconniers utilisent des fusils modernes équipés de silencieux et opèrent la nuit avec des lunettes de vision nocturne. Les autorités installent des clôtures autour des parcs ? Les trafiquants infiltrent le personnel des parcs (vétérinaires, rangers, etc.) pour mener leurs opérations.
C’est sans fin.
La complexité du système – la société techno-industrielle capitaliste aujourd’hui globalisée – rend impossible toute forme de solution durable puisque son existence repose sur l’exploitation des êtres vivants et des milieux naturels. Exploiter et/ou détruire la nature est valorisé économiquement et l’extermination des espèces sauvages n’a que peu d’impact sur la civilisation puisque son cheptel humain et non humain dépend pour sa survie de l’industrialisation de la production de nourriture. Idéalement, il faudrait entamer un démantèlement dudit système afin de décroître fortement. Il n’y a pas d’autre solution pour mettre fin au cercle vicieux de la dévastation écologique.
Mais comme le démantèlement de la société techno-industrielle et la démondialisation sont hors de question pour le plus grand nombre (en tout cas dans les pays industrialisés, chez les principaux bénéficiaires du « progrès »), ce sera une fois de plus la force salvatrice du marché qui remportera la partie pour sauver le rhinocéros, mais à un prix : sa domestication. C’est même un processus déjà bien avancé pour cette espèce, et d’autres vont suivre.
Je vais en rester là pour le moment, la conservation — ou plutôt la domestication — des rhinocéros sera développée plus en détails dans un prochain article.
Concentrons-nous sur l’UICN.
Qu’est-ce que l’UICN ?
Sa vision :
« Un monde équitable valorisant et conservant la nature »
Sa mission :
« Influencer, encourager et assister les sociétés pour conserver l’intégrité et la diversité de la nature et assurer que toute utilisation des ressources naturelles soit équitable et écologiquement soutenable. »
Dans l’historique disponible sur le site, on peut lire :
« Depuis sa création en 1948, l’UICN est devenue l’autorité mondiale pour ce qui concerne l’état du monde naturel et les mesures nécessaires afin de le sauvegarder. Les connaissances et les outils fournis par l’UICN jouent un rôle central afin que le progrès humain, le développement économique et la conservation de la nature puissent avancer de concert. »
Comme vous avez pu le constater en lisant le récent rapport de l’IPBES (Plateforme intergouvernementale sur la biodiversité et les services écosystémiques) intitulé Le dangereux déclin de la nature : un taux d’extinction des espèces sans précédent et qui s’accélère, l’action de l’UICN est un franc succès depuis maintenant plus de 70 ans.
La présentation se poursuit :
« L’Union internationale pour la conservation de la nature (UICN) a été créée le 5 octobre 1948 à Fontainebleau (France). Première union environnementale à l’échelle mondiale, elle a réuni les gouvernements et les organisations de la société civile dans le but partagé de protéger la nature. Elle avait pour objectif d’encourager la coopération internationale et de fournir des connaissances et des outils scientifiques pouvant orienter les mesures de conservation. »
L’UICN produit et met à jour régulièrement la Liste Rouge des espèces menacées, « les données les plus complètes sur le risque d’extinction des espèces ». L’organisation a également joué un rôle fondamental dans la création de la CITES – Convention internationale sur le commerce d’espèces de faune et de flore menacées, régulièrement mise en cause pour ses dysfonctionnements, la vente de permis pour blanchir le trafic illégal et autres joyeusetés – et d’une autre institution : la Convention sur la diversité biologique (CBD). En 1980, en collaboration avec l’UNEP (programme environnemental de l’ONU) et le WWF, l’UICN a publié la « Stratégie mondiale de la conservation, un jalon historique qui a contribué à définir le concept de « développement durable » et a inspiré l’ensemble de la démarche de conservation et de développement durable sur le plan mondial. »
Le système de classification des aires protégées produit par l’UICN est considéré comme un standard global pour définir et comptabiliser les aires protégées. Il est reconnu par les Nations Unies et de nombreux gouvernements. Cette classification détermine le type de gestion de l’aire protégée et le type d’activités humaines autorisées dans la zone géographique concernée, elle comporte sept catégories dont le parc national.
L’UICN se targue d’avoir signalé « l’impact délétère des pesticides sur la biodiversité et promu l’évaluation de l’impact environnemental devenu la norme au sein des secteurs et des industries. » L’organisation assure prioriser ses efforts sur les industries les plus destructives, tels que l’extraction minière, le pétrole et le gaz, de manière à « assurer que toute utilisation des ressources naturelles soit équitable et écologiquement soutenable ».
Avec 1 400 organisations membres, 15 000 experts réunis en six commissions et plus de 900 salariés, l’UICN opère dans plus de 160 pays et se destine « à encourager la coopération internationale et à fournir les connaissances scientifiques et les outils pour guider les actions de la conservation. »
Mais l’UICN défend aussi et surtout une vision marchande de la nature :
« La nature, c’est l’affaire de tout le monde. L’UICN a pour objectif de transformer la manière dont le monde des affaires valorise, gère et investit dans la nature, en mettant l’accent sur les opportunités et les bénéfices d’une approche plus durable. »
Voici ce que nous pouvions lire dans un communiqué de l’UICN en janvier 2020 :
« Les entreprises globales appellent les gouvernements à adopter des mesures courageuses pour la nature
Davos, Suisse, 21 janvier 2020 — Aujourd’hui au Forum Economique Mondial, Business for Nature — une coalition globale d’entreprises visionnaires et d’organisations influentes, incluant l’UICN — a appelé à une action concrète des gouvernements pour prononcer un new deal pour la nature et les peuples. »
La coalition Business for Nature regroupe plus de 200 entreprises présentes dans 15 secteurs d’activités et compte des partenaires tels que le Forum Economique Mondial, We Mean Business (une coalition d’organisations à but non lucratif faisant campagne pour le développement d’une économie neutre en carbone), WBCSD (une autre coalition de plus de 200 firmes dont BP, Bloomberg, BNP Paribas, Chevron, Danone, Google, ExxonMobil, etc.), le WWF ou encore The B Team, une énième coalition, mais de « leaders » cette fois. Initiée par le milliardaire Richard Branson, on y trouve d’autres ultrariches comme François-Henri Pinault (groupe Kering) ou Ratan Tata (Groupe TATA) ainsi que les PDG d’Allianz, de Danone, d’Engie, de PepsiCo, mais également Christiana Figueres, ancienne secrétaire exécutive de la Convention-cadre des Nations Unies sur les changements climatiques (CCNUCC), une saine personne considérant la catastrophe climatique comme une « extraordinaire oppportunité » pour relancer la croissance.
Au conseil stratégique de Business for Nature siègent les cadres dirigeant des plus grandes firmes : Walmart, COFCO (conglomérat agro-industriel chinois), Yara International ASA (leader mondial des engrais chimiques), Rabobank, Unilever, Danone, H&M ou Kering.
Voici une petite sélection parmi les 200 « entreprises avec des engagements pour la nature » intégrant la communauté de Business for Nature :
– Industrie du luxe : LVMH, Hermès International, Kering ;
– Industrie agroalimentaire : Cargill, Carrefour, McDonalds, Unilever, Walmart, Kellog Company, Nestlé, Mondelez, Léa Nature, Coca-Cola, PepsiCo ;
– TP/BTP : CEMEX France, Vinci, Bouygues Construction, HeidelbergCement, Eiffage, LarfargeHolcim ;
– Energie : EDF, Engie, Enedis, RTE ;
– Finance : BNP Paribas, Deutsche Bank, Bank Australia, Société Générale, AXA ;
– Industrie pharmaceutique : Johnson & Johnson ;
– Industrie textile : H&M ;
– Industrie automobile : Renault, Ford, Plastic Omnium ;
– Industrie numérique : Salesforce, Autodesk ;
– Médias : France TV ;
– Chimie : Bayer-Monsanto, BASF ;
– Autres : Procter & Gamble, L’Oréal, Bolloré Logistics, cabinet B&L Evolution.
Une belle brochette d’écolos.
On comprend mieux pourquoi le siège de l’IUCN se situe dans la charmante ville de Gland, en Suisse, à proximité de Genève.
Le président de l’UICN est le chinois Zhang Xinsheng, cofondateur et président exécutif d’Eco-Forum Global (EFG), une « ONG chinoise importante qui lutte en vue d’obtenir un consensus à l’échelle mondiale pour un avenir vert et durable ».
Sur le CV de Zhang Xinsheng téléchargeable sur le site de l’IUCN, on peut lire :
« EFG, qui s’est avérée essentielle à la transformation de la Province de Guizhou, en proie à une grande pauvreté, en un modèle de développement et de conservation durables, se trouve en première ligne pour faire avancer la stratégie d’éco-civilisation conforme à la mission de l’UICN et à l’attention qu’elle accorde aux approches basées sur les écosystèmes. »
L’Eco Forum Global est aussi le nom d’un évènement international annuel organisé à Guiyang dans la province de Guizhou et qui rassemble des chefs d’entreprise, responsables d’ONG, hommes politiques et « experts ». C’est en quelque sorte l’équivalent chinois du Forum Economique Mondial, mais avec un thème central majeur : la civilisation écologique. Jusqu’à maintenant épargnée par le développement des industries, avec des paysages encore relativement préservés, la province de Guizhou a été choisie pour faire office de vitrine afin de promouvoir l’éco-civilisation™ enfantée par le régime totalitaire chinois, un projet que les dirigeants du parti communiste et les milieux d’affaires rêvent d’exporter à l’étranger.
Quelques images de l’éco-civilisation naissante dans la province de Guizhou :
D’après un communiqué de la Banque Mondiale publiée en 2019, la région du Guizhou compte parmi les régions les plus pauvres du pays, avec 40 % des 40 millions d’habitants vivant au sein de diverses minorités ethniques. En 2011, plus de 11 millions de personnes vivaient encore sous le seuil de pauvreté chinois, soit 334 dollars US/an. Il est précisé que l’agriculture représente une importance source de la subsistance, mais aucune mention n’est faite d’un quelconque problème de malnutrition, de maladies ou même du niveau de bien-être de ces populations. Quand des gens vivent dans une économie de subsistance où ils ont accès à des biens communs en abondance (terres, eau, forêt, etc), ils n’ont que très peu d’argent, tout simplement parce qu’ils n’en ont pas besoin. La notion de « pauvreté » mesurée en valeur monétaire est absurde, car non liée au bien-être.
Avec la fabuleuse poussée de développement « durable » initiée par EFG, les hommes vont maintenant travailler dans les villes, les femmes restent à la campagne pour cultiver le thé. Heureusement, la Banque Mondiale est là pour leur faciliter la vie avec le financement à hauteur de 100 millions de dollars d’un projet de développement rural dans la région pour moderniser et progressivement industrialiser la culture du thé. Au programme pour la coopérative Fuxing Tea : construction de routes, système d’irrigation, standardisation de la production, agrandissement de l’usine et achat de nouvelles machines, ouverture d’un magasin de thé pour développer une « chaîne de valeur entièrement nouvelle », installation d’une bureaucratie managériale et gestion selon des objectifs financiers, fermiers rejoignant la coopérative pour convertir leurs droits sur les terres en parts dans la coopérative, système de rémunération salariale et intéressement aux bénéfices, etc.
Le fondateur de la coopérative précise :
« L’étape suivante est d’augmenter les ventes. Plus de ventes vont générer plus de revenus et des dividendes plus élevés pour les membres [de la coopérative]. »
Le cercle vertueux du capitalisme est lancé. Merci la Banque Mondiale.
Xu Guangrong, 41 ans, passe 7 à 10 heures par jour à cueillir les feuilles durant la saison des récoltes et peut gagner jusqu’à 890 dollars par mois. Elle peut ainsi envoyer ses enfants à l’école pour en faire de bons petits soldats du capitalisme chinois.
Si la province du Guizhou file des érections à nos amis développementistes, c’est qu’elle est la seule province de Chine dont l’économie croît à plus de 10 % par an, une croissance tirée par une industrialisation sans limite et le développement du big data. Avec une moyenne annuelle de 16°C, le climat y est idéal pour l’implantation de datacenter et la région présente un risque sismique faible. Apple, Qualcomm, Microsoft, Alibaba, Huawei, Tencent et Baidu font partie des grandes entreprises du numérique déjà installées dans le coin.
Depuis 2009, la province connaît une explosion des projets d’infrastructures ; plus de 5 000 km d’autoroutes construits en moins de 10 ans ; 6 aéroports sortis du sol entre 2004 et 2017 ; le nombre d’utilisateurs d’Internet haut débit est passé de moins de 2 millions en 2009 à près de 8 millions en 2018. La capacité de production d’électricité a aussi largement progressé, grâce à l’hydroélectricité et aux centrales à charbon formant l’essentiel du mix énergétique.
La recette du succès pour une civilisation écolo selon la Chine : fabrique en masse de crétins digitaux, artificialisation des sols, changement d’usage des terres et fragmentation des habitats.
La province du Guizhou n’a rien « d’un modèle développement et de conservation durables » comme on peut le lire sur le site de l’UICN. La région est encore largement pauvre, rurale et « sous-développée » selon les standards du capitalisme techno-industriel. Et c’est précisément pour cette raison que la zone paraît encore relativement préservée. On en reparlera en 2030.
Pour la route, une autre image de l’avènement de la civilisation écologique dans la province du Guizhou.
Retour au CV du président de l’IUCN.
Zhang Xinsheng s’est formé à l’écologie en étudiant à l’Institut de Technologie Militaire Chinois puis à la Harvard Business School. Monsieur Xinsheng est aussi membre du parti communiste chinois, une organisation en pointe sur le totalitarisme numérique usant de toute la puissance technologique à disposition afin d’organiser méthodiquement le génocide culturel des Ouïghours dans le Xinjiang. En 2019, il tenait un discours durant l’Arctic Circle Forum à Shanghaï où il était question d’éco-civilisation et du futur de l’Arctique. Ce forum regroupe des ONG et fondations (Eco Forum Global, Rockefeller Brothers Fund, Conservation International, Greenpeace, WWF, Fondations Prince Albert II de Monaco et MacArthur, Bloomberg Philanthropies, entre autres), des entreprises (Google, Rio Tinto, etc.), des universités et des gouvernements dont le Ministère de l’environnement et du changement climatique des Emirats Arabes Unis.
Quelques exemples de thèmes abordés : sécurité dans l’Arctique, investissement d’infrastructures dans l’Arctique, développement régional, énergie dans l’Arctique, infrastructure de transport, ressources minérales, tourisme, aviation, perspectives et risques des forages pétroliers et gaziers, etc.
Zhang Xinsheng a siégé au Conseil exécutif de l’UNESCO et au comité du patrimoine mondial en tant que président, il a été vice-ministre de l’éducation en Chine et fut maire de la municipalité de Suzhou — une ville de 6,7 millions d’habitants en bordure de Shanghai — « dont il a fait une ville modèle en termes de croissance économique et de protection environnementale ».
Quelle est donc cette fabuleuse recette du succès à Suzhou ?
La « HQ Economy » ou « économie des sièges sociaux ».
Selon le média Business Wire (propriété de Berkshire Hathaway, conglomérat dirigé par le milliardaire Warren Buffet), le parc industriel de Suzhou est « à l’avant-garde de la construction d’une stratégie économique basée sur l’attraction d’entreprises locales et internationales pour l’établissement de leur siège social. »
Avec 25 000 entreprises, le parc industriel de Suzhou s’étend sur 288 km², soit environ trois fois la surface de Paris. C’est un grand « hub du high tech » centré sur le développement des « systèmes d’information, de l’intelligence artificielle, des nanotechnologies et des biopharmaceutiques ». De grandes firmes écodurables ont établi leurs locaux à Suzhou : Apple, Hutchinson (filiale de Total), Samsung, UPS, Motorola, Bridgestone (fabricant majeur de pneus), L’Oréal, Adidas, Philips, Panasonic ou encore Johnson & Johnson (industrie pharmaceutique).
Elle fait envie cette « éco-civilisation », n’est-ce pas ?
Dans le prochain article de cette série, il sera question des partenaires, donateurs et des “Parrains de la Nature” de l’UICN, une ONG servant avant tout les intérêts du business.