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Scientifiques et firmes s’approprient des morceaux d’ADN de milliers d’espèces

« Depuis quelques années, les industries des biotechnologies s’intéressent de très près aux ressources génétiques marines, et de nombreuses missions de bioprospection ont été lancées. Un certain nombre de firmes, anticipant des développements prometteurs, ont déposé des brevets en série sur des séquences génétiques d’organismes marins. Une étude récente montre que, sur 13 000 séquences génétiques marines brevetées provenant de 862 espèces allant du microbe au cachalot, la firme BASF, géant allemand de la chimie, l’une des Big Four des semences, en détient 47 %, contre 37 % pour les autres firmes et 12 % pour les universités. Cette ruée sur les océans est facilitée par le vide juridique de leur statut : ils n’appartiennent à personne ni ne sont déclarés patrimoine commun de l’humanité, et tout le monde peut se servir. Nul doute que l’hectare de pleine mer va prendre de la valeur, celle du service ressources génétiques étant réévaluée à la hausse. Les “vraies” valeurs des écosystèmes n’ont pas fini de varier. De plus, les services identifiés sont pour l’instant au nombre de vingt-deux, mais rien ne dit que de nouvelles connaissances concernant la biologie des sols et la biologie marine, la génétique ou les cycles biogéochimiques ne permettront pas d’en identifier plus tard encore d’autres. La monétisation et la valorisation des terres et des mers sur une telle base sont donc potentiellement infinies. »

– Hélène Tordjman, La croissance verte contre la nature : critique de l’écologie marchande (2021).

Avant de poursuivre, rappelons la définition du mot « biotechnologie » qui était loin d’être claire pour moi avant de creuser le sujet, et je pense ne pas être le seul. Voici celle donnée par l’OCDE :

« D’après la définition unitaire, la biotechnologie désigne l’application de la science et de la technologie à des organismes vivants, de même qu’à leurs composantes, produits et modélisations, pour modifier des matériaux vivants ou non vivants aux fins de la production de connaissances, de biens et de services.

[…]

On entend par entreprise de biotechnologie toute entreprise qui déclare mener des activités relevant d’une ou de plusieurs de ces catégories, à savoir : ADN/ARN ; protéines et autres molécules ; culture et ingénierie des cellules et tissus ; techniques biotechnologiques des procédés ; vecteurs de gènes et d’ARN ; bioinformatique ; et nanobiotechnologie[1]. »

Les organismes génétiquement modifiés (OGM) à l’instar du maïs Bt ou du coton Bt, tous deux développés par la firme Monsanto, sont des produits de la biotechnologie. En raison d’enjeux financiers et militaires gigantesques, les techniques progressent à vive allure depuis deux décennies. Aujourd’hui les scientifiques ne se contentent plus de modifier des organismes, ils fabriquent de toutes pièces des entités qui n’existent pas dans la nature. Dernièrement, des chercheurs financés en partie par la DARPA, une agence du département de la Défense des États-Unis qui finance le développement de technologies militaires, ont réussi à créer des xénobots, des organismes artificiels capables de s’autoreproduire fabriqués à l’aide de cellules souches de grenouille et d’une intelligence artificielle[2]. Ce n’est bien entendu qu’une question de temps avant que les savants fous puissent être capables de créer de A à Z des monstres bien plus complexes et volumineux. Certains techno-progressistes rêvent même d’employer ces techniques pour ramener à la vie des espèces disparues, ils ont appelé ça la « dé-extinction ». L’un des avocats de ce mouvement se trouve être Steward Brand, un ancien hippie gobeur de LSD, pionnier de la cybernétique et figure de la contre-culture américaine des années 1960[3]. Notons en outre que les biotechnologies ont permis le développement rapide de vaccins à ARN messager[4] lors de « l’effort de guerre » contre un virus qui ne fait que jouer son rôle dans la toile du vivant : se répliquer très rapidement pour faire chuter une population surabondante qui prolifère dans un milieu au détriment des autres espèces (voir cet article de BBC Future que j’ai traduit l’année dernière[5]). La vie sur Terre repose entièrement sur la circulation et l’action des virus ; faire la « guerre » aux virus sans chercher à comprendre pourquoi ils s’acharnent sur les peuples civilisés est par conséquent un non-sens, en tout cas si l’on adopte le point de vue d’un être vivant et non celui d’un robot esclave de la mégamachine. Par exemple pourquoi les agents infectieux accablent depuis des millénaires les peuples civilisés fortement urbanisés, développant une économie extractiviste et pratiquant un commerce intensif de longue distance, et touchent beaucoup moins d’autres sociétés rurales, autonomes et de taille modeste[6] ?

Revenons aux « ressources génétiques » de l’océan.

Un article du New York Times de 2018 révèle que dix pays industrialisés – Allemagne, États-Unis, Japon, Norvège, Royaume-Uni, France, Danemark, Canada, Israël et Pays-Bas – se partagent 98 % des brevets impliquant des séquences d’ADN d’organismes marins[7]. Mais les journalistes du NYT et du média français Reporterre[8] ne se soucient guère que de la « concentration », « d’une nouvelle forme d’inégalité » ou du « partage des richesses océaniques ». Au fond, le pillage de ces richesses ne semble poser en lui-même aucun problème moral aux rédactions du NYT et de Reporterre. Que les scientifiques mettent leurs sales pattes dans l’ADN du majestueux cachalot et de la vénérable raie manta, ou qu’ils tripatouillent les gènes du plancton, des ascidies, algues, bactéries, oursins et autres limaces de mer ne trouble pas la conscience des modernes fanatisés par la religion du Progrès.

Quelques extraits de l’article du NYT :

« Les prospecteurs en génétique – un terme que certains trouvent offensant tout en reconnaissant qu’il n’y a pas vraiment d’alternative – ont des motivations diverses. Certains espèrent mettre au point un nouveau traitement contre le cancer. D’autres veulent créer le prochain Botox.

La plupart sont à la recherche d’organismes dotés de caractéristiques exceptionnelles qui pourraient fournir la pièce manquante de leur nouveau produit. C’est pourquoi les brevets ciblent particulièrement les “extrêmophiles”, c’est-à-dire des organismes connus pour leur capacité à survivre dans l’obscurité, le froid, l’acidité et d’autres environnements difficiles […]. 

[…]

Mais comment plusieurs entités peuvent-elles breveter le même ver – ou escargot de mer ?

Dans la plupart des pays, il n’est pas possible de breveter un “produit de la nature”. Mais ce que les entreprises et les laboratoires de recherche peuvent faire, c’est de breveter une application nouvelle d’un organisme donné, ou plus précisément de ses gènes.

“Cela implique souvent de fabriquer des organismes synthétiques de type Frankenstein, c’est-à-dire en utilisant un peu d’ADN provenant d’un grand nombre de choses différentes”, explique M. Blasiak.

Votre chat ou un coyote rôdant dans votre jardin ne peuvent pas être brevetés par exemple.

“Mais si vous créez un coyote transgénique qui n’existait pas auparavant, vous pourrez probablement le breveter”, rapporte Robert Cook-Deegan, professeur à la School for the Future of Innovation in Society de l’Arizona State University[9]. »

Concrètement, il devient de plus en plus aisé pour les scientifiques de breveter de simples découvertes et non de vraies inventions, une dérive mentionnée par l’économiste Hélène Tordjman dans son livre. Dans un chapitre nommé « Des semences “augmentées”, ou la science au service de nouvelles enclosures », elle donne des précisions utiles pour mieux comprendre le processus d’accaparement en cours :

« L’évolution des modes d’appropriation des variétés végétales n’est pas que quantitative mais aussi qualitative. Les revendications exprimées dans les demandes de brevets sont de plus en plus vastes, autrement dit l’étendue des brevets s’accroît. Ce mouvement est très général et s’observe aussi dans les autres domaines de la high-tech. Ce n’est pas étonnant, c’est même consubstantiel aux évolutions scientifiques actuelles. En effet, les techniques issues de la convergence NBIC [NBIC = Nanotechnologies, Biotechnologies, Informatique et sciences Cognitives] visent à instrumentaliser la matière, les animaux, les végétaux et les êtres humains en modifiant les processus physiques, chimiques et biologiques à leur base, en bricolant atomes et gènes, donc très en amont de leurs effets observables. On l’a vu, la biologie de synthèse fournit par exemple des outils pour reprogrammer les circuits métaboliques de certains micro-organismes pour que ceux-ci soient plus efficaces dans la dégradation de la lignine ou la production d’huile. Les brevets portent la plupart du temps sur des voies métaboliques que l’on peut retrouver chez un grand nombre de micro-organismes ou d’autres espèces. De même, les brevets concernent de plus en plus non pas des gènes entiers mais les séquences qui codent pour certains traits, comme la résistance au stress hydrique, séquences communes là encore à un grand nombre d’espèces. Cet ADN dit homologue, s’il est breveté, étendra donc la propriété bien au-delà de l’espèce initialement modifiée[10]. »

Plus loin dans l’article du NYT apparaît l’entreprise qui a breveté des séquences d’ADN de cachalot :

« Prenons par exemple ce que l’on a appelé “un brevet sur les cachalots”. En réalité, ce qui fait l’objet d’un brevet, ce sont des séquences génétiques provenant de cette espèce de cétacé qui pourraient être utilisées dans la fabrication d’un substitut de produit laitier.

Le brevet appartient à une entreprise de Berkeley appelée Perfect Day. Bien que le fort développement du lait d’avoine ait démontré que tout est possible, le document lui-même révèle une ambivalence quant à savoir si le lait de baleine constitue la voie à suivre. Voici quelques autres animaux dont les gènes sont également cités dans le brevet : le mouton, le buffle, le chameau, le cheval, l’âne, le lémurien, le panda, le cochon d’Inde, l’écureuil, l’ours, le gorille, la chèvre des montagnes Rocheuses, le wallaby, l’éléphant, le renard, le lion, le tigre, le mammouth laineux et l’humain[11]. »

Comme vous pouvez le constater, les scientifiques ne chôment pas pour s’approprier les ressources génétiques, un processus grandement facilité par la numérisation de l’information génétique d’après Hélène Tordjman. Que fait donc Perfect Day ? Selon le magazine Forbes, la startup a pour « préoccupation principale de disrupter l’industrie du lait ».

« Perfect Day utilise le séquençage génétique et l’impression 3D pour fabriquer des protéines laitières sans avoir besoin de vaches. Comprenez-moi bien. En utilisant des levures et des techniques de fermentation ancestrales, Perfect Day peut produire les mêmes protéines laitières (caséine et lactosérum) que les vaches. L’entreprise décrit souvent ce procédé comme la rencontre entre les produits laitiers et la brasserie artisanale.

Grâce à la biotechnologie, elle donne à cette levure un “programme” qui lui permet de fermenter le sucre et de créer de véritables protéines laitières. Il s’agit du même programme, sous forme d’ADN, qui fonctionne quotidiennement à l’intérieur du corps d’une vache. Le processus de fermentation est similaire à la fabrication de la présure végétarienne, de la vanille, de l’insuline et de nombreux autres produits de la vie quotidienne, tout en étant plus propre et plus économe en ressources que l’élevage (nous y reviendrons).

Aujourd’hui, le lait est fabriqué en inséminant artificiellement une vache à l’âge de 13 mois, en lui faisant donner naissance à un veau 9 mois plus tard, et en retirant le bébé (vendu pour la viande de veau) pour commencer à utiliser la mère pour le lait. Trois mois plus tard, la vache est à nouveau inséminée. À l’âge de quatre ans, la vache mère est tuée pour la viande. Quel cycle de production. Vous commencez à comprendre pourquoi la production de lait dans un laboratoire est considérée comme une proposition attrayante pour de nombreux investisseurs et consommateurs[12]. »

Élaboré lentement par la nature au cours de centaines de millions d’années d’évolution[13], le phénomène de lactation à l’œuvre dans le corps des mammifères est analysé, décomposé, piraté puis reproduit artificiellement en laboratoire par des scientifiques atteints d’un grave syndrome d’hubris[14]. Mais comment peut-on sérieusement oser parler de progrès quand on fabrique désormais de la nourriture entièrement hors-sol à l’aide du « séquençage génétique » et de « l’impression 3D » ? D’autant que la suite logique dans ce nouveau système de production alimentaire est l’éradication pure et simple de la paysannerie. Depuis le mouvement des enclosures qui a entraîné l’expropriation de millions de paysans en Europe, et préparé le terreau social pour le développement du cancer techno-industriel, les assauts à l’encontre des populations paysannes de par le monde gagnent en intensité au fur et à mesure des innovations techniques. Dans une tribune parue dans The Ecologist en 2020, l’activiste indienne Vandana Shiva qualifie cette nouvelle révolution agroalimentaire d’« industrialisation totale de notre nourriture et de nos vies », d’une « industrialisation ultime des êtres humains » qui mettra définitivement un terme à « notre connexion à la terre et au vivant[15]. »

Le rédacteur de Forbes insiste sur le caractère « ancestral » et « artisanal » de la fermentation alors que le lait de Perfect Day est développé en laboratoire pour ensuite être produit industriellement à grande échelle en usine et vendu en masse par les enseignes de la grande distribution. En détaillant un cycle de production laitière bien particulier (celui de l’industrie), en faisant une abstraction totale de l’infinie diversité des systèmes traditionnels d’élevage qui existent à travers le monde et qui se sont adaptés à des conditions climatiques extraordinairement variées[16], et en mettant en avant le bien-être animal, l’auteur utilise le narratif en vogue chez les industriels et les associations animalistes pour présenter sous le meilleur jour ce cauchemar biotechnologique. Auteur d’un long rapport sur la transformation de l’industrie agroalimentaire, le think tank RethinkX parle de « seconde domestication des plantes et des animaux » afin cette fois de « maîtriser les micro-organismes[17] ». D’après ce rapport, ces technologies permettant de concevoir et d’assembler l’ADN pourraient produire des protéines de plantes et d’animaux disparus – développer du cuir ou de la viande de mammouth, de Moa géant ou de baleine grise de l’Atlantique – et des protéines qui n’ont jamais existé auparavant dans la nature.

« Tout doit changer sur le plan technique pour que rien ne change dans les structures économiques », note Hélène Tordjman. Autrement dit, pour ne surtout pas sortir de la logique industrielle qui n’en finit plus de ravager la biosphère et d’engraisser les classes dirigeantes – politiciens, bureaucrates, scientifiques, ingénieurs, entrepreneurs et milliardaires – il faut la pousser encore plus loin en l’appliquant maintenant aux organismes invisibles à l’œil nu. La technologie le permet et les perspectives de profits sont gigantesques, alors pourquoi s’en priver ? On comprend ici pourquoi la notion de sentience est centrale dans la propagande de l’agro-industrie ; les organismes non sentients (bactéries, levures, plantes, algues, etc.) ainsi que les briques élémentaires de la vie peuvent ainsi être exploités et remodelés par le système technologique pour qu’il les conforme à ses propres besoins, le tout sans que cela ne pose le moindre problème éthique.

La propagande du système techno-industriel met en avant d’autres bienfaits des biotechnologies, notamment de prétendus bénéfices en matière de santé, et dissimule soigneusement les inconvénients. Mais rappelons-nous des promesses dithyrambiques lors du lancement du projet de séquençage de l’ADN humain, entreprise qui, selon l’ancien président américain Bill Clinton, devait « révolutionner le diagnostic, la prévention et le traitement de la plupart des maladies de l’homme, sinon toutes. » En 2010, soit dix ans plus tard, le Figaro titrait « Le projet ADN n’a pas tenu ses promesses[18] ». De plus, comme le notait l’historien et sociologue technocritique Jacques Ellul, « tout progrès technique se paie[19] » ; et ce coût pour l’individu, la société et la biosphère augmente constamment avec la puissance des technologies développées. Dans un article au sujet des risques liés aux nanotechnologies du Center for Security, Innovation and New Technology de l’American University of Washington, Nicholas Winstead cite un rapport[20] publié dans la revue Environmental Policy and Law sur les armes biologiques :

« Comme le résume un rapport, les applications de la nanochimie et de la nanobiologie “vont au-delà de la militarisation des agents pathogènes ou des substances toxiques. Elles rendent possible la création de vaccins inefficaces […], le renforcement de la virulence et du pouvoir pathogène des micro-organismes, l’augmentation de la vulnérabilité des macro-organismes aux maladies infectieuses et la création d’obstacles au diagnostic[21].” »

Le genre de « détails » que les médias de masse se gardent bien de révéler dans leurs professions de foi célébrant les biotechnologies. D’autre part, personne n’est capable d’anticiper les effets à moyen-long terme des manipulations des petits génies de la biotechnologie sur les écosystèmes et les êtres vivants, humains compris. Mais pourquoi s’en soucier ? Les scientifiques et les technologistes trouveront bien une solution ! Ayons confiance…

« L’apparition d’innovations capables de soulager réellement l’environnement dépend de tant de contingences techniques, économiques, administratives et culturelles qu’elle reste hautement incertaine. Mais on ne peut que croire à la bénédiction du progrès. Prendre pour acquis de pures hypothèses théoriques n’est pas seulement commode parce qu’il est plus facile de croire que de savoir, mais parce que les électeurs et les consommateurs s’emparent avec gratitude de toutes les croyances qui répondent à leurs intérêts. Votes et décisions d’achats “écologiques” livrent à domicile la justification de notre routine de consommation et de mobilité. La maxime présidant à ces fausses solutions est si simple et magnifique qu’elle peut fédérer toute une société : “Continuons comme avant, et laissons le saint Progrès régler les problèmes !” »

– Niko Paech, économiste allemand, auteur de Se libérer du superflu : vers une économie de post-croissance (2016).

Autre question légitime que l’on est en droit de se poser : qui bénéficie réellement des traitements palliatifs aux maladies dites « de civilisation » engendrées par le mode de vie moderne (cancer, Alzheimer, appendicite, arthrose, asthme, obésité, diabète, dépression, maladies cardiovasculaires, stress, dépression, etc.), des pathologies quasi inexistantes dans nombre de sociétés rurales de pays qu’on nous présente comme « pauvres[22] » ? Ne faudrait-il pas plutôt se débarrasser de la civilisation industrielle, de son mode de vie indigne et avilissant pour cibler une bonne fois pour toutes la racine du mal ? Quand on y réfléchit un peu, l’industrie pharmaceutique n’a aucun intérêt à guérir définitivement la population souffrante puisque la souffrance est son gagne-pain. Son objectif, c’est de maintenir un maximum de personnes en vie indépendamment de leur état physique ou mental. Par construction, l’équation progressiste ignore le bien-être, car on ne peut mesurer ce qui n’est pas mesurable. Ainsi, dans la religion du Progrès, seule la statistique compte : plus, c’est mieux. Plus on maintient d’humains à peu près en vie, et plus la civilisation progresse. Bientôt 20 milliards d’infirmes sur Terre ! Jacques Ellul évoquait cette spirale suicidaire en parlant de la civilisation industrielle comme d’une « merveilleuse organisation qui prévoit le contre-poison là où elle distille le poison[23]. »

Parmi les autres effets délétères des biotechnologies, Hélène Tordjman parle d’« enclosures des ressources génétiques » qui pourraient un jour mener vers une « appropriation des processus au fondement de la vie sur Terre » :

« Au train où vont les choses, nous verrons bientôt des scientifiques et des industriels revendiquer sans sourciller la propriété de la photosynthèse. »

Elle ajoute plus loin :

« Il y aura bien un de ces jours un ou une de ces scientifiques qui “dés-éteindra” le T-Rex. Ne serait-ce pas magnifique ? Arrêtons de voir les choses en noir, soyons optimistes, la nouvelle ère qui s’ouvre à nous est pleine d’opportunités à saisir, nous pourrons créer une planète comme un jardin bien domestiqué, riche d’une biodiversité que nous fabriquerons selon les lignes identifiées par la science et l’économie. À bas les Cassandre et vive l’Anthropocène ! »

Les biotechnologies incarnent peut-être le mieux la folie de cette culture, de cette civilisation industrielle qui utilise sa science et sa technique pour étudier, comprendre, disséquer, mesurer, comptabiliser, mettre à profit, remodeler – en d’autres termes violer encore et encore – tout ce qui autrefois possédait un caractère sacré pour les êtres humains. Le but poursuivi par la société technologique est dénué de tout sens commun, il s’agit d’une quête infinie de puissance, d’accumuler du pouvoir pour lui-même au mépris de la dignité humaine et des autres habitants de ce monde. Jacques Ellul remarquait à juste titre que « nous sommes dans un ordre de phénomène aveugle vers l’avenir, dans un domaine de la causalité intégrale[24]. »

  1. https://www.oecd-ilibrary.org/docserver/factbook-2013-63-fr.pdf

  2. https://www.futura-sciences.com/sciences/actualites/sciences-ces-xenobots-forme-pac-man-sont-capables-reproduire-corps-79186/

  3. https://www.liberation.fr/cahier-ete-2015/2015/07/29/stewart-brand-pape-de-la-de-extinction_1355842/

  4. https://www.inserm.fr/c-est-quoi/secret-fabrication-c-est-quoi-arn-messager-%F0%9F%93%83-%F0%9F%8F%AD/

  5. https://greenwashingeconomy.com/de-lutilite-des-virus/

  6. https://www.partage-le.com/2020/01/25/de-lavenement-de-la-civilisation-au-coronavirus-de-wuhan-trajectoire-dun-desastre-logique/

  7. https://www.nytimes.com/2018/09/17/science/patents-marine-dna.html

  8. https://reporterre.net/BASF-le-geant-de-la-chimie-mondiale-s-approprie-la-biodiversite-des-oceans

  9. Ibid.

  10. Hélène Tordjman, La croissance verte contre la nature : critique de l’écologie marchande (2021).

  11. Ibid.

  12. https://www.forbes.com/sites/michaelpellmanrowland/2018/02/27/perfectday-disrupts-dairy/

  13. https://pdf.sciencedirectassets.com/778414/1-s2.0-S1751731112X70617/1-s2.0-S1751731111001935/main.pdf

  14. https://www.cerveauetpsycho.fr/sd/psychanalyse/le-syndrome-d-hubris-la-maladie-du-pouvoir-3250.php

  15. https://theecologist.org/2020/jan/24/rewilding-food-rewilding-farming

  16. http://www.fao.org/3/ca1312en/CA1312EN.pdf

  17. https://greenwashingeconomy.com/lavenir-sera-vegan-que-ca-vous-plaise-ou-non/

  18. Ibid.

  19. https://www.partage-le.com/2021/11/07/reflexions-sur-lambivalence-du-progres-technique-par-jacques-ellul/

  20. https://www.ecolex.org/fr/details/literature/biological-weapons-legal-aspects-of-international-cooperation-in-export-control-in-the-context-of-the-proliferation-biological-weapons-ana-093048/

  21. https://greenwashingeconomy.com/nanotechnologies-applications-implications-et-risques-par-nicholas-winstead/

  22. https://pubmed.ncbi.nlm.nih.gov/30511505/

  23. Jacques Ellul, La Technique ou l’Enjeu du siècle, 1954.

  24. Ibid.

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