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Les humains n’ont pas exterminé le rhinocéros laineux

Il est temps d’en finir avec ce dogme stupide présentant Homo Sapiens comme une espèce naturellement « nuisible », qui aurait la domination, l’exploitation et la destruction dans la peau. Cette vision sert le statu quo et le business as usual, elle légitime le cadre culturel et sociétal actuel et donc l’intervention d’une classe supérieure. L’élite soi-disant éclairée aurait pour mission de domestiquer les pulsions irrationnelles des masses, un mal inhérent à la nature humaine ; un formatage idéologique très utile pour évacuer toute remise en question du système techno-industriel et le mode de vie uniforme et anti-écologique qui en découle.

Cette fiction présentant Homo Sapiens comme une bête féroce et destructrice va jusqu’à attribuer l’extinction de la mégafaune du Pléistocène aux seuls peuples de chasseurs-cueilleurs du Paléolithique. Or, plus les découvertes scientifiques progressent, plus elles repoussent l’arrivée des êtres humains sur les territoires de la mégafaune, et plus il devient évident que ces groupes humains ont coexisté durant des millénaires avec ces animaux très imposants, tout en les chassant. Chasser n’est pas synonyme d’extermination, contrairement à ce que certains esprits étroits tentent de nous faire croire. L’être humain n’est pas stupide, il sait s’imposer des limites. Le refus des limites caractérise une culture bien particulière : la culture civilisée.

Les peuples qui chassent encore aujourd’hui pour leur subsistance ont bien souvent mis en place d’eux-mêmes des pratiques restrictives afin de favoriser l’abondance. Ils ne chassent pas certaines espèces (tabous) et s’interdisent de chasser pendant la période de reproduction. Lorsqu’une chasse excessive a fait chuter le nombre d’animaux, ils définissent des zones interdites à la chasse pour laisser la nature se régénérer. D’autres peuples cultivent des arbres fruitiers au sein de véritables jardin-forêts qui fournissent une nourriture abondante aux animaux chassés, etc. Il s’agit d’un dialogue avec la nature, rien à voir donc avec cette logique de domination et de pillage si caractéristique chez des peuples civilisés.


D’après une nouvelle étude publiée dans la revue Current Biology, les êtres humains n’ont pas exterminé le rhinocéros laineux peuplant le nord de l’Asie et de l’Europe et qui s’est éteint il y a environ 14 000 ans. Il était d’abord établi que les premiers peuplements humains dans le nord-est de la Sibérie dataient de 14 000 à 15 000 ans, ce qui faisait coïncider la date d’arrivée d’Homo Sapiens avec la disparition du mastodonte.

Mais de récentes découvertes ont montré que les humains sont arrivés dans la région sibérienne bien avant, il y a au moins 30 000 ans. En analysant l’ADN de plusieurs specimens de rhinocéros, les scientifiques ont cherché à savoir si le taux de consanguinité grimpait ou si la diversité génétique diminuait, des indicateurs clés de déclin de la population chez les mammifères. Nicolas Dussex, co-auteur de l’étude :

« Nous avons constaté que, après une augmentation de la taille de la population au début d’une période froide il y a environ 29 000 ans, la taille de la population de rhinocéros laineux est restée constante et que, à cette époque, la consanguinité était faible ».

Cette stabilité s’est prolongée bien après que les humains soient arrivés en Sibérie. Par conséquent, les humains ont coexisté au minimum 11 500 ans avec le rhinocéros laineux avant que sa population ne commence à diminuer, quelque part entre -18 500 ans et -14 000 ans, la date de leur extinction. Il semblerait que ce soit la spécialisation du rhinocéros laineux à un environnement froid qui l’ait rendu vulnérable au réchauffement climatique survenu à la fin du dernier ère glaciaire.

Edana Lord, co-auteure de l’étude et doctorante au Centre de Paléogénétique de Stockholm, précise :

« Nous nous éloignons de l’idée que les humains exterminent tout dès qu’ils s’installent quelque part, et nous élucidons plutôt le rôle du climat dans les extinctions de la mégafaune. Bien que nous ne puissions pas exclure l’implication de l’homme, nous suggérons que l’extinction du rhinocéros laineux était plus probablement liée au climat. »

De nos jours, 80 % de la biodiversité restante se trouve sur les terres de peuples autochtones comptant bien souvent la chasse et la cueillette dans leurs stratégies de subsistance, des pratiques faisant appel à des connaissances écologiques poussées témoignant d’un lien profond entre culture et nature.

En Occident et dans la plupart des pays industrialisés où se répand une monoculture aux liens avec la Terre et avec la Nature rompus, de plus en plus de personnes considèrent l’animal humain comme une espèce « nuisible ». Pourtant, les faits historiques et présents démontrent presque à chaque fois le contraire. Un enfant est naturellement connecté à son environnement et aux autres espèces vivantes, il devient « nuisible » seulement parce que cette civilisation coupe son cordon ombilical avec la nature.

Philippe Oberlé

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