Blog Image

Qui sont les peuples autochtones ?

J’ai remarqué un certain flou dans la compréhension des termes « peuples autochtones » ou « peuples indigènes » régulièrement employés par les ONG, les médias et moi-même. Les qualificatifs « peuples racines » ou « peuples premiers » prêtent probablement moins à confusion car le sens des mots « premier » et « racine » pris seul diffère nettement de la combinaison avec « peuple », ce qui n’est pas le cas pour « autochtone » et « indigène ». Ce détail, qui paraît anodin au premier abord, peut changer bien des choses dans la manière d’aborder les problèmes socio-écologiques de notre époque et d’envisager des solutions.

Voici par exemple les âneries glanées sur Wikipédia sur la page dédiée aux peuples autochtones :

« Un autochtone est « Originaire du pays qu’il habite, dont les ancêtres ont vécu dans ce pays » [définition du Larousse]. Ainsi, la majorité des populations européennes sont constituées de peuples autochtones qui sont les fondements de la culture et de la langue de chaque nation. Il y a donc des peuples nations autochtones, et dans chacun de ceux-ci existent des « minorités autochtones ». Pour la France par exemple, c’est le cas des Bretons, peuple issu des autochtones gallo-romains d’Armorique et de l’immigration brittonique du IIIe et IVe siècle, ou bien encore des Basques, issus quant à eux des peuples aquitains qui étaient déjà présents aux côtés des tribus gauloises avant l’invasion romaine[1]. »

Cet usage du terme « autochtone » se cantonne à l’origine géographique, mais les termes « peuples autochtones » englobent de nombreux autres aspects dans l’usage courant fait par les institutions internationales et par les ONG qui défendent les droits de ces minorités (Survival International, Minority Rights Group International, Forest Peoples Program, World Rainforest Movement, entre autres.). Ces communautés dépendent des ressources naturelles locales et possèdent la plupart du temps une culture, une organisation sociale, des systèmes techniques, juridiques et politiques particuliers qui les distinguent du reste de la population du pays en question. Évoluant à l’écart des marchés mondialisés et du système monétaire, ces sociétés à échelle humaine sont encore caractérisées par un degré élevé d’autonomie et de liberté.

De leur côté, Bretons, Alsaciens, Basques, Corses ou Vendéens de France n’ont pas grand-chose en commun avec les Kayapo du Brésil ni avec les Mursi d’Éthiopie ou avec les Ogiek du Kenya. Ils ont depuis bien longtemps été soumis et assimilés – domestiqués – par l’État qui a ainsi pu imposer ses systèmes techniques, juridiques et politiques à l’ensemble du cheptel national ; il ne subsiste que des reliques des cultures locales. Ainsi, le peuple de France dépend pour sa subsistance quotidienne de la société industrielle capitaliste et de ses supermarchés, de son agriculture industrielle et de ses industries extractives fournissant énergies et matériaux jusqu’à l’overdose. Pour les individus habitant aujourd’hui l’aire géographique nommée « France », terminées l’auto-détermination et l’autonomie, finie la liberté. Bien évidemment, il y aura toujours des imbéciles heureux pour prétendre le contraire, pour affirmer que le marché leur offre la liberté d’acquérir et de posséder toutes sortes de choses inutiles à leur bien-être, ou de voyager partout en échange de quelques billets durement gagnés (ou pas). Face à l’absurdité du quotidien, face au néant de l’existence au sein de la termitière urbano-industrielle, la tentation est grande de combler le vide en accumulant les addictions de toutes sortes.

Pour revenir au sujet de l’article, un document daté de 2013 émanant du Haut-Commissariat des Nations Unies aux droits de l’homme livre une définition bien plus précise de la notion de « peuple autochtone[2] » :

« Il existe des peuples autochtones sur tous les continents, de l’Arctique au Pacifique, en passant par l’Asie, l’Afrique et les Amériques. L’expression « peuples autochtones » n’a fait l’objet d’aucune définition faisant autorité en droit international et elle n’est pas non plus définie dans la Déclaration sur les droits des peuples autochtones. En fait, selon les articles 9 et 33 de la Déclaration, les autochtones, peuples et individus, ont le droit d’appartenir à une communauté ou à une nation autochtone, conformément aux traditions et coutumes de la communauté ou de la nation considérée, et ont le droit de décider de leur propre identité. La Convention (no 169) de l’Organisation internationale du Travail (OIT) relative aux peuples indigènes et tribaux fait une distinction entre les peuples tribaux et autochtones, et insiste sur l’importance du sentiment d’appartenance ethnique, comme le montrent les passages ci-après :

1. […] a) Aux peuples tribaux dans les pays indépendants qui se distinguent des autres secteurs de la communauté nationale par leurs conditions sociales, culturelles et économiques et qui sont régis totalement ou partiellement par des coutumes ou des traditions qui leur sont propres ou par une législation spéciale;

b) Aux peuples dans les pays indépendants qui sont considérés comme indigènes du fait qu’ils descendent des populations qui habitaient le pays, ou une région géographique à laquelle appartient le pays, à l’époque de la conquête ou de la colonisation ou de l’établissement des frontières actuelles de l’État, et qui, quel que soit leur statut juridique, conservent leurs institutions sociales, économiques, culturelles et politiques propres ou certaines d’entre elles.

2. Le sentiment d’appartenance indigène ou tribale doit être considéré comme un critère fondamental pour déterminer les groupes auxquels s’appliquent les dispositions de la présente Convention. […]

Malgré l’absence de définition faisant autorité, des critères permettent de définir les peuples autochtones. Les principaux sont le sentiment d’appartenance ethnique, mais aussi ceux proposés par José Martínez Cobo dans son « Étude du problème de la discrimination à l’encontre des populations autochtones », parmi lesquels :

• La situation de continuité historique avec les sociétés précoloniales ou antérieures aux invasions sur leur territoire ;

• La différence avec le reste de la population ;

• L’absence de domination ; et

• La détermination à préserver, développer et transmettre aux générations futures leur identité et leurs territoires ancestraux, dans le respect de leurs propres cultures, institutions sociales et système de justice.

L’Instance permanente de l’ONU sur les questions autochtones a également recensé les caractéristiques suivantes, en plus de celles exposées ci-dessus :

• Un fort lien avec les territoires et les ressources naturelles qui les entourent ;

• Des systèmes sociaux, économiques et politiques propres ; et

• Une langue, une culture et des croyances propres.

De nombreuses régions étaient habitées par des peuples autochtones avant l’arrivée d’autres personnes. Ces peuples ont bien souvent conservé leurs caractéristiques culturelles et politiques jusqu’à ce jour, notamment des structures politiques et juridiques autonomes, et ont comme point commun d’avoir subi la domination d’autres groupes, principalement non autochtones, et d’avoir un fort attachement historique, toujours vivace, à leurs terres, leurs territoires et leurs ressources, y compris dans le cas des peuples qui ont un mode de vie nomade. Si le statut juridique des peuples autochtones est distinct de celui des minorités, ils sont souvent − mais pas toujours − minoritaires dans les pays où ils vivent. Au regard du droit international, certains des droits reconnus aux minorités et aux autochtones sont similaires, même si la Déclaration des Nations Unies sur les droits des peuples autochtones peut être considérée comme plus complète que les instruments juridiques internationaux qui concernent les minorités. »

Du point de vue de l’État, les zones occupées ou utilisées par des peuples autochtones sont assimilables à des territoires autonomistes, et incarnent par conséquent une menace que les bureaucrates chercheront machinalement à éliminer par tous les moyens possibles et imaginables. Pour assurer sa stabilité et son développement, un État ne peut tolérer l’existence de zones autonomes sur le plan politique, juridique et technique à l’intérieur de ses frontières. D’autres communautés situées sur le même territoire national pourraient réclamer elles-aussi plus d’autonomie, voire se rebeller, et en général l’État n’apprécie guère les mouvements insurrectionnels, c’est mauvais pour le développement « durable ». Il suffit pour s’en convaincre de dresser la liste des exactions commises par les États à l’égard des peuples indigènes depuis plusieurs siècles, partout dans le monde. Ce n’est pas le but ici, mais sur ce thème, il y a le très bon documentaire Tuer l’Indien dans le cœur de l’enfant diffusé récemment par Arte qui donne une image assez représentative du traitement réservé par l’État aux peuples autochtones[3]. Même dans les pays présentés comme « progressistes » et « démocratiques », les peuples premiers subissent les plus ignobles persécutions – accaparement des terres, génocide culturel, viols, meurtres, humiliations multiples et variées, etc.

L’État est, dans sa construction, fondamentalement incompatible avec le respect des droits des peuples autochtones et des minorités en général. La situation est plutôt ironique puisque c’est l’ONU, une institution supranationale financée par les États membres, qui nous amène à postuler ce constat avec sa définition des peuples autochtones. Et comme les territoires habités ou utilisés par les peuples autochtones abritent 80 % de la biodiversité mondiale restante[4], que la biodiversité et les écosystèmes déclinent à une vitesse effarante partout où les États se développent, il devient évident qu’aucune solution pérenne aux désastres socio-écologiques n’émergera tant que la machine étatique étendra et conservera son hégémonie. Dit plus simplement, les solutions existaient et pouvaient être mises en œuvre avant l’apparition de l’État. Dans les pays du Sud, il éradique les dernières sociétés démocratiques et écologiquement soutenables. Dans les pays du Nord, il tue dans l’œuf toute forme d’expérimentation au niveau local pour établir de nouveaux systèmes politiques, juridiques et techniques plus justes et respectueux de la nature.


[1] https://fr.wikipedia.org/wiki/Peuple_autochtone

[2] https://www.ohchr.org/Documents/Publications/fs9Rev.2_fr.pdf

[3] https://www.arte.tv/fr/videos/093799-000-A/tuer-l-indien-dans-le-coeur-de-l-enfant/

[4] https://www.worldbank.org/en/topic/indigenouspeoples#1

Print Friendly, PDF & Email