À Yosemite, l’expulsion des Indiens s’est suivie d’un déclin de la biodiversité
Traduction d’un article publié en 2014 par Eric Michael Johnson sur le blog du magazine Scientific American. Le titre original est « Comment la marque John Muir a mené au déclin du Yosemite ».
En juillet 1929, une femme âgée et frêle décortiquait tranquillement des glands de chêne sur le sol de la vallée du Yosemite. Son visage mince, usé par le temps, semblait ferme comme du papier froissé. Elle était le témoin vivant des épreuves que son peuple avait subies depuis qu’il avait été enfermé dans des prisons de plein air, poussé par la pointe d’une baïonnette. Alors qu’elle était assise, retirant des glands les coquilles brisées comme des ongles abîmés, un touriste curieux lui proposa une pièce de cinq cents en échange d’un fruit.
« Non ! » s’est-elle écriée. « Pas cinq dollars par gland, non ! L’homme blanc chasse mon peuple… mon Yosemite. »
Elle s’appelait Maria Lebrado, mais elle était autrefois connue sous le nom de Totuya. Elle était la petite-fille du chef Tanaya des Ahwahneechee, un chef respecté qui avait tenté de protéger sa tribu du danger, mais qui a été témoin du meurtre de son fils et de la perte de tout ce qui lui était cher. Totuya, l’une des dernières membres de sa tribu, était rentrée chez elle pour mourir.
Le mouvement de conservation moderne a débuté à l’aube du 8 décembre 1850, au-dessus de la fourche nord de la rivière San Joaquin en Californie. Une douce lumière orange venait de se répandre sur les pics escarpés des montagnes de l’est surplombant ce qui était alors connu sous le nom de vallée Ahwahnee, éclairant des minarets déchiquetés comme les braises encore brûlantes des feux de camp indiens en contrebas.
Tout était encore immobile à l’intérieur des wigwams [hutte traditionnelle, NdT] du camp Ahwahneechee. Mais une oreille attentive aurait pu remarquer que le chant de la grive solitaire était étrangement absent. Un silence troublant s’était installé dans la forêt, rompu seulement par le claquement occasionnel et maladroit de brindilles, comme si elles provenaient d’un animal peu familier avec son environnement. Il y avait aussi une légère odeur de fumée.
Soudain, des incendies firent rage dans tout le camp et de multiples wigwams furent engloutis par les flammes. Les hommes blancs se sont rapidement dispersés et éloignés de la lumière pour rejoindre l’ombre. Un groupe de miliciens accompagnant le « Bataillon de Mariposa » du Major John Savage avait utilisé les braises des feux de camp Indiens pour mettre le feu aux wigwams. C’était une tactique utilisée par ceux ayant l’expérience des guerres indiennes ; en s’appuyant sur l’élément de surprise, elle inspirait la crainte. Des dizaines d’Ahwahneechee ont fui leurs wigwams en feu alors que l’incendie se propageait rapidement à la forêt environnante. D’épais panaches de fumée baignaient dans une lueur brûlante qui descendait également des pics rocheux se trouvant au-dessus.
« Chargez, les gars ! Chargez ! » beugla le lieutenant Reuben Chandler. Un lourd bruit de bottes marchant au pas se joignait maintenant au son des pins crépitants ; trente hommes s’élancèrent alors des buissons environnants avec leurs fusils. « Les charges furent si rapides et si soudaines », écrivit le chroniqueur Lafayette Bunnell, « que les guerriers Indiens pris de panique s’enfuirent aussitôt de leur fief. » Les hommes de Savage ont tiré sans discernement sur le camp Ahwahneechee, un peuple qui avait fait de cette vallée son foyer durant des siècles.
« Aucun prisonnier n’a été gardé », se souvient le témoin de ces événements, « vingt-trois personnes ont été tuées ; le nombre de blessés n’a jamais été connu. » Dans l’ensemble, ce fut une mission réussie. Cependant, l’auteur note que d’autres « sauvages » auraient pu être traqués et assassinés si l’incendie n’avait pas fait rage au point de se propager sur le flanc de la montagne, mettant en danger le camp du bataillon. Alors que la milice enragée fuyait vers le bas de la montagne pour sauver ses provisions, les survivants Ahwahneechee se sont enfuis plus loin dans les montagnes, ignorant qu’ils ne rentreraient jamais chez eux.
Un mois plus tard, le 13 janvier 1851, sur ordre du gouverneur de Californie John McDougall et par une loi spéciale du Congrès américain, la milice de Savage a reçu le soutien du gouvernement fédéral et de l’État pour « punir les tribus incriminées » dans la région qui sera plus tard rebaptisée la vallée du Yosemite. Pour les dirigeants du nouveau gouvernement californien, l’approche adoptée pour traiter avec la population indigène était devenue une « guerre d’extermination ». Pendant plus de dix ans, les terres situées entre les rivières Merced et Tuolumne sont restées sous occupation militaire permanente et sont devenues un parc national sur ordre du président Theodore Roosevelt en 1906.
Enfant, j’ai grandi dans les montagnes du nord de la Californie et j’ai parcouru les sentiers près du site de ce massacre. Mais je n’avais jamais entendu parler de John Savage ni des terribles événements qui ont conduit à la création du parc national de Yosemite, symbole pittoresque du mouvement de conservation et lieu de villégiature pour des millions de personnes. C’était plutôt John Muir, écrivain vagabond et fondateur du Sierra Club, dont le nom était devenu synonyme de ce trésor national. Lorsque mes frères et moi sommes sortis de la voiture familiale pour admirer la majesté de cette vallée sculptée par les glaciers, c’est le nom de Muir qui ornait les panneaux le long des sentiers entretenus et les ouvrages de la boutique de cadeaux. Si la population indigène était mentionnée dans l’une des brochures ou dans les guides des sentiers, je n’en ai aucun souvenir et je suis parti sans aucune indication que la région avait été habitée par le passé. Pour moi, le Yosemite a toujours été une région sauvage et vierge, aussi clairsemée et pure que les photographies réalisées par Ansel Adams* accrochées au mur par ma famille pendant des années après notre visite.
*[L’un des premiers photographes du Yosemite, il a pris des milliers de clichés de l’endroit alors que les Indiens y habitaient encore, tout en prenant soin de ne jamais les mettre dans le cadre pour donner l’illusion d’un paysage inhabité, NdT]
C’est cette interprétation biaisée de la nature sauvage américaine que John Muir a réussi à promouvoir, une vision qui hante le mouvement de la conservation depuis lors. Dans ses célèbres écrits de voyage du XIXe siècle, dans les montagnes de la Sierra Nevada, Muir a décrit le Yosemite non seulement comme une merveille pittoresque de la nature, mais aussi comme quelque chose de divin se situant au-delà des faiblesses humaines. Le paysage des « Sierra Cathedral Mountains » [Il compare les montagnes à des cathédrales, NdT] était un « temple éclairé par une lumière céleste. Mais aucun temple érigé par la main de l’homme n’est comparable au Yosemite », a-t-il écrit. C’était un endroit « purement sauvage » et où « aucune marque de l’homme n’est visible. »
« Les principaux canyons s’élargissent en vallées étendues ou en enclaves d’une beauté charmante. Aplanies et fleuries, elles sont diversifiées comme des jardins paysagers avec des prairies, des bosquets et des fourrés de buissons fleuris, tandis que les versants, de formes infiniment variées, sont bordés de fougères, de plantes à fleurs, d’arbustes de nombreuses espèces, et de grands conifères et de chênes. »
Muir a pourtant rencontré les peuples autochtones durant ses voyages. Mais il les a trouvés « très laids, et certains d’entre eux tout à fait hideux. » Pour une contrée sauvage aussi pure que le saint Yosemite, « ils ne semblaient pas avoir leur place dans le paysage, et j’étais heureux de les voir disparaître par le bas du col. » Mais, ironiquement, ces « créatures étranges », telles que Muir les a décrites, sont responsables de nombre des caractéristiques qui ont donné à la vallée du Yosemite son apparence, dont les « jardins paysagers » que Muir appréciait tant. C’est cet héritage oublié qui a miné bon nombre des succès remportés aux États-Unis et même au niveau mondial par le mouvement conservationniste actuel. Un héritage qui remonte directement à John Savage et John Muir, au premier site de nature sauvage protégé devenu plus tard un modèle suivi dans le monde entier.
Il n’y a pas que Muir qui a été frappé par la beauté ordonnée de la vallée du Yosemite. Lafayette Bunnell, le médecin new-yorkais qui a accompagné Savage dans ses exploits en 1851, a rappelé que « la vallée au moment de sa découverte présentait l’aspect d’un parc bien entretenu. » De même, Galen Clark, qui était le gardien d’État de la concession de Yosemite après sa cession à la Californie, s’est souvenu de conditions similaires lors de sa première visite en 1855. « À l’époque, » écrit Clark, « il n’y avait pas de sous-bois composés de jeunes arbres obstruant les espaces ouverts, dans aucune partie de la vallée, du côté de la rivière Merced jusqu’à la base du versant opposé. »
Cependant, l’état de la vallée ne s’est pas maintenu longtemps. Quarante ans plus tard, Clark découvrait que la prairie ouverte du Yosemite avait pratiquement disparu, estimant qu’elle était à l’époque « au moins quatre fois plus grande qu’à l’heure actuelle. » La raison de cette disparition, connue au XIXe siècle mais peu comprise jusqu’à récemment, se trouvait dans les nombreuses façons dont les premiers habitants du Yosemite avaient transformé leur environnement au cours de centaines, voire de milliers d’années. La principale d’entre elles était l’utilisation stratégique du feu.
« L’utilisation du feu par les Amérindiens a imprégné leur vie quotidienne », explique M. Kat Anderson, écologue de l’Université de Californie à Davis, dont les recherches sont publiées dans l’ouvrage Fire in California’s Ecosystems. L’approche était centrée sur le brûlage pour garder l’espace ouvert et faciliter les déplacements, un outil de gestion de la faune pour brûler les détritus et augmenter les zones de pâturages pour les cerfs, ainsi qu’à des fins de prévention des incendies.
Les Amérindiens ont parfaitement compris la nécessité de « combattre le feu par le feu », explique M. Anderson. « Leurs feux intentionnellement allumés étaient souvent conçus pour éviter les types d’incendies catastrophiques qui dévastent régulièrement de grandes zones aujourd’hui. »
Ces incendies ont peut-être aussi joué un rôle important en soutenant la biodiversité. En 1996, Anderson a rédigé le rapport final du Sierra Nevada Ecosystem Project à l’intention du Congrès américain, en collaboration avec l’archéologue Michael Moratto de l’Université d’État de Californie à Fresno. Dans leur rapport, les auteurs déclarent que la plupart des plantes utiles aux tribus de la Sierra Nevada étaient des variétés intolérantes à l’ombre qui nécessitaient un brûlage régulier pour prospérer. Ces espèces comprenaient « l’herbe à cerf » [plante graminée, NdT] utilisée en vannerie, les herbes indigènes comestibles, ainsi qu’une variété d’espèces de bulbes, de cormes et de tubercules. En allumant des feux dans toute la forêt, « des trous ou des prairies herbeuses ont été créés, maintenus ou agrandis au sein de diverses communautés végétales », écrivent les auteurs. « Le résultat a été la maximisation de la diversité végétale. »
Cependant, pour Muir, comme pour de nombreux conservationnistes du XIXe siècle, ces incendies étaient « le grand fléau s’abattant sur les forêts », et l’extinction de leur fureur serait sa mission divine. « Seul le feu », écrit-il en 1869, « menace l’existence de ces plus nobles arbres de Dieu. » Il ne suffisait pas d’empêcher les bûcherons et les bergers de dégrader la forêt. Il y avait le besoin d’une protection stricte et indéfectible. À cette fin, Muir préconisait des mesures fédérales de protection des forêts et de lutte contre les incendies auprès de tous les hommes politiques et de tous les fonctionnaires qui voudraient bien l’écouter.
Contrairement à la position de Muir qui prône l’exclusion et la suppression des activités humaines, les responsables du parc Yosemite ont fait l’éloge de la logique des brûlages contrôlés réguliers « lorsque les Indiens étaient en charge de l’entretien » et ont déclaré que « la suppression totale des incendies dans ces montagnes mènera finalement à des résultats désastreux. » Mais, pour Muir, « le meilleur service dans la protection des forêts – presque le seul service efficace – est celui rendu par les militaires. » Sans préserver totalement les forêts de l’empiètement des humains, Muir craignait que son objectif ultime de préservation n’échoue.
« Un soldat dans les bois, armé de son autorité légale et d’un fusil », écrivait-il, « serait plus efficace dans la préservation des forêts que des millions notifications d’interdiction. »
Finalement, la position de Muir l’emporta, soutenue par des personnalités telles que le commissaire de police de New York de l’époque, Theodore Roosevelt, le général William Jackson Palmer et le capitaine George Anderson, le responsable militaire chargé de protéger le parc national de Yellowstone. Pour les critiques qui soutenaient encore que des feux indiens devaient être utilisés au Yosemite, Muir avait une solution alternative, comme il l’a clairement indiqué avant une réunion du Sierra Club le 23 novembre 1895.
« Puisque les feux qui balayaient autrefois la vallée ont été supprimés », disait Muir, « les sous-bois nécessitent une très coûteuse attention qui sera fournie par le travail d’un paysagiste compétent. » Cependant, ces fonds ne se sont jamais matérialisés dans la mesure imaginée par Muir. En conséquence, les étendues du Yosemite, qu’il avait présentées comme des jardins paysagers, sont vite devenues surpeuplées à cause d’une croissance incontrôlée. En même temps, les États-Unis ont dû faire face au coût élevé de la suppression de chaque incendie qui se déclenchait, parce que l’accumulation de combustible sur le sol de la forêt menaçait maintenant d’anéantir toute la région.
Les décisions des conservationnistes du XIXe siècle ont laissé un héritage qui se fait encore sentir aujourd’hui. Dans une étude publiée dans l’édition de mars 2010 d’Ecological Applications, les chercheurs Andrew Scholl et Alan Taylor de l’Université d’État de Pennsylvanie ont publié leur analyse du succès de cette politique de suppression des incendies. Les auteurs ont cherché à tester l’affirmation selon laquelle les feux intentionnels ont été une caractéristique répandue de l’intendance des Indiens d’Amérique. Pour ce faire, ils ont recueilli des données sur une région de 2 125 hectares du parc national de Yosemite, notamment sur le nombre d’espèces différentes, la densité des communautés d’arbres et leur âge, révélé par l’extraction de carottes de forage de leur tronc.
Ces carottes prélevées par Scholl et Taylor ont révélé l’histoire environnementale de chaque arbre étudié. Comme les cernes de croissance des arbres donnent des indices sur les conditions environnementales au moment où la section a été exposée au monde extérieur, l’analyse permet d’identifier à la fois le moment où un incendie a eu lieu et l’étendue de sa propagation en fonction des dommages enregistrés dans les cernes. En outre, une région géographique qui contient des arbres nettement plus jeunes qu’une autre apporterait la preuve d’un grave incendie qui a détruit des pans entiers de forêt. Au final, les chercheurs ont pu dresser une carte de l’évolution des forêts entre les années 1575 et 2006 ainsi que de l’impact des incendies sur la biodiversité des forêts.
Les résultats de cette analyse étaient statistiquement significatifs (p < 0,01) et ont révélé que les espèces tolérantes à l’ombre, telles que le sapin blanc et le cèdre à encens, s’étaient tellement multipliées que la vallée du Yosemite était désormais deux fois plus dense qu’elle ne l’était au XIXe siècle. Ces arbres plus petits et plus inflammables avaient chassé les espèces intolérantes à l’ombre, telles que le chêne ou le pin, et réduit leur nombre de moitié. Après un siècle de suppression des incendies dans la vallée du Yosemite, la biodiversité avait en fait diminué, les arbres étaient désormais 20 % plus petits et la forêt était plus vulnérable aux incendies catastrophiques qu’elle ne l’était avant que l’armée américaine, aidée de miliciens, n’expulsent la population indigène.
Cependant, si l’on se base sur la rotation des sites de brûlis historiques dans la forêt, il ne fait aucun doute que les incendies ont été allumés intentionnellement plutôt que par des foudroiements aléatoires ou d’autres brûlages accidentels. Les groupes amérindiens avaient profondément modifié le paysage de la vallée du Yosemite d’une manière qui était mutuellement bénéfique, pour les autochtones eux-mêmes, et pour l’écosystème local dans son ensemble. Ils étaient de bons intendants de la forêt, non pas parce qu’ils n’avaient aucun impact sur l’environnement, mais parce que la forêt était leur maison et qu’ils en dépendaient pour tous les aspects de leur vie. À l’appui de ces résultats, deux autres études, l’une menée également à Yosemite et l’autre le long de la côte californienne, sont arrivées à des conclusions similaires : le retrait de la population indigène des forêts a entraîné une diminution du diamètre des arbres et de la biodiversité.
Malgré le désir passionné de John Muir de protéger les magnifiques arbres du Yosemite, après 100 ans de politique conservationniste, la densité globale parmi les 14 espèces de grand diamètre les plus abondantes a diminué de 30 %. Pour Muir et ses contemporains du XIXe siècle, la conservation signifiait que « la protection du gouvernement devrait être assurée dans tous les bosquets et forêts sauvages des montagnes. » Cette approche continue d’être le modèle standard de conservation dans le monde entier. Cependant, comme à Yosemite, l’effort mondial de conservation a concentré son attention sur l’idée de nature sauvage vierge, à l’exclusion de toute autre préoccupation, y compris celle des personnes qui y vivent depuis des siècles.
En 2003, les effets néfastes de ces politiques ont été dénoncés par les délégués indigènes du monde entier lorsqu’ils ont présenté une déclaration commune avant le cinquième congrès sur les parcs (Fifth Park Congress) qui se tenait alors à Durban, en Afrique du Sud. « La stratégie de conservation de la biodiversité par le biais des parcs nationaux a expulsé plusieurs dizaines de milliers de résidents très pauvres des parcs, les transformant en réfugiés de la conservation », ont-ils annoncé. « Nous avons d’abord été dépossédés au nom des rois et des empereurs, puis au nom du développement de l’État, et maintenant au nom de la conservation. »
Tout comme il aurait pu y en avoir pour les Ahwahneechee en 1851, il existe aussi une alternative aujourd’hui. Elinor Ostrom, lauréate du prix Nobel d’économie, et sa collègue Tanya Hayes, de l’université de l’Indiana à Bloomington, ont mené une étude en 2007 qui comparait les schémas de végétation de 84 forêts dans 15 pays différents, dont seulement la moitié était sous protection nationale. Contrairement aux affirmations des conservationnistes contemporains, elles n’ont trouvé aucune différence significative de densité de végétation entre les forêts protégées et celles qui ne l’étaient pas. Toutefois, un critère a fait la différence : la participation directe des populations locales et indigènes. Les régions où les groupes locaux ont pu définir les règles de gestion de leur forêt présentaient des densités de végétation nettement plus élevées que celles où les autochtones ne pouvaient pas définir ces règles, et ce quel que soit le statut de protection de ces zones géographiques.
« Les résultats ci-dessus contredisent clairement la croyance selon laquelle les zones protégées sont le seul moyen de conserver les forêts », écrivaient Elinor Ostrom et Tanya Hayes. Ce faisant, elles offrent une opportunité de changer de cap sur une politique qui a conduit à l’expulsion des peuples indigènes et à l’engagement d’une stratégie de conservation coûteuse qui n’a pas eu beaucoup de résultats. En d’autres termes, il est grand temps maintenant, au XXIe siècle, de jeter au feu l’approche exclusionnaire de John Savage et de John Muir.
Soixante-dix-huit ans après que le peuple Ahwahneechee ait été chassé de sa terre natale, Totuya est retournée dans la vallée du Yosemite. Pendant son bref séjour, elle a été longuement interviewée par une Mme H.J. Taylor et a visité des terres qu’elle n’avait pas vues depuis son enfance. Cependant, alors qu’elle regardait ce que la vallée était devenue, elle jeta un regard de désapprobation. Ce qui autrefois avait été une grande prairie ouverte créée et utilisée par tout son village pour le gibier, était maintenant un terrain envahi par la végétation, parsemé d’arbres et de broussailles.
« Trop sale, trop broussailleux », explique-t-elle tristement. Après des siècles d’entretien et de soins, la terre qu’elle chérissait avait été laissée en sommeil et inutilisée, le feu nécessaire pour donner vie à cette vallée ayant été éteint il y a longtemps. C’en était terminé de sa bien-aimée vallée Ahwahnee.