New Deal pour la Nature : ensemble, achevons la planète
Ces derniers mois, les puissantes ONG anglo-saxonnes du monde de la conservation de la nature – WWF, Conservation International et The Nature Conservancy entre autres –, toutes dotées de budgets annuels à neuf chiffres, mènent une « campagne pour la nature » afin de « protéger au moins 30 % de la planète d’ici 2030. » National Geographic et la fondation du milliardaire suisse Hansjörg Wyss se sont joints à l’effort pour proposer – ou imposer par la propagande – leur projet pour sauver le monde naturel. Mais à y regarder de plus près, ce « deal » défendu par le WWF et la coalition d’entreprises Business for Nature (Walmart, Total, Vinci, Cargill, Syngenta, Bayer-Monsanto, Danone, H&M, McDonald’s, Coca-Cola, PepsiCo, etc.) vise en premier lieu à maintenir et renforcer l’hégémonie des multinationales. Nul besoin d’être un génie pour comprendre qu’une firme dont la prospérité se mesure aux ravages écologiques et sociaux laissés dans son sillage ne s’engagera jamais en faveur d’une réglementation contraignante pouvant handicaper sa rentabilité financière.
Des influenceurs prestigieux ont été mis à contribution pour cette campagne : Jane Goodall, David Attenborough et Greta Thunberg apparaissent dans une vidéo de la campagne Voice for the planet du WWF, un film publié à la fois sur les chaines Youtube du WWF et du Forum Economique Mondial. Différents hashtags sont utilisés sur les réseaux sociaux pour relayer cette campagne : #Call4Nature, #VoiceForThePlanet, #NewDealForNature.
Objectif affiché : mettre la pression sur les décideurs en vue de conclure un accord similaire à l’Accord de Paris lors de la prochaine COP 15 de la Convention sur la Diversité Biologique (CBD). Cet événement qui devait se tenir fin 2020 à Kumming en Chine a finalement été reporté en 2021 suite à l’épidémie de covid-19.
Pour prendre connaissance du contenu de ce « deal », le WWF propose en téléchargement une infographie. Les problèmes y sont listés, de même que les objectifs, les solutions et les bénéfices. Cet accord aurait des bénéfices multiples : de l’eau et de la nourriture pour 9 milliards d’êtres humains, des animaux divers et variés, un climat stable et, surtout, la santé et le bien-être. De nombreux « experts » ont réfléchi à toutes ces questions à huit clos, sans consultation publique, pour proposer le meilleur, le seul et l’unique plan de sauvetage du monde naturel, bien entendu encore et toujours basé sur la Science. En tout cas sur leur Science, celle qui sert les intérêts des puissants de ce monde.
Car parmi les auteurs de l’étude A Global Deal For Nature : Guiding principles, milestones, and targets parue dans la revue Science Advances figurent des cadres de Google et Microsoft, du WWF, des Nations Unies, de l’ONG RESOLVE et de National Geographic qui, rappelons-le, compte Bayer-Monsanto parmi ses clients pour qui il héberge du contenu. Aucune mention n’est faite des travaux scientifiques, de plus en plus nombreux, suggérant une incompatibilité entre croissance économique et conservation de la biodiversité.
Nous sommes donc face à des ONG environnementales, institutions, fondations, multinationales, ultrariches, décideurs et influenceurs prétendant baser leurs travaux, leurs politiques et leurs discours sur la science, usant d’injonctions paternalistes pour ordonner au public, à nous autres les gueux profanes, « d’écouter la science », qui ignorent eux-mêmes la science. Il est évident que cette dernière n’est jamais neutre et objective, elle est sous influence de la culture au sein de toute société humaine. Et dans une société pyramidale dominée par un petit nombre d’individus et d’organisations au pouvoir démentiel, la science qui s’oppose à leurs intérêts, c’est du blasphème.
Protéger ou voler des terres ?
Le New Deal pour la nature se fixe comme objectif d’augmenter le nombre et/ou la surface des aires protégées – parcs nationaux, réserves naturelles – pour atteindre 30 % des terres émergées en 2030. D’après le rapport Protected Planet 2018, il existe aujourd’hui plus de 238 000 aires protégées, soit une surface dépassant les 20 millions de km², l’équivalent d’environ 15 % de la surface terrestre, hors océans. A titre de comparaison, l’Europe s’étend sur une superficie d’à peine 10 millions de km².
Scientifiques, anthropologues et ONG de défense des peuples autochtones critiquent de plus en plus vivement cette stratégie des aires protégées appelée « conservation forteresse » et assimilée à une nouvelle forme de colonisation. Non seulement la multiplication des aires protégées a lamentablement échoué à freiner l’hécatombe du vivant, mais elle a aussi créé des exilés, car les populations autochtones sont presque systématiquement expulsées de leurs terres ancestrales à la création d’un nouveau parc national.
Depuis la fin du XIXème siècle, ces « réfugiés de la conservation » pourraient se compter en dizaines de millions d’après une enquête du journaliste d’investigation Mark Dowie publiée chez MIT Press. L’Union Européenne a très récemment retiré son soutien financier au WWF pour la création d’un parc dans la forêt de Messok Dja en République du Congo. La firme au panda est accusée d’y bafouer les droits des Baka, un peuple de chasseurs-cueilleurs marginalisé vivant dans les forêts du bassin du Congo depuis des temps immémoriaux.
Stephen Corry, directeur de l’ONG Survival International militant pour les droits des peuples indigènes, mène une contre-campagne acharnée sur les réseaux sociaux et dans les médias alternatifs pour dénoncer la folie de ce New Deal pour la Nature qu’il présente en ces termes :
« [U]n tiers du globe volé pour le profit. C’est un nouveau colonialisme, soi-disant « vert » et soi-disant pour sauver le monde – un gros mensonge. »
Les craintes de Stephen Corry sont tout à fait fondées ; 80 % de la biodiversité se trouve aujourd’hui sur des terres entretenues par ou appartenant à des peuples autochtones, et elles abritent des gisements de matières premières encore peu voire pas du tout exploités. Idéalement, il faudrait protéger la diversité culturelle pour préserver la diversité biologique, mais le monde de la conservation fait exactement le contraire en rompant le lien ancestral reliant les peuples autochtones et leur terre, en broyant leur autonomie pour les rendre dépendants des systèmes monétaires et marchands.
Dans bien des cas, les entreprises extractives utilisent les ONG de la conservation dans leur stratégie de communication pour faire du greenwashing et poursuivre leurs exactions. Cet accord ne vise pas à « protéger » 30 % de la planète mais à sécuriser l’accès à des terres riches en matières premières essentielles pour le maintien du business dans les années à venir, car la demande en ressources naturelles – pétrole, gaz, charbon, métaux, minéraux non métalliques – ne cesse de croître. On assiste à une mécanique similaire pour l’agrobusiness, des terres sont par exemple volées aux Mursi en Ethiopie pour la production industrielle de canne à sucre et la construction d’un barrage.
Pour ne rien arranger, les exemples d’aires protégées où les États collaborent avec les multinationales et le crime organisé pour autoriser des activités dévastatrices sont légion :
- Total dans le parc national des Murchinson Falls en Ouganda ;
- ReconAfrica dans la grande aire de conservation transfrontalière de Kavango-Zambezi en Namibie ;
- Construction de barrage, multiples sites d’extraction minière (dont l’uranium), extraction pétrolière et gazière dans la réserve tanzanienne de Selous classée au patrimoine mondiale de l’UNESCO ;
- Construction d’infrastructures et de centrales éoliennes et géothermiques par le Kenya dans ses aires protégées ;
- Au Guatemala, la Réserve de Biosphère Maya est ravagée par les narcotrafiquants avec la collaboration des autorités corrompues, particulièrement les zones de protection « stricte », seule la zone habitée par les communautés autochtones résiste, pour le moment.
Afin de faire pression sur les « États », les « leaders du monde » et sur les « décideurs », le WWF a contribué à lancer Business for Nature – « une coalition globale d’organisations influentes et visionnaires qui s’engagent pour la nature, influencent les décideurs et transforment l’économie mondiale. » Précisons que le groupe Total déjà cité plus haut fait partie de cette coalition.
Parmi les dizaines de firmes « visionnaires » engagées dans la coalition Business for Nature, on peut trouver Yara International, Danone, Nestlé, Cargill, Bayer-Monsanto, BASF, Coca-Cola, McDonalds, PepsiCo, Engie, Total, Unilever, Carrefour, Saint-Gobain, Suez, Tata Steel, Ford Motor Company, Renault, Vinci, Société Générale, Rabobank, Nexity, Hermes International, LafargeHolcim, l’Oréal, LVMH, Bolloré Logistics, Bouygues Immo, HeidelbergCement, CEMEX, Eiffage, EDF, France TV, SalesForce, etc.
Ces multinationales ne peuvent faire prospérer leurs activités qu’en maintenant un flux constant et croissant de matières premières des pays du Sud vers les pays riches et industrialisés du Nord. Ceci implique nécessairement de sécuriser des territoires où les extraire, et tous les moyens sont bons pour y arriver.