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L’efficience énergétique est une malédiction

Traduction d’un autre article du journaliste Andrew Nikiforuk (précédent ici) publié dans le média indépendant canadien The Tyee en 2018. « Energy Efficiency » est traduit ici par « efficience énergétique » et non par « efficacité énergétique » comme on le voit souvent. Le terme « efficacité » désigne en français à la fois le fait qu’une action mène à un objectif attendu, mais aussi le fait de faire plus avec moins. Le terme « efficience » s’emploie uniquement pour le second sens, il est par conséquent plus précis. La société industrielle n’est pas, n’a jamais été, et ne sera jamais efficiente comme l’a déjà expliqué l’économiste Niko Paech.

En photo : l’efficience technologique ne fait pas seulement croître la consommation énergétique, elle conduit à une explosion de la production de déchets. Ici, des déchets électroniques issus de nos ordinateurs et smartphones devenus bien plus « efficients » grâce à l’innovation technologique, des déchets encombrants envoyés en Afrique par les pays occidentaux.


Plus notre technologie est « efficiente », plus nous consommons de ressources dans une spirale infernale désastreuse.

« L’histoire montre que toute application technique, depuis ses débuts, présente certains effets secondaires imprévisibles qui sont plus désastreux que ne l’aurait été l’absence de cette technique. »

 – Jacques Ellul

Chaque fois que des politiciens ou des écologistes prônent l’« efficience énergétique » comme solution à nos problèmes climatiques qui se multiplient, ne les croyez pas.

En revanche, cette proposition peut être séduisante, voire persuasive. L’Agence internationale de l’énergie estime par exemple que la magie de l’efficience énergétique peut permettre d’atteindre 49 % des réductions d’émissions de GES nécessaires d’ici 2030 pour éviter des modifications catastrophiques de la température mondiale.

En conséquence, les gouvernements nationaux du monde entier défendent désormais l’ « efficience énergétique » comme une sorte de vache sacrée. Le ministre fédéral des ressources naturelles, Jim Carr, écrit le plus sérieusement du monde : « L’efficience énergétique n’est pas juste quelque chose qui affecte à la marge le changement climatique, elle peut frapper au cœur même de celui-ci. »

Dans un rapport récent, le ministre a même déclaré que l’efficience énergétique est aussi merveilleuse qu’un conte de fées : « C’est aussi quelque chose qui peut améliorer la santé des Canadiens, renforcer notre économie, créer des emplois et améliorer la sécurité de notre approvisionnement en énergie. »

Alliance to Save Energy, une organisation non partisane des États-Unis, se targue de pouvoir changer le monde sans que les consommateurs d’énergie aient à faire de sacrifices, car « l’efficience énergétique nous permet de faire plus en consommant moins d’énergie ».

Le seul problème avec ces charmantes affirmations, c’est qu’elles sont fausses. L’efficience énergétique est une illusion technologique qui protège et renforce ce qui incarne à n’en pas douter une autoroute vers l’épuisement des ressources et le chaos atmosphérique. Contrairement au conte de fées de Jim Carr, l’efficience énergétique encourage en fait l’utilisation de plus d’énergie et de plus de ressources. Ainsi, elle ne fait que maintenir le dangereux statu quo, bien qu’il soit éclairé par de nombreux panneaux d’affichage numérique à faible consommation énergétique.

Même les rapports du gouvernement canadien reconnaissent involontairement la sévérité du problème tout en appelant à une plus grande efficience. Une étude de 2013 sur les tendances énergétiques déplore par exemple que « le Canada produise de la valeur ajoutée de manière plus efficiente » mais que chaque ménage utilise « un plus grand nombre de biens et services consommateurs d’énergie par habitant qu’en 1990 ».

Bouleversés, les auteurs du rapport ont ajouté que davantage d’énergie était consommée « malgré le fait que de nombreux biens électroniques soient devenus de plus en plus efficients sur le plan énergétique depuis 1990. »

L’Europe est prise dans le même paradoxe. Kris De Decker, le fondateur du Low-Tech Magazine, a récemment constaté que les réfrigérateurs et les congélateurs sont devenus 75 % plus efficaces en Europe, tout comme d’autres gadgets. Pourtant, la consommation d’énergie en 2015 n’était que légèrement inférieure à celle de 2000 (1 627 Mtep contre 1 730 Mtep ou millions de tonnes d’équivalent pétrole).

L’efficience énergétique, la célèbre pierre angulaire de l’accord de Paris sur le climat, explique probablement pourquoi les pays du monde entier ne parviennent pas à atteindre leurs modestes objectifs climatiques, car les gains d’efficience provoquent des dépenses énergétiques plus importantes et inattendues.

Cette fâcheuse histoire remonte probablement au 14e ou 15e siècle. C’est à cette époque que le mot « efficience » est apparu pour la première fois en latin, lorsque les Européens ont commencé à déployer davantage de machines pour réaliser plus de travail.

Pour un commerçant médiéval, l’efficience signifiait le « pouvoir d’accomplir quelque chose » avec une charrue ou une roue à eau. Au XVIIIe siècle, le mot a connu une nouvelle gloire comme mesure du travail mécanique utile par rapport à l’énergie dépensée.

Aujourd’hui, l’efficience pèse sur tous les discours politiques, sociaux et économiques. L’efficience politique nous pousse à voter pour de riches menteurs qui tweetent de manière incontrôlée, tandis que l’efficience économique nous pousse à acheter des choses dont nous n’avons pas besoin. L’efficience dynamise également notre mode de pensée technologique : si seulement nous utilisions les données plus efficacement, nous pourrions résoudre tous les problèmes et repousser toutes les frontières. Nous vénérons l’efficience et condamnons l’inefficience.

Dans les années 1950, Jacques Ellul, un critique chrétien radical de la société, a fait remarquer que les techniques ou la technologie dominent désormais la vie moderne de la même manière que le capital a défini la révolution industrielle.

La force immorale de la technologie, une force qu’Ellul considérait à juste titre comme autonome et auto-propageante, n’avait qu’un seul principe directeur : atteindre l’efficience ou une « unique et meilleure manière de faire » pour toutes choses. « Le progrès technique aujourd’hui, écrivait-il en 1954, n’est plus conditionné par autre chose que son propre calcul de l’efficience. »

Mais c’est Stanley Jevons, un brillant économiste du charbon de 29 ans, qui a le premier repéré le côté sombre de l’efficience et son mariage abusif entre économie et technologie.

Comme les machines à vapeur devenaient plus efficientes et moins chères, Jevons nota que la consommation de charbon augmentait radicalement. Il a observé que les gains d’efficience encourageaient l’industrie à appliquer la technologie à de plus en plus d’activités économiques, du tissage des textiles au battage du blé.

Même si ces nouvelles machines à vapeur brûlaient moins de charbon, la prolifération des machines à vapeur dans tout l’Empire britannique carburant au charbon a effacé toute économie d’énergie. La multiplication des machines à vapeur n’a fait qu’augmenter la demande en charbon.

C’est la conclusion de Jevons :

« C’est une confusion totale de supposer que l’utilisation avec économie du combustible équivaut à une consommation diminuée. C’est tout le contraire qui est vrai. »

L’idée selon laquelle l’utilisation plus efficace des combustibles et des ressources conduit à une plus grande ruine environnementale est connue sous le nom de « paradoxe de Jevons ». Les technologies alimentées au pétrole et à l’électricité ont honoré avec panache ce paradoxe.

Les économistes modernes ne parlent pas beaucoup du paradoxe de Jevons, mais ils admettent que le problème existe et le qualifient de « rebond ». Juste quand vous pensez avoir réellement résolu un problème, une merde rebondit sur vous, c’est ce qu’ils calculent avec leurs formules mathématiques. Lorsque l’efficience énergétique fait disparaître 100 % des économies d’énergie, les économistes appellent le rebond un « effet inverse » total.

Bien que la plupart des économistes décrivent le rebondissement comme un problème modeste, ils admettent que l’efficience énergétique peut faire disparaître entre 20 et 50 % des économies d’énergie. Mais ils considèrent le phénomène comme une légère perturbation ne méritant pas beaucoup d’attention.

Richard York, sociologue de l’environnement à l’université de l’Oregon, n’est pas d’accord avec cette évaluation et considère la malédiction de l’efficience énergétique comme un handicap pour la société. La façon dont nous consommons et produisons les choses n’est pas indépendante de nos technologies, note-t-il.

Il explique souvent le paradoxe de l’éco-efficience par une brève expérience de réflexion. Imaginez deux mondes. Sur la planète de l’efficience énergétique, les voitures peuvent atteindre une consommation de 1 litre aux 100 kilomètres. Mais sur la planète inefficiente, les voitures engloutissent 100 litres de carburant pour parcourir un kilomètre. Sur quelle planète les gens consommeraient-ils le plus d’énergie, demande-t-il.

La Terre a répondu à cette question. Une culture séduite par les carburants bon marché et l’efficience énergétique ornera ses paysages de routes, d’autoroutes, de parkings, de centres commerciaux et de banlieues. Sur une planète où les voitures seraient inefficientes, les gens continueraient à marcher. « L’efficience énergétique a des effets d’entraînement », explique M. York.

Le paradoxe de Jevons perturbe aujourd’hui presque tous les aspects de la vie technologique moderne. Le paradoxe s’immisce partout, du chauffage des maisons à l’éclairage. Il ridiculise même les énergies renouvelables.

Commençons par l’aviation, un exemple frappant parmi d’autres. Le rendement énergétique moyen des nouveaux avions s’est amélioré d’environ 1,5 % par an entre 1960 et 2008, tandis que le trafic de passagers a augmenté de près de 9 %. Les avions plus efficaces ont eu pour conséquences des tarifs moins élevés, l’industrie ayant consacré ses économies d’énergie à l’augmentation pour les avions de la distance parcourue et de la vitesse. En conséquence, l’aviation est responsable de 4,9 % du changement climatique provoqué par l’homme et consomme environ cinq millions de barils de pétrole par jour. L’Agence internationale de l’énergie prévoit que la demande de kérosène augmentera de plus de 50 % pour dépasser les neuf millions de barils par jour (Mbj) d’ici 2040.

M. Jevons reconnaîtrait cette tendance. Avec l’amélioration du rendement énergétique par siège des avions de ligne, la combinaison de tarifs moins élevés, des revenus en hausse et d’une population croissante a fait passer le nombre de personnes voyageant par avion de quelques millions dans les années 1960 à quatre milliards par an actuellement. Dans l’industrie aérienne, l’efficience énergétique sert à garantir la croissance et des techniques plus efficaces pour déplacer les gens comme du bétail dans l’atmosphère. Grâce à l’efficience énergétique, « un billet d’avion est l’un des biens les plus dommageables pour l’environnement que l’argent puisse acheter ».

Les lumières LED mettent également en évidence le labyrinthe économique du paradoxe de Jevons. Ces merveilles consomment 70 à 80 % d’électricité en moins que les ampoules à incandescence qui ont illuminé ma jeunesse. En fait, les LED se sont révélées si efficaces et compactes qu’elles ont colonisé bien plus que nos espaces de travail et de vie. On les trouve maintenant dans les lecteurs de codes-barres, les vêtements, les systèmes d’éclairage d’ambiance, les détecteurs d’ambiance, les souris d’ordinateur optiques et les panneaux d’affichage numérique qui nous rappellent souvent l’importance de l’efficience énergétique.

Aujourd’hui, si les consommateurs utilisaient la technologie des LED pour utiliser réellement moins de lumière et d’énergie, il y aurait des économies d’énergie. Mais la technologie n’interagit pas de cette manière avec d’autres technologies. Étant donné les nombreuses applications des LED et le nombre d’espaces supplémentaires qui peuvent désormais être colonisés par la lumière artificielle, les chercheurs de l’université Rutgers ont récemment conclu que le passage des lampes à incandescence aux LED ne permettra pas de réaliser des économies durables :

« il existe un potentiel massif de croissance de la consommation de lumière si de nouvelles technologies d’éclairage sont développées avec une efficience lumineuse plus élevée et un coût plus faible ». En d’autres termes, les LED ont permis l’apparition « de modes de consommation de la lumière nouveaux et imprévus ».

L’histoire constitue un guide fiable sur ce sujet. Plusieurs techniciens des Sandia National Laboratories ont étudié les implications énergétiques et économiques de l’éclairage LED en se basant sur la façon dont les humains ont utilisé les bougies, l’huile de baleine, les lampes à gaz et les ampoules à incandescence pendant 300 ans. Dans des documents rédigés en 2010, et à nouveau en 2012, ils ont conclu qu’un éclairage plus efficace entraînait une plus grande consommation de lumière et donc une augmentation des dépenses énergétiques globales de la société. Comme le disent les scientifiques, « la consommation d’énergie pour l’éclairage a connu un effet rebond de 100 % sur les cinq continents et dans cinq technologies ». Le second document ajoute une mise en garde intéressante sur la croissance de la lumière artificielle dans une société technologique : « De tels gains créent des bénéfices économiques malgré l’absence nominale de bénéfices climatiques. »

L’efficience énergétique peut aussi fonctionner comme la maison que Jack a construite [conte pour enfant dans lequel une même structure est inlassablement répétée, NdT]. Dans le New Yorker, David Owen a récemment expliqué comment l’efficience des technologies de refroidissement a encouragé l’augmentation de la climatisation et de la réfrigération partout, ce qui a changé tous les aspects de la production alimentaire. Les aliments refroidis ont voyagé plus loin et sont devenus plus facilement disponibles. Avec la révolution du refroidissement, le volume des déchets alimentaires a augmenté de 50 % depuis 1974. Jeter cette nourriture refroidie et gaspillée revient à prendre 300 millions de barils de pétrole par an et à y déposer une allumette.

Le monstre de l’efficience peut également être croisé au bureau lorsque l’on travaille avec un ordinateur et d’autres gadgets numériques. Vous vous souvenez quand les gourous technophiles ont promis le « bureau sans papier » et ont dépeint l’ordinateur comme un charmant appareil écologique permettant de sauver les forêts dans les années 1980 ?

Mais les gourous ont oublié que l’ordinateur facilitait en fait la sauvegarde et le stockage de documents. Cette efficience, à son tour, signifiait que n’importe qui pouvait imprimer n’importe quoi, n’importe où, s’il avait accès à une imprimante.

Grâce à cette commodité, la production de papier a augmenté inexorablement. Bien qu’il faille environ trois fois moins d’énergie pour fabriquer une tonne de papier qu’en 1965, la société technologique trouve de plus en plus de moyens de consommer du papier. Chaque jour, nous photocopions un milliard de documents et, dans le même temps, le nombre de documents papier aux États-Unis (actuellement de quatre billions) augmente de 880 milliards par an. Cela représente un taux de croissance de 22 %.

Les mêmes personnes qui nous avaient promis un monde sans papier font aujourd’hui des déclarations similaires sur les différentes sortes d’énergies renouvelables. Selon eux, l’énergie éolienne, solaire et géothermique, permettra de retirer les combustibles fossiles, de stabiliser le climat et de rendre l’économie plus verte. En gros, nous allons simplement faire disparaître les combustibles fossiles de la carte en parsemant les paysages de parcs éoliens et de panneaux solaires.

Mais grâce au paradoxe de l’éco-efficience, quelque chose de différent est en train de se produire. Oui, les pays riches ont beaucoup investi dans les énergies renouvelables, mais ces gains ne se traduisent pas vraiment par une diminution des combustibles fossiles ni même des émissions de carbone. Dans une nouvelle étude de 2012, Richard York, de l’université de l’Oregon, a examiné 132 pays pour voir si les énergies renouvelables avaient réellement permis d’éliminer les combustibles fossiles entre 1960 et 2009. Ses résultats ont choqué beaucoup de gens. Il a constaté que « chaque unité d’électricité produite par des sources d’énergie non fossiles a déplacé moins d’un dixième d’une unité d’électricité produite par des combustibles fossiles ». Il n’y a pas eu de déplacement proportionnel des combustibles fossiles. En fait, il a fallu plus de 11 kWh d’électricité produite à partir de combustibles non fossiles pour tuer 1 kWh d’électricité produite à partir de combustibles fossiles. York a conclu que « la suppression de l’utilisation des combustibles fossiles nécessitera d’autres changements que de simples modifications techniques, comme par exemple l’expansion de la production d’énergie non fossile ».

L’Allemagne est un assez bon exemple du paradoxe à l’œuvre. Les Allemands ont fait du bon travail pour développer les énergies renouvelables, mais la nouvelle offre d’énergie verte n’a pas été utilisée pour remplacer le charbon, mais pour remplacer l’énergie produite par les réacteurs nucléaires mis en veilleuse. L’Allemagne devient plus verte, mais elle n’atteindra pas non plus ses objectifs en matière de changement climatique. Dans une autre étude publiée l’année dernière, York a conclu que « la production d’électricité à partir de sources renouvelables est susceptible de supprimer la production d’énergie nucléaire au lieu de l’utilisation de combustibles fossiles dans les pays riches ».

Selon la sociologue britannique Elizabeth Shove, une partie du problème de l’efficience énergétique réside dans sa vision technicienne étriquée. Le gouvernement étiquette les appareils de chauffage en fonction de leur efficience et il n’y a aucun doute que les chaudières sont devenues plus économes. Mais dans le même temps, la température moyenne à l’intérieur des maisons a augmenté de quatre degrés. Contrairement aux maisons du XIXe siècle où seuls le salon et la cuisine pouvaient être chauffés, la maison moderne et efficace exige que chaque pièce soit à 18 degrés, qu’elle soit utilisée ou non. Le chauffage central a conduit à chauffer plus, tout comme des ampoules efficaces ont été déployées pour éclairer davantage de jungles humaines.

Ce qui dérange Shove, c’est ceci : Dans le cadre des politiques d’efficience existantes, certaines choses ne peuvent pas être remises en question ou posées. Et si les chaudières modernes étaient utilisées pour chauffer une seule pièce ? Et si les gouvernements taxaient les grandes maisons et leur consommation d’énergie ? Et si des appareils de chauffage efficaces étaient utilisés pour maintenir la température à 16 degrés et que les gens portaient des pulls ? « Pourquoi certaines technologies (isolation, systèmes de chauffage) sont-elles omniprésentes dans les évaluations de l’efficience alors que d’autres, comme les vêtements, les chaises, les tapis, les pantoufles et les rideaux, n’y figurent pas ? »

Shove affirme que « la recherche de l’efficience énergétique est problématique, non pas parce qu’elle ne fonctionne pas, ou parce que les bénéfices sont absorbés ailleurs, comme le suggère l’argument du rebond, mais parce qu’elle fonctionne – via le concept nécessaire d’équivalence de service – pour maintenir, peut-être intensifier mais jamais saper… des modes de vie de plus en plus gourmands en énergie ».

À bien des égards, le problème de l’efficience énergétique est en réalité un problème de commodité, de confort. Dans un récent essai du New York Times, l’auteur américain Timothy Wu a noté que la commodité s’autoalimente. Il donne un exemple intéressant qu’il convient de reproduire dans son intégralité :

« Dans son œuvre classique de 1963, The Feminine Mystique, Betty Friedan a examiné ce que les technologies domestiques avaient fait pour les femmes et a conclu qu’elles avaient simplement créé plus de demandes. « Même avec tous les nouveaux appareils qui permettent d’économiser du travail », écrit-elle, « la ménagère américaine moderne passe probablement plus de temps à faire des      travaux ménagers que sa grand-mère ». Lorsque les choses deviennent plus faciles, nous pouvons chercher à remplir notre temps avec des tâches plus « faciles ». À un moment donné, la lutte pour l’existence ressemble à une tyrannie faite de petites corvées ménagères et de prises de décisions insignifiantes. »

Les exemples des effets de l’efficience énergétique sont accablants. Jevons avait raison à propos du paradoxe. Si vous rendez quelque chose plus efficient et que cette efficience se traduit par un service moins cher, la technologie va coloniser l’économie comme la moule zébrée a envahi les Grands Lacs. Améliorer l’efficience ne réduira pas la consommation et donc les émissions de CO2. La seule façon de réduire les niveaux de consommation totale d’énergie, par exemple dans l’industrie aéronautique ou dans tout autre secteur, est de limiter le nombre d’avions, de voyageurs et d’aéroports. L’augmentation des prix de l’énergie et des taxes y contribuera. Mais cela signifie une économie en décroissance et une remise en question radicale du rôle dominant de la technologie dans la prise de décision.

Tant que nous définirons les problèmes environnementaux, politiques et économiques comme étant essentiellement de nature technique, nous prescrirons l’efficience énergétique comme solution. Mais si nous devions admettre que nos problèmes sont de nature spirituelle et politique, qu’ils sont liés à la population et à la richesse, alors nous approuverions les réductions de la consommation d’énergie et des inégalités, ces dernières stimulant l’appétit énergétique.

Les politiciens craignent un tel changement. Aucun homme politique en vie actuellement n’a proposé de changer notre mode de vie ruineux au confort efficient. Personne ne dit que nous pourrions être plus heureux en consommant beaucoup moins d’énergie et en possédant moins d’esclaves énergétiques, même si c’est ce que suggèrent clairement les faits. Aucun parti politique ne prétend que le sacrifice et le courage nous permettront d’être plus sobres demain. Aucun parti politique ne préconise que les riches conduisent moins, volent moins, vivent dans des maisons plus petites ou possèdent moins de conneries.

Plutôt que de remettre en question la nature tyrannique de la société technologique, presque tous les partis politiques du monde ont opté pour une plus grande efficience énergétique.

Alexa, joue-nous un peu plus d’efficience énergétique.

Ce refus d’admettre la vérité ne laisse au monde que deux options de changement : l’effondrement ou la révolution.

Nous pourrions avoir les deux.

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