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Pour le système industriel, la biodiversité est au mieux inutile, voire un obstacle

Pour contrer le greenwashing omniprésent autour de la COP biodiversité qui vient de se tenir à Montréal, événement qui se serait soldé selon le journal Le Monde par des « engagements historiques pour la biodiversité[1] », j’ai traduit cet article de l’écologue Carl Safina paru en 2019 dans la revue Yale Environment 360[2]. Safina est titulaire d’une chaire à la Stony Brook University de New York, il est également auteur de plusieurs ouvrages évoquant les relations entre le monde vivant et les humains (j’ai fait une recension de son dernier livre ici). Carl Safina démonte deux arguments récurrents du discours dominant qui a infusé le monde de la conversation, un discours imposé au fil des années par de puissantes ONG, des fondations de milliardaires, des industriels majeurs et des scientifiques influents, un discours évidemment repris en chœur par les médias, ces chiens de garde du système :

  • Ce discours présente l’effondrement du vivant comme une potentielle catastrophe à venir pour l’économie mondiale, ce qui est totalement faux. Le système industriel n’a absolument pas besoin de la diversité biologique, il s’est au contraire développé en uniformisant le monde, biologiquement et culturellement.

  • Comme solution, il faudrait intégrer la nature à l’économie et développer une vision purement utilitariste du vivant. Convertir la nature en « capital naturel » et la réduire à des « services écosystémiques » permettraient d’empêcher de futures extinctions. C’est par exemple la vision portée par Pavan Sukhdev, un ancien banquier devenu patron du WWF International.

Ce discours a également été mis à mal par un ancien directeur des études économiques sur les écosystèmes de l’Agence de protection environnementale des États-Unis (EPA), ainsi que par le World Rainforest Movement et divers mouvements en faveur des populations tribales et paysannes du Sud global (Survival International, Oakland Institute, etc.).

Le texte de Carl Safina n’est toutefois pas exempt de toute critique :

  • Mis à part les peuples tribaux dont il mentionne l’éradication en même temps que les espèces animales, il parle de « l’humanité » comme d’un tout homogène ;

  • Il parle notamment de l’agriculture comme si elle était nuisible depuis toujours, alors qu’il existe une grande diversité de pratiques agricoles selon les sociétés humaines dont certaines sont compatibles avec des niveaux élevés de biodiversité ;

  • Il rend invisible les rapports de force à l’œuvre au sein du système industriel globalisé en employant le « nous », comme si « nous » avions tous ensemble décidé démocratiquement de la trajectoire technologique empruntée par l’humanité depuis deux siècles ;

  • Il dénonce l’agriculture de subsistance en Afrique sans mentionner le fait que les communautés traditionnelles qui la pratiquent perdent constamment des terres au profit des industries extractives (mines, agrobusiness), de l’urbanisation, de la construction d’infrastructures et d’usines (le fameux « développement durable »). Les communautés dépossédées doivent abandonner leur mode de vie traditionnel et rejoindre les bidonvilles urbains, intensifier leurs pratiques agricoles sur un espace restreint ou mettre en culture de nouveaux champs ;

  • En mettant en avant l’Endangered Species Act, Carl Safina révèle, à l’instar de nombreux environnementalistes, sa foi naïve en l’État. Conserver des zones sauvages sur son territoire est un obstacle au développement de l’État qui tire sa puissance de l’industrie et des infrastructures, c’est aussi une source d’instabilité car une zone sauvage peut servir de base arrière à une insurrection ;

  • Défendre la nature pour sa seule beauté tout en conservant le système industriel qui a mené au désastre actuel, comme le propose Carl Safina, est totalement utopique et témoigne d’une mécompréhension de la dynamique intrinsèquement expansionniste de ce système qui ravagera tout tant qu’il ne sera pas stoppé et démantelé ;

  • Carl Safina semble assez confiant sur l’avenir de l’espèce humaine et n’insiste pas assez sur le fait que les développements technologiques actuels (nanotechnologies, biotechnologies, intelligence artificielle, robotique, etc.) représentent des dangers existentiels de premier ordre (l’un des objectifs de la trajectoire technologique empruntée est l’effacement de l’humain et des systèmes vivants au profit de systèmes machiniques).


Nous n’avons pas besoin des autres espèces (par Carl Safina)

Les conservationnistes soutiennent que les humains doivent sauver les autres espèces pour se sauver eux-mêmes. La vérité est que nous pourrions survivre sans les espèces sauvages – mais elles ne peuvent pas survivre sans nous. L’argument moral en faveur de leur protection, pour la beauté que ces espèces apportent au monde, est irrésistible.

J’ai récemment visité une exposition sur les grands félins dans un musée. Un panneau sur lequel figurait un magnifique jaguar posait la question suivante : « Pourquoi devrions-nous nous soucier des félins sauvages ? » La réponse : « Parce qu’en protégeant les grands félins, nous nous protégeons nous-mêmes. »

Est-ce réellement la vérité ? Cela veut dire que les grands félins sont en danger parce que « nous » ne nous soucions pas de notre propre protection. Et s’il s’avère que nous n’avons pas vraiment besoin des jaguars pour nous protéger, perdent-ils leur raison d’être ?

Depuis des décennies, de nombreux défenseurs de l’environnement utilisent un discours tâtonnant et maladroit faisant appel à l’intérêt individuel : l’idée que les êtres humains ont besoin de la nature sauvage, des animaux sauvages, des espèces figurant sur les listes des espèces menacées. « S’ils disparaissent, nous disparaîtrons », est un refrain courant. Seul problème : c’est faux.

Nous avons conduit l’oiseau le plus répandu des Amériques – le pigeon voyageur – vers l’extinction et le grand mammifère le plus abondant – le bison d’Amérique – à l’extinction fonctionnelle [une espèce trop peu abondante n’a plus d’impact suffisant et donc n’assure plus son rôle dans l’écosystème, NdT]. Nous avons gagné : l’agriculture et la sécurité des vaches, d’un bout à l’autre de la planète. À qui manque le courlis esquimau ? Et d’ailleurs, qui sait que ces oiseaux formaient durant leurs migrations des nuées ressemblant à des volutes de fumée au-dessus des prairies aujourd’hui disparues ? Vous ne pouvez plus vivre une telle expérience, c’est terminé.

Des milliards de personnes veulent ce que vous et moi avons en échange : la santé, la richesse et l’éducation. Nous vivons aujourd’hui comme la plupart des gens sur la planète souhaitent vivre. Les gouvernements, les institutions et les gens ordinaires ont applaudi l’expansion matérielle ; et de nombreuses espèces (et les peuples tribaux) en ont payé le prix. Nous avons mis des espèces en danger, non pas parce que ce qui est mauvais pour elles l’est pour nous aussi, mais parce que le contraire est vrai : ce qui est mauvais pour la vie sauvage a alimenté une croissance explosive, le maintien des populations humaines et de leurs technologies. Nous perdons de nombreuses espèces en voulant remplir les trois seuls objectifs réels et apparents de l’humanité : plus grand, plus rapide, toujours plus. Pour propulser le mastodonte humain, il a fallu éliminer de nombreuses espèces. Les gens vivent en densité élevée dans des endroits dépourvus d’espèces sauvages et de beauté naturelle. Les êtres humains ont prospéré en détruisant la nature. Lorsque les animaux et les espaces ouverts disparaissent, nous voyons se multiplier des fermes industrielles et des usines, des terrains de sport, des centres commerciaux et des stations-service. Comment se pourrait-il que sauver telle ou telle espèce menacée ait quelque chose à voir avec le fait de nous sauver nous-mêmes ? Leur oubli a apporté le fast-food et les baskets. Dire aux gens que « nous » avons besoin des jaguars pour « nous protéger » ? C’est difficile à vendre. Nous n’en avons pas besoin.

Il n’y a pas une seule espèce dont la disparition ait causé beaucoup de désagréments à la civilisation, pas une seule espèce sauvage qui soit indispensable, moins encore dont l’éradication serait remarquée, sauf par une poignée de conservationnistes ou de scientifiques irréductibles. L’inutilité de la vie sauvage pour la société civile est la raison pour laquelle les espèces menacées n’apparaissent jamais dans les sondages parmi les grandes priorités du public. Je ne peux pas nommer une seule espèce sauvage dont la disparition totale serait matériellement ressentie par qui que ce soit (vous pouvez facilement fonctionner au quotidien sans avoir accès aux éléphants, mais si vous perdez votre téléphone pendant une journée entière, le chaos s’ensuit). Mais je peux sans effort énumérer diverses espèces, des tigres aux moustiques, dont l’anéantissement a été assidûment poursuivi. L’annihilation est facile pour Homo sapiens. Ce qui nous intéresse peu, c’est la coexistence.

J’ai vu de mes propres yeux que le rôle des éléphants en tant qu’ingénieurs des écosystèmes, qui affectent par leurs comportements tous les animaux des savanes africaines, ne compte pas du tout pour les locaux convertissant la brousse en jardins de subsistance vulnérables. Encore moins pour les entrepreneurs qui développent de grandes cultures commerciales de fleurs destinées à finir dans des vases sur les tables d’Europe. Pensez à vos espèces préférées. Les gorilles ? Les cachalots ? Les aras hyacinthes ? Les papillons bleus de Karner ? Des milliards de personnes n’y pensent jamais.

Seule une infime minorité de personnes travaille réellement avec les créatures sauvages : les écologues, biologistes de la conservation, spécialistes de la réhabilitation de la faune, fauconniers, ou même pêcheurs (bizarrement et ce n’est pas un hasard, j’ai été tout cela.) Au cours d’une journée normale, les animaux et les plantes doivent opposer une résistance ou être évincés. Dans la plupart des pays, peu de choses sauvages peuvent « fournir » aux humains quelque chose de plus précieux que leur carcasse. De nombreuses grandes espèces d’arbres américains ont disparu ou presque (orme d’Amérique, châtaignier d’Amérique, pruche du Canada, entre autres). Les frênes sont en train de disparaître et le principal souci pour l’humanité se résume à une angoisse pour le futur des battes de baseball.

Que l’on me comprenne bien : la situation est catastrophique.

Il est bien sûr vrai que les choses qui sont mauvaises pour la nature dans son ensemble – dégradation des terres et des sols, pollution de l’eau et de l’air – sont mauvaises pour les gens, ultimement. Un effondrement total des systèmes vivants entraînerait un effondrement des économies humaines, et tout porte à croire que ce sera le cas. Mais « ultimement », c’est une destination lointaine, qui sera atteint bien après que nous ayons perdu tous les grands animaux, les terres sauvages, les habitats océaniques viables et la beauté vivante du monde. Le mastodonte humain peut sans risque continuer à balayer les rhinocéros, les perroquets, les éléphants, les lions et les singes. Les espèces les plus charismatiques se trouvent toutes à un niveau historiquement bas ou proche de ce niveau, et les humains à un niveau historiquement élevé. Ce sont les deux faces d’une même pièce. Prétendre que l’homme dépend de la nature sauvage est bien gentil, mais la dépendance à l’égard de la nature sauvage a pris fin et s’est mal terminée il y a de cela des générations. Ce qui fait vivre la plupart des gens, c’est l’agriculture, la déforestation, le pompage et l’exploitation minière.

À terme, lorsque les sols seront épuisés et qu’il n’y aura plus d’eau sur une planète surchauffée, il pourrait y avoir des comptes à rendre. Il est assez facile d’entendre les grondements qui sonnent comme autant d’avertissements. Mais même les récents ouragans et les incendies laissant des communautés apparemment sans espoir de rétablissement n’ont pas ébranlé les personnes dans le déni. Dans ce pays, le mépris du gouvernement pour les milieux naturels et les espèces, et l’apathie des autorités concernant les effets de la dégradation de l’environnement sur la santé humaine, se situent à des niveaux records. Et l’opposition à ce retour en arrière reste trop faible ; la plupart des gens ne se sentent pas concernés. La majorité de la nature sauvage pourrait disparaître bien avant que l’espèce humaine ne soit menacée.

Les services naturels dont les humains ont réellement besoin pour conserver la vie moderne proviennent des micro-organismes décomposeurs, de quelques insectes pollinisateurs, du plancton réalisant la photosynthèse dans les océans et de choses non vivantes comme l’eau et l’atmosphère. À terme, nous pourrions bien simplifier le monde pour le limiter à l’essentiel, et il pourra supporter des milliards de personnes supplémentaires. En effet, c’est la seule manière d’y parvenir.

Quel monde sinistre ce sera lorsque nous en serons réduits à ce dont les humains ont besoin. Cela montre que le besoin humain est une très mauvaise mesure pour évaluer l’existence des êtres vivants. Si vous demandez aux créatures vivantes de justifier leur existence en termes de besoins humains ; elles perdent.

Alors, quelle perspective cela nous laisse-t-il ? La loi que l’on a appelée l’étalon-or de la protection des espèces, l’U.S. Endangered Species Act, ne commence à s’intéresser à la chose qu’après qu’une espèce, considérée isolément, soit déjà dans une situation désastreuse. Elle fixe alors un plancher, mesurant le succès à la simple existence de l’espèce. Une loi plus judicieuse viserait un seuil ambitieux de populations robustes et résilientes réparties sur de vastes étendues intactes et productives de terres et d’eau.

Pourtant, lorsqu’il est appliqué en toute bonne foi, l’U.S. Endangered Species Act fonctionne. Il fonctionne pour une raison que de nombreux environnementalistes ont oubliée, une raison à laquelle la plupart des gens ordinaires ne pensent jamais et que la plupart des politiciens sont incapables d’apprendre : il fonctionne parce qu’il ne demande pas à une espèce de prouver son utilité, ce à quoi elle est bonne ou à combien s’élève sa valeur financière. Cette loi ne dit pas que nous avons besoin de la vie sauvage. Elle reconnaît que nous lui faisons du mal. Dans les premières lignes, « Le Congrès constate et déclare que diverses espèces de poissons, d’animaux sauvages et de plantes aux États-Unis ont disparu en raison de la croissance économique et du développement ». Le texte dit que les plans de rétablissement doivent « donner la priorité en particulier aux… espèces qui sont, ou peuvent être en conflit avec la construction ou d’autres projets de développement ou d’autres formes d’activité économique ».

Pourtant, de nombreux conservationnistes continuent d’essayer de faire valoir le piètre argument selon lequel nous avons besoin des espèces en danger. Et parce que l’argument est faux, il peut être contre-productif et servir les intérêts de personnes qui ne s’en soucient tout simplement pas. « Prouvez-moi que j’ai besoin d’un escargot ou d’une baleine en voie de disparition. » Vous ne pouvez pas le prouver.

Heureusement, vous n’avez pas à le faire. Le texte de loi a été instauré par le Congrès il y a des décennies au nom de tous les Américains, en faveur de ce qui nous tient à cœur, vous et moi. L’Endangered Species Act ne prétend pas que notre existence dépend des espèces sauvages. Il dit que nous, le peuple, ne laissons pas les espèces s’éteindre, que c’est ce que nous sommes. Ce n’est pas une question d’utilité, mais de moralité. La question morale relative à la préservation ou à la disparition des espèces est déjà bien établie – l’extinction, c’est mal. Les conservationnistes et les amoureux de la nature ne devraient pas s’emparer de cela pour essayer de montrer que la nature peut et doit nous servir. La loi dit que nous devons servir la nature. Et il y a du pain sur la planche.

Bien sûr, la force des lois dépend du soutien dont elles bénéficient. Les conservationnistes ne doivent pas seulement se rappeler que la loi guide la politique sur la base d’un principe moral ; ils doivent continuer à défendre largement ce principe moral sous-jacent. Lorsque les gens disent : « À quoi servent ces espèces ? Elles encombrent la route ! », la conservation a besoin d’un argument plus fort que l’appel à l’intérêt individuel. L’intérêt égoïste a déjà été pris en compte et la nature a perdu. Les palmiers à huile rapportent de l’argent, pas les orangs-outans. Nous n’avons pas besoin des orangs-outans pour « nous protéger ». Les orangs-outans ont besoin de nous pour assurer leur protection.

Mais quelle est la meilleure façon de défendre la vie sur Terre ?

Les humains se considèrent comme l’espèce la plus morale. Une espèce morale a des obligations morales. Malgré la logique du capitalisme centrée autour de l’intérêt individuel, les religions continuent d’affirmer la primauté du bien et du mal. Il se peut que pour notre espèce sociale, la seule chose capable de résister au pur intérêt personnel soit la persuasion morale. Mais les religions ont sous-estimé – et même dédaigné – de considérer le monde physique comme sacré. Sur cette planète où les astrobiologistes ne détectent aucune autre vie dans la galaxie, la rareté et peut-être même l’unicité de la vie dans l’univers font de la Terre un lieu sacré. Toute la signification connue de l’univers est générée ici, car c’est la seule planète vivante.

Bien que la nature sauvage ne soit pas nécessaire à la survie des humains, elle est nécessaire à leur dignité. Certains des plus sinistres endroits où vivent des humains le sont parce que la nature a été ravagée. Les gens peuvent perdre leur dignité de diverses manières, y compris avec des gouvernements oppressifs. Mais un environnement oppressif suffit.

Passons des « espèces menacées » à une vue d’ensemble. Une multitude d’espèces sauvages évoluant dans des endroits sauvages fixent la beauté à la surface de cette planète. Voici la vérité : les espèces sauvages créent et vivent dans les derniers lieux magnifiques qui subsistent. À mesure que les animaux sauvages disparaissent, c’est la beauté du monde qui se volatilise. Gagner la guerre contre la nature en poursuivant une vie matérielle en accélération constante anéantit la beauté qui fait que la vie vaut la peine d’être vécue.

Ce n’est pas négligeable. C’est la chose la plus fondamentale sur Terre.

L’écologie – les relations et dépendances entre espèces vivantes – est peut-être le seul concept qui offre une marge de manœuvre suffisante pour un avenir digne d’être vécu. L’écologie peut être symbolisée par un concept plus trivial : la beauté naturelle. Chacun de nos sens nous informe sur ce qui est bon ou mauvais. Notre odorat a évolué pour sentir de manière agréable les choses bonnes pour nous et ce qui peut nous nuire émet généralement une odeur putride. Notre esprit a développé la capacité de combiner tous nos sens en un seul détecteur complet pour distinguer ce qui est bon dans le monde. Et ce sens englobant les autres, nous l’appelons « beauté ». Au fur et à mesure que la beauté du monde s’épuise, nous devenons à terme moins humains, et le processus est déjà enclenché.

La beauté est le seul critère qui reflète le mieux nos préoccupations et nos espoirs les plus profonds. La beauté inclut l’existence prolongée des êtres vivants libres, de l’adaptation et de la dignité humaine. En réalité, la beauté renseigne sur la présence des choses qui comptent pour nous.

Si, comme cela semble se profiler à l’horizon, l’espèce humaine doit faire face à un retour de bâton, c’est parce que nous avons demandé à la vie de nous prouver sa valeur face à toujours plus de champs de maïs et de soldes. Nous n’avons pas été capables d’entendre la vraie réponse. Cet événement se produira parce que nous n’avons pas considéré ce miracle planétaire comme quelque chose de sacré.

Les espèces menacées et autres créatures sauvages présentes dans les derniers endroits encore préservés ont besoin que nous prenions soin d’elles, non pas de manière égoïste mais de manière désintéressée. Pour leur bien, le bien de toute chose et de tous ceux qui se différencient de nous, pour la beauté et tout ce qu’elle implique. Quand nous lançons nos appels habituels au pragmatisme, voici l’argument que nous ne pouvons pas nous permettre d’ignorer, celui qui doit fréquemment être sur nos lèvres : nous vivons un miracle sacré. Nous devons agir en conséquence.

En attendant, certaines nouvelles sont bonnes. Ces dernières semaines, la paruline de Kirtland, une espèce en voie de disparition depuis longtemps, a été retirée de la liste des espèces menacées. Cela n’est pas arrivé parce que nous en avions besoin. Cela s’est produit parce que la loi sur les espèces menacées d’extinction a déterminé que lorsque les espèces ont besoin de nous, nous devons leur venir en aide. L’U.S. Fish and Wildlife Service a annoncé que ce résultat a été obtenu parce que « la paruline de Kirtland a bien répondu à la gestion active au cours des 50 dernières années ». Avant la loi sur les espèces menacées, l’espèce ne comptait plus que 200 mâles chanteurs. La population a plus que décuplé, non pas parce que nous avions besoin de la paruline de Kirtland, mais parce que nous avons compris que la paruline de Kirtland avait besoin de nous. Nous avons compris notre responsabilité morale et notre engagement à garder un petit oiseau dans le monde avec nous. Beaucoup diraient que la paruline n’a pas d’importance pour nous. Mais les personnes qui ont eu gain de cause au nom de l’oiseau sont celles qui ont argumenté et agi en partant du principe que nous étions importants pour la paruline. Rien d’autre n’aurait pu fonctionner.

Carl Safina

Traduction et commentaire : Philippe Oberlé


  1. https://www.lemonde.fr/planete/article/2022/12/19/cop15-a-montreal-des-engagements-historiques-pour-la-biodiversite_6155018_3244.html

  2. https://e360.yale.edu/features/the-real-case-for-saving-species-we-dont-need-them-but-they-need-us

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