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Discours anti-élevage, mensonges verts et impérialisme

« S’étendant sur les terres arides de l’Afrique, de l’Ouest sahélien jusqu’aux pâturages de l’Afrique de l’Est et de la Corne de l’Afrique ainsi qu’aux populations nomades de l’Afrique australe, le pastoralisme est le principal mode de subsistance pour environ 268 millions de personnes. C’est l’une des options de subsistance les plus viables, et parfois la seule convenable dans les zones arides. Il contribue énormément au bien-être social, environnemental et économique dans les zones arides et au-delà. Le pastoralisme possède une capacité unique à créer de la valeur et convertir des ressources naturelles disponibles en quantités limitées, en viande, lait, revenus et moyens de subsistance[1]. »

– Organisation des Nations Unies pour l’alimentation et l’agriculture (FAO), rapport « Pastoralism in Africa’s drylands », 2018.

D’après les écologistes influents, pour la plupart des Occidentaux blancs et privilégiés, l’élevage extensif sous toutes ses formes serait au moins aussi nuisible pour le climat et l’environnement que l’élevage industriel. Il s’agirait là d’une vérité scientifique incontestable. Pourtant, un rapport publié en 2021 montre que les études sur les émissions de gaz à effet de serre (GES) des systèmes alimentaires se basent sur des données provenant presque exclusivement des pays industrialisés du Nord. Si les Occidentaux cessaient de se regarder le nombril, ils apprendraient par exemple que 268 millions de personnes vivent du pastoralisme en Afrique[2], l’une des régions les plus « décarbonées » où l’on consomme le moins de viande dans le monde. Comment expliquer cette réalité qui contredit le discours niais et simpliste sur l’élevage prêché par les escrocs de l’écologie ?

Le rapport « Are livestock always bad for the planet ? – Rethinking the protein transition and climate change debate », dont vous trouverez plusieurs extraits traduits ci-dessous, apporte des éléments de réponse. Rédigés dans le cadre du programme PASTRES (Pastoralism, Uncertainty, Resilience : Global Lessons from the Margins) par Ella Houzer et Ian Scoones de l’université du Sussex, ces travaux sont financés par le Conseil européen de la recherche.

Avant de poursuivre, il faut d’abord rappeler aux Occidentaux, aliénés par deux siècles de développement technologique et des relations de plus en plus intimes avec des machines, ce qu’est le pastoralisme, un mode de vie en étroite relation avec des humains et des créatures vivantes :

« Les pasteurs sont des éleveurs de bétail qui gèrent et s’occupent de bovins, chèvres, moutons, chameaux, lamas, yaks, rennes et d’autres animaux sur de vastes territoires couvrant plus de la moitié de la surface terrestre de la planète (ILRI 2021). Les moyens de subsistance de millions de personnes dépendent de l’élevage extensif dans ces environnements aux conditions très variables où il n’existe pas d’alternatives. Il s’agit notamment de savanes sèches, de prairies partiellement boisées, de déserts, de steppes, de toundra arctique, de collines et de plaines méditerranéennes ou de montagnes dans de nombreuses régions du monde. On trouve des pasteurs sur tous les continents (à l’exception de l’Antarctique), des terres arides de l’Afrique subsaharienne au cercle polaire arctique, et ils sont des fournisseurs essentiels de protéines animales pour des régimes alimentaires nutritifs (figure 1). Menant leurs troupeaux avec soin et habileté, les pasteurs utilisent les paysages par le biais de différentes formes de mobilité, tirant le meilleur parti de l’instabilité et de l’incertitude (Krätli 2015 ; Manzano et al. 2021 ; Scoones 2021). Aux côtés des petits éleveurs, qui s’intègrent davantage dans les systèmes agricoles mais utilisent toujours des zones étendues, les pasteurs contribuent de manière significative à la nutrition humaine, en fournissant des protéines animales de haute densité à des populations souvent pauvres et marginalisées (UN Nutrition et Iannotti 2021). »

Village Maasaï près d’Arusha, Tanzanie.
Éleveuse de yaks de la région d’Amdo, Tibet.
En Chine, une éleveuse nomade nommée Aijamal surveille les moutons de sa famille en route vers les pâturages d’hiver. (Source : New York Times)

Le rapport PASTRES montre que les données utilisées pour analyser les émissions de GES des systèmes de production alimentaires proviennent presque exclusivement des pays industrialisés occidentaux. Houzer et Scoones ont identifié « neuf rapports clés publiés entre 2006 et 2020 qui ont été particulièrement influents dans les débats sur l’élevage, le changement climatique et le futur de l’alimentation ». Parmi les organisations à l’origine de ces papiers aux données largement reprises par les médias de masse et les influenceurs, on trouve l’ONG Greenpeace, le GIEC (IPCC en anglais), EAT-Lancet Comission, Chatham House (« l’un des think tanks les plus influents du monde[3] » d’après le journal Les Echos), le World Resources Institute (un autre think tank très influent qui reçoit des financements du Bezos Earth Fund du milliardaire Jeff Bezos[4]) ou encore les Nations Unies (FAO).

Sans jamais questionner ces sources d’autorité, journalistes, influenceurs et activistes martèlent les chiffres avancés dans ces papiers. Pourtant, auteurs et universitaires ayant disséqué les médias de masse et l’industrie du divertissement ne manquent pas. Que ce soit aux États-Unis avec le linguiste du MIT Noam Chomsky et l’économiste Edward S. Herman, ou en France avec Jacques Ellul ou Guy Debord, tous ont diagnostiqué les médias de masse comme étant, au plan structurel, un système de propagande.

« Depuis la publication de l’influent rapport Livestock’s Long Shadow (Steinfeld et al. 2006) de l’Organisation des Nations unies pour l’alimentation et l’agriculture (FAO), qui faisait office d’appel à l’action en soulignant les conséquences environnementales importantes de l’élevage, partout dans le monde les regards se sont tournés vers ce secteur. Ce rapport marquant révèle que le secteur de l’élevage “apparaît comme l’un des deux ou trois principaux contributeurs aux problèmes environnementaux les plus graves, à toutes les échelles, du local au global” (Steinfeld et al. 2006). Malgré les multiples critiques de la méthodologie employée et des conclusions du rapport (par exemple, voir Pitesky et al. 2009 ; Glatzle 2014), cette position stimule depuis l’inquiétude croissante du public au sujet de l’impact climatique des aliments d’origine animale. Universitaires, associations et ONG menant campagne, organisations commerciales, journalistes et activistes environnementaux, y compris des personnalités de premier plan telles que Bill Gates, Greta Thunberg et David Attenborough, tous dénoncent les nuisances des produits d’origine animale. Changer de régime alimentaire pour sauver la planète est devenu un cri de ralliement pour tout ce monde, des activistes environnementaux promouvant le véganisme aux entreprises de haute technologie proposant des alternatives protéiniques à faible teneur en carbone. Malgré les tentatives pour nuancer les évaluations, cela a abouti au récit actuel qui présente le secteur de l’élevage comme l’un des principaux responsables de la catastrophe climatique mondiale. »

Chose intéressante, la FAO prétend dans un premier rapport que l’élevage est une catastrophe environnementale puis, quelques années plus tard, publie un autre rapport – « Pastoralism in Africa’s drylands » – sur les bienfaits socioécologiques du pastoralisme en Afrique qui fait vivre 268 millions de personnes sur le continent (voir citation en début d’article). Les incohérences et les absurdités de la bureaucratie mondiale sont malheureusement la règle et non l’exception.

Les Nenets, peuple autochtone de Sibérie, vivent traditionnellement de l’élevage de rennes.

Selon Houzer et Scoones du PASTRES, les conclusions tirées des études alertant sur les émissions de GES des systèmes d’élevage posent de sérieux problèmes. Leur papier fait l’examen critique d’un large spectre de la littérature scientifique sur l’élevage, le changement climatique et l’alimentation humaine. Trois constats importants y sont faits :

« Les discours actuels sur l’élevage, l’alimentation et le changement climatique s’appuient sur un ensemble limité de données, et plus particulièrement sur les pratiques de l’agriculture intensive et industrielle. Il en résulte des hypothèses problématiques qui influencent de manière significative les résultats et donc les recommandations. »

« Le pastoralisme et d’autres systèmes d’élevage à faible niveau d’intrants (impliquant une utilisation extensive des zones de pâturage avec peu d’intrants externes et parfois la mobilité des troupeaux) ont un impact plus faible sur le climat, la biodiversité et l’eau que ne le suggère le discours actuel, et peuvent être très bénéfiques pour l’environnement. »

« En recadrant le débat et en tenant compte des différents systèmes, il est possible de tracer une autre voie en prenant en compte l’importance des systèmes d’élevage durables et à faible impact dans les efforts d’atténuation du climat. Par rapport à l’élevage industriel et confiné, ceux-ci peuvent offrir des bénéfices plus larges en termes de moyens de subsistance et de préservation des écosystèmes. »

Le rapport PASTRES décrypte en détail les biais et autres limitations de la méthodologie couramment employée pour évaluer les émissions de l’élevage. Les travaux scientifiques qui s’intéressent aux systèmes alimentaires utilisent la méthodologie LCA pour life cycle assessment (« analyse du cycle de vie » ou ACV) :

« La force motrice derrière le récit dominant et les affirmations qui y sont faites réside dans la méthodologie de l’analyse du cycle de vie (ACV), parfois étayée par des inventaires d’émissions standardisés. Les ACV constituent un cadre largement utilisé pour calculer les impacts environnementaux des produits, des processus et des services tout au long de leur cycle de vie (Hallström et al. 2015), y compris dans les systèmes de production alimentaire (Clark et Tilman 2017). La majorité des études sur l’impact climatique de différents aliments et régimes alimentaires adoptent cette méthodologie, et les rapports influents cités précédemment s’inspirent tous de telles études. »

Comme vu plus haut, le narratif dominant sur l’élevage repose sur des données qui ne sont pas du tout représentatives de l’immense diversité des pratiques d’élevage dans le monde, ni de la distribution internationale des animaux d’élevage.

« Les études “globales” ACV (qui utilisent fréquemment des données très sélectives) ont donc exercé une influence considérable sur la façon dont la soutenabilité écologique et climatique est perçue (Manzano et White 2019).

Pour la plupart, ces études s’appuient sur des données provenant de pays à revenu élevé, où les systèmes agricoles sont les plus industrialisés (Paul et al. 2020). Par exemple, dans la littérature relative à l’élevage publiée entre 1945 et 2018, seuls 12,7 % couvrent l’Afrique, alors que le continent abrite respectivement 20 %, 27 % et 32 % des populations mondiales de bovins, d’ovins et de caprins (Gilbert et al. 2018 ; Paul et al. 2020). Il y a par conséquent un manque notable de perspectives sur les pays à revenu faible et moyen dans la littérature, et un manque de données collectées dans ces pays.

La méta-analyse de Clark et Tilman (2017) comprenait 164 analyses de système de production alimentaire, dont la majorité provenait d’Europe, d’Amérique du Nord, d’Australie et de Nouvelle-Zélande. Seulement 0,4 % de ces systèmes alimentaires se situaient en Afrique (Clark et Tilman 2017 ; figure 2). De même, une revue d’Aleksandrowicz et al. (2016) a porté sur 210 scénarios alimentaires : 204 provenant de pays à revenu élevé, un provenant d’un pays à revenu intermédiaire et cinq modèles alimentaires mondiaux. Aucun des scénarios examinés n’était exclusivement issu du contexte d’un pays à faible revenu. »

Une des études ACV couramment citées couvre principalement les systèmes alimentaires industrialisés en Occident.

En ignorant l’Afrique, les études ACV sur les systèmes alimentaires ne sont absolument pas représentatives de l’élevage dans le monde.
Consommation de viande dans le monde. L’imaginaire étriqué de l’écologiste décarboneur peine à concevoir que l’on puisse élever du bétail et consommer peu de viande. C’est pourtant le cas pour de nombreux peuples traditionnels, à l’image des Maasaï ou des Peuls en Afrique qui consomment peu de viande par choix, par rapport à leurs idées et leurs traditions, et non par contrainte.

Une fois de plus, la diversité culturelle humaine est méprisée et ignorée afin d’imposer un modèle alimentaire unique à travers tous les continents, une uniformisation culturelle intrinsèque au fonctionnement des Empires. La civilisation industrielle ne déroge pas à la règle. Il faut rappeler ici qu’impérialisme et colonialisme forment les moteurs du Progrès de la civilisation occidentale devenue industrielle. Rien n’a changé en 500 ans, cette mécanique s’est accélérée et accélère encore comme on peut le lire régulièrement en suivant l’ONG Survival International, le Mouvement Mondial pour les Forêts Tropicales (WRM) ou encore l’Oakland Institute.

Utilisée par Our World in Data (un site financé en partie par la Bill & Melinda Gates Foundation et la milliardaire allemande Suzanne Klatten, héritière de l’empire BMW[5]), une étude particulièrement influente est celle de Poore et Nemecek parue en 2018 dans le prestigieux journal Science. Elle se base sur 38 700 fermes et 1 600 transformateurs dans 119 pays, et conclut qu’« exclure les aliments d’origine animale pourrait modifier l’utilisation des terres sur 3,1 milliards d’hectares (ce qui équivaut à une réduction de 19 % des terres arables) et réduire les émissions de GES de 49 %, l’acidification de 50 % et l’eutrophisation de 49 % [l’eutrophisation est la pollution en milieu aquatique par un excès de matière nutritive (phosphore, azote) contribuant à la prolifération d’algues[6]]. » Or cette étude tient compte uniquement de systèmes d’élevage « commercialement viables » et « en conséquence pour la plupart industrialisés », et majoritairement localisés en Europe, Amérique du Nord, Australie, Brésil et Chine. Poore et Nemecek ont ensuite appliqué des « facteurs de pondération à l’intérieur des pays et entre pays. » L’étude prend en compte les émissions du cycle de vie « de la production à la distribution, sans prendre en considération la séquestration ni les autres bénéfices environnementaux. » Les scientifiques eux-mêmes admettent régulièrement que leurs travaux reposent sur des « ensembles d’hypothèses » et présentent des « limitations incontournables », mais ces précisions pourtant essentielles restent « souvent enfouies dans les notes de bas de page et les documents annexes ». Évidemment, les journalistes se gardent bien d’examiner ces détails, ou n’ont tout simplement pas le temps de le faire.

Un autre biais avec les ACV sur l’élevage provient de l’absence de distinction entre émissions directes et émissions indirectes (le transport par exemple). Le chiffre largement relayé de 14,5 % des émissions globales de GES liées à l’élevage comptabilise les émissions indirectes, mais les seules émissions directes ne s’élèvent qu’à 5 %. Les émissions directes des systèmes d’élevage extensif, peu intensif en inputs (c’est-à-dire en facteurs de production, notamment matières premières, énergie, main-d’œuvre), sont probablement encore moins élevées que celles provenant des estimations des ACV à l’échelle globale si la séquestration du carbone ainsi que d’autres éléments étaient pris en compte. Parallèlement, les systèmes pastoraux traditionnels présentent généralement un faible niveau d’émissions indirectes en raison d’une dépendance limitée au transport, aux infrastructures et aux importations de fourrage pour les animaux. Prenons l’exemple d’un pays industrialisé où, nous dit-on, le Progrès aurait fait des merveilles depuis la première révolution industrielle. L’ingénieur polytechnicien Jean-Marc Jancovici indiquait par exemple dans un article datant de 2013 qu’en France « les transports ne consomment quasiment que du pétrole ! » et que « le secteur agricole de notre pays utilise beaucoup de pétrole, et un peu d’électricité[7]. » Il en va tout autrement pour des éleveurs traditionnels de rennes de Sibérie ou des pasteurs nomades Peuls d’Afrique de l’Ouest qui vivent encore largement en dehors des systèmes industriels, monétaires et marchands.

Les pasteurs-nomades africains coexistent depuis 7 000 ans avec la grande faune du continent, partageant prairies et itinéraires de migration avec les herbivores sauvages.
Répartition mondiale du pastoralisme qui fait vivre des centaines de millions d’hommes, de femmes et d’enfants.

Le rapport PASTRES dénonce les « dangers de l’agrégation et de la généralisation » intrinsèques aux « évaluations globales ». On retrouve ici un problème caractéristique de la gestion bureaucratique des affaires humaines et de l’environnement longuement et brillamment disséqué dans L’œil de l’État : Moderniser, uniformiser, détruire (1998) par James C. Scott, professeur d’anthropologie et de sciences politiques à l’université Yale (Lire un extrait ici : « La grande simplification de la forêt en une machine à marchandise unique »).

De plus, il est dit que les experts priorisent différemment les questions environnementales selon les régions et les systèmes de production alimentaires. En Afrique, c’est d’abord la dégradation des sols, suivie de l’utilisation des terres, et en dernier lieu les émissions de GES. En Europe, ce sont les émissions de GES qui retiennent majoritairement l’attention.

Le PASTRES insiste sur un point crucial : le narratif impérialiste de l’écologisme médiatique sur l’élevage menace la subsistance de plus d’un milliard de personnes qui vivent dans des zones où le pastoralisme est le seul mode de vie permettant de vivre dignement.

« L’accent mis par les études ACV sur les pays à revenu élevé signifie que la contribution significative de l’élevage à la soutenabilité écologique par le biais des moyens de subsistance, en particulier dans le Sud global, est souvent ignorée. L’élevage sert de base aux moyens de subsistance d’au moins 1,3 milliard de ménages ruraux pauvres (Herrero et Thornton 2013 ; Garnett et al. 2017) en fournissant alimentation, revenus, provision d’actifs, assurance et cycle des nutriments (Herrero et al. 2009 ; Mehrabi et al. 2020 ; Paul et al. 2020). Une enquête menée dans 13 pays à faible revenu d’Asie, d’Amérique latine et d’Afrique a révélé que le bétail fournissait 10 à 20 % du revenu rural moyen dans chacune des trois catégories de revenus les plus faibles sur cinq (Pica-Ciamarra et al. 2011). »

La destruction des cultures pastorales pourrait avoir des conséquences humanitaires désastreuses :

« Ignorer la complexité des systèmes d’élevage dans de tels environnements menace non seulement la survie du pastoralisme, mais contribue à l’érosion de valeurs et de connaissances culturelles qui sont particulièrement pertinentes pour l’adaptation au changement climatique (Herrero et al. 2009 ; Mehrabi et al. 2020).

D’un point de vue nutritionnel, les recommandations visant à passer à un régime alimentaire à base de plantes, fondées sur les perspectives des pays à revenu élevé, peuvent avoir un impact négatif sur l’appréciation globale des aliments d’origine animale dans le régime alimentaire de ceux qui ont du mal à accéder aux nutriments essentiels (Adesogan et al. 2020). L’accent mis sur les “protéines” agrégées plutôt que sur les acides aminés essentiels peut donner une image déformée (Moughan 2021).

Pour les populations vulnérables, les aliments d’origine animale sont indispensables pour se nourrir correctement, réduire les retards de croissance, le gaspillage et contribuer à l’amélioration de la santé cognitive, notamment au cours des premiers mois de la vie (Alonso et al. 2019 ; Adesogan et al. 2020 ; Mehrabi et al. 2020). Les aliments d’origine animale peuvent être particulièrement importants dans certains environnements, comme en haute altitude et dans les climats froids (Guo et al. 2014).

[…]

Par conséquent, des réductions importantes des aliments d’origine animale appliquées dans le monde entier produiraient de très fortes inégalités. Les impacts seraient ressentis de manière disproportionnée par les populations rurales à faible revenu dans les pays à revenu faible et intermédiaire (Searchinger et al. 2019 ; Nordhagen et al. 2020). »

Jeune cavalière Mongol.

Dans son rapport sur le pastoralisme en Afrique, la FAO remarque que :

« Les produits d’origine animale – tels que le lait, la viande et le sang – constituent la source d’alimentation essentielle des pasteurs pour un régime sain et une bonne nutrition. Les aliments d’origine animale présentent un profil de macro et de micro-nutriments de grande valeur et une haute qualité protéique. Il existe finalement des preuves convaincantes que les protéines laitières ont des effets stimulants spécifiques sur la croissance linéaire. Elles sont également efficaces pour favoriser la prise de poids chez les enfants souffrant de malnutrition (Michaelsen, 2013 ; Hoppe, Mølgaard et Michaelsen, 2006 ; Hoppe et al., 2008). Michaelsen et al. (2009) suggèrent que 25 % à 33 % de la teneur en protéines des aliments à donner à un enfant souffrant de malnutrition devraient provenir de protéines laitières.

De nombreux chercheurs ont documenté le rôle du lait et d’autres produits animaux dans l’alimentation des communautés pastorales, en particulier des enfants et des femmes enceintes ou allaitantes. Dans certaines communautés pastorales, les enfants tirent jusqu’à deux tiers de leur apport énergétique quotidien du lait (Sadler et al., 2012 ; Sellen, 1996 ; Galvin, 1992). Dans des pays comme le Soudan du Sud, les enfants, les mères allaitantes et les femmes enceintes dépendent du lait comme principale source de nutrition[8]. »

Ici, les écologistes décarboneurs, qui pour la plupart ne s’intéressent pas à la dynamique sous-jacente du système technologique (et donc n’y comprennent pas grand-chose), rétorqueront peut-être que leurs attaques contre l’élevage ne s’adressent pas aux populations rurales des pays pauvres. Mais croire que ce discours véhément ne menace pas les sociétés pastorales traditionnelles est extrêmement naïf. Le système technologique nourrit son expansion en détruisant modes de vies, techniques artisanales de production, de chasse et autres pratiques paysannes – en d’autres termes les cultures – permettant l’autonomie énergétique, matérielle, alimentaire et politique. Le système rend par exemple dépendants à l’électricité des gens qui s’en passaient très bien durant des siècles. « Nous ne pouvons pas nous permettre de laisser un milliard de personnes sans accès à l’énergie, parce qu’ils restent en dehors du marché[9] ! », scandait avec une arrogance extrême, lors d’une conférence face au secteur privé, l’ancienne secrétaire exécutive de la Convention-cadre des Nations Unies sur le changement climatique (de 2010 à 2016). Christiana Figueres a depuis rejoint la « B Team » du milliardaire Richard Branson[10]. De nos jours encore, des peuples luttent à mort contre le développement, le Progrès, à l’image des peuples autochtones de Colombie qui se battent « pour ne pas avoir de routes ou d’électricité – cette forme d’auto-destruction qui est appelée “développement” c’est précisément ce que nous essayons d’éviter[11]. »

Le narratif progressiste anti-élevage est animé par la même logique impérialiste/suprémaciste et, comme d’habitude, il bénéficiera en premier lieu aux industriels. Poser la question « comment nourrir 8 milliards d’humains », qui entre parenthèses n’intéresse que les Occidentaux (un berger Maasaï se moque de savoir comment nourrir les Européens ou les États-Uniens) qui reproduisent inconsciemment la pensée colonialiste, revient à se demander comment rendre homogène le régime alimentaire de 8 milliards de personnes. C’est du pain béni pour le développement industriel. Il est fascinant de constater à quel point les écologistes du Mouvement Climat, avec leurs gesticulations sur l’élevage, le nucléaire ou les énergies renouvelables, sont devenus les meilleurs alliés de l’industrialisme à l’origine de la destruction de la biosphère. L’industrie agroalimentaire, « la plus importante industrie au monde[12] » selon le magazine Forbes, se frotte les mains.

Stephen Corry, ancien directeur de Survival International, une ONG de défense des minorités autochtones, expliquait dans une tribune parue fin 2021 dans le média panafricain The Elephant que la diabolisation de l’élevage va accélérer la ruine des peuples premiers qui, faut-il encore le rappeler, abritent sur leurs terres 80 % de la biodiversité mondiale[13].

« L’opposition à l’élevage fait désormais partie de l’activisme climatique. Le véganisme se développe, en particulier chez les Occidentaux aisés, et des milliards de dollars sont destinés aux industriels occidentaux de la “viande et des produits laitiers sans animaux”. Cela aura pour conséquence de contraindre encore plus de personnes à quitter leurs terres et à renoncer à l’autosuffisance. Cela va engranger plus de profits pour les entreprises et leur donner davantage de pouvoir. Et cela n’aura probablement que peu voire aucun impact positif sur l’environnement[14]. »

« Plus de 700 Maasai se sont réunis dans le village d’Oloirobi le 13 février 2022 pour prier contre leur expulsion imminente de leurs terres ancestrales. » (source : Oakland Institute) Au Kenya, en Tanzanie et dans d’autres régions d’Afrique, les sociétés pastorales sont persécutées depuis des décennies pour faire place à l’industrie des safaris touristiques.

Pour terminer, il serait hypocrite de nier que le pastoralisme peut dégrader l’environnement, mais dans certaines conditions seulement. Il convient de prendre du recul et d’analyser l’évolution historique, le développement des États, de la propriété privée ou encore de l’économie marchande. Avec l’accroissement des pressions qui résultent du développement technologique, étatique, extractiviste, démographique et marchand, les sociétés pastorales sont prises dans un étau. Les savoirs traditionnels se perdent, l’État et le secteur privé s’approprient les biens communs (prairies, montagnes, rivières, forêts), certains éleveurs intensifient leurs pratiques pour s’enrichir, ou l’élevage s’intensifie mécaniquement par manque de terres. S’en suivent des conflits violents, des dégradations environnementales et des extinctions culturelles. D’après la FAO, le pastoralisme existe depuis 7 000 ans en Afrique, il a donc parfaitement fait ses preuves comme mode de subsistance écologiquement soutenable. A contrario, on observe un peu partout dans le monde que l’uniformisation culturelle, le développement – le remplacement des sociétés traditionnelles par la société technologique – conduit systématiquement à des désastres sociaux et environnementaux.

Philippe Oberlé


  1. https://www.fao.org/documents/card/fr/c/CA1312EN/

  2. Ibid.

  3. https://www.lesechos.fr/weekend/business-story/chatham-house-le-club-de-lelite-anti-brexit-1211818

  4. https://www.wri.org/news/release-gift-bezos-earth-fund-will-support-two-major-climate-initiatives-wri

  5. https://ourworldindata.org/funding

  6. https://www.cnrs.fr/cw/dossiers/doseau/decouv/ecosys/eutrophisat.html

  7. https://jancovici.com/transition-energetique/l-energie-et-nous/combien-suis-je-un-esclavagiste/

  8. Ibid.

  9. https://youtu.be/igEVbV586Ww

  10. https://bteam.org/who-we-are/leaders

  11. https://www.partage-le.com/2016/07/18/nous-nous-battons-pour-ne-pas-avoir-de-routes-ou-lelectricite-ati-quigua/

  12. https://www.forbes.com/2007/11/11/growth-agriculture-business-forbeslife-food07-cx_sm_1113bigfood.html

  13. https://www.worldbank.org/en/topic/indigenouspeoples#1

  14. https://www.theelephant.info/long-reads/2021/12/10/scapegoats-and-holy-cows-climate-activism-and-livestock/

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