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Le végétarisme ne sauvera pas l’Amazonie de la déforestation

« La meilleure chose que vous pourriez faire pour l’Amazonie est de faire sauter toutes les routes. »[1]

 – Eneas Salati, climatologue brésilien

Dernière émanation de la nuisance progressiste, le végétarisme est en vogue. D’abord promu pour défendre le bien-être animal, les éco-capitalistes présentent de plus en plus le régime végétarien comme l’action individuelle la plus significative en faveur de la planète. Il s’agit d’une énième version de la fable du consommateur, de la firme et du marché, dans laquelle le premier aurait le pouvoir d’influencer les deux autres en changeant ses habitudes de consommation ; une fiction imprimée dans l’imaginaire collectif par cette phrase issue d’un sketch de Coluche : « Quand on pense qu’il suffirait que les gens arrêtent d’en acheter pour que ça ne se vende plus. » Mais Coluche oubliait quelques « petits » détails sur le fonctionnement de l’économie mondialisée ou encore l’influence de la gigantesque machine de propagande publicitaire façonnant désirs et comportements des masses de consommateurs, un « modèle de propagande » décrypté par le linguiste Noam Chomsky dans son célèbre ouvrage Fabriquer un consentement.

Fidèle au pouvoir, comme à son habitude, la multitude des parasites s’est empressée de prêcher la bonne parole animaliste à tous les gueux de France et de Navarre. Ils s’y mettent tous : célébrités, journalistes, influenceurs, ONG, entreprises, médias de masse, etc. La machine propagandiste s’est mise en branle pour vendre à la populace une nouvelle fiction, un nouvel épisode de la série Progrès et Civilisation : Greta Thunberg prône le véganisme ; le cabinet de consulting Carbone 4, fondé par Jean-Marc Jancovici, prétend que parmi tous les gestes individuels possibles, le régime végétarien constitue le geste le plus significatif pour faire baisser ses émissions individuelles et pour « décarboner » sa consommation ; si Greenpeace n’exhorte pas les foules à adopter le végétarisme, l’ONG explique tout de même que « devenir végétarien-lien est une merveilleuse chose que vous pouvez faire pour réduire votre impact » ; de son côté, le WWF considère qu’il faut « diminuer de moitié notre consommation de viande » ; les Décodeurs du journal Le Monde titre de leur côté « pourquoi la viande est-elle si nocive pour la planète » ; et L214 ne cesse de marteler qu’il suffirait de supprimer l’élevage pour sauver l’Amazonie.[2]

Le régime végétarien serait donc « décarboné » et plus écologique qu’un régime omnivore, toutes choses étant égales par ailleurs ou ceteris paribus ; c’est-à-dire que l’on exclut un certain nombre de paramètres pour arriver au raisonnement suivant : « Ils déforestent l’Amazonie pour l’élevage extensif, alors réduire – ou mettre fin à – l’élevage stoppera la déforestation ! » Ce schéma de pensée néglige la complexité de ce monde en évolution constante, où rien ne reste figé. Plus précisément, si le végétarisme se démocratisait à l’ensemble de la société occidentale, comment réagirait la filière agroalimentaire face à une chute vertigineuse de la demande ? Si, avec l’industrialisation et la baisse subséquente des coûts de production, les substituts de viande fabriqués à base de plantes deviennent plus goûteux et moins chers que les produits carnés, comment les consommateurs vont-ils utiliser leur surplus monétaire ? Vont-ils prendre davantage l’avion, acquérir une deuxième voiture électrique ou bien acheter des objets connectés aussi polluants qu’inutiles ? Les promoteurs du végétarisme mentionnent rarement l’existence de ces effets rebonds multiples pouvant annuler en partie – voire totalement – les gains écologiques théoriques. Rappelons-nous des promesses d’innovations prétendument bénéfiques telles le pot catalytique pour dépolluer les villes et les produits allégés. Au lieu d’améliorer la situation, ces innovations l’ont empiré. Le pot catalytique a permis de légitimer l’automobile en ville et à la campagne, de rendre « durable » sa présence dans le paysage. Résultat, la pollution de l’air tue aujourd’hui au moins 630 000 personnes par an en Europe[3]. Les produits light contribuent de leur côté à rendre « durable » l’addiction des personnes en surpoids aux produits ultra-transformés. Pire, ils aggravent l’épidémie d’obésité dans les pays industrialisés.[4]

Les « éco-gestes » soi-disant les plus impactant sur les émissions de CO2 individuelles (Source : Carbone 4)

Avant de présenter en quoi l’argument écologique en faveur du végétarisme est une vaste fumisterie, il paraît utile de rappeler comment se sont imposés élevages et abattoirs industriels rendant possible une surconsommation généralisée de viande.

Dans les années 1950, la consommation de viande s’élevait à 44 kg/an/habitant en France. La plupart des habitants mangeaient peu de viande, seules les classes aisées pouvaient se goinfrer de bidoche matin, midi et soir. Manger de grandes quantités de viande était alors considéré comme une marque de prestige, un privilège réservé aux élites de la nation. L’existence de ces inégalités entre riches et pauvres forme un terreau fertile dans lequel la doctrine progressiste peut prendre racine. Dans le but de démocratiser ce privilège à l’ensemble de la société, une massification de la production par le développement d’un secteur agro-industriel s’avère indispensable pour faire chuter le coût de production, et donc les prix. Résultat, en 1990, la consommation de viande était passée à 91 kg/an/habitant et celle-ci restait toujours dans cette zone (87,5 kg/an/habitant) en 2018. L’accession des classes moyennes à l’hyperconsommation carnée fut ainsi considérée d’abord comme un progrès social, peu importe les problèmes sanitaires et écologiques qui en découlaient. On observe la même mécanique au XXe siècle avec la diffusion de la voiture (plus récemment des SUV), du téléphone portable, de la maison individuelle, de l’aviation civile et donc de l’industrie touristique, etc. La consommation des classes aisées façonne et détermine l’horizon du progrès pour les classes moyennes et les pauvres. Mais quand les masses accèdent à ce nouvel échelon de consommation sur l’échelle du progrès, les riches sont déjà passés à un niveau supérieur de consommation, rendant le progrès fraîchement acquis déjà ringard, voire arriéré,  « climaticide » ou « écocide », pour reprendre les termes de la novlangue éco-capitaliste. Résumons. Après avoir fait la promotion de la viande à grands renforts publicitaires durant des décennies, après avoir érigé des empires de l’agroalimentaire en empoisonnant les foules et en massacrant les forêts, les élites économiques ont déclaré, par l’intermédiaire des médias de masse, des grandes ONG et des célébrités, que la voie du progrès se trouve désormais dans la réduction drastique de la consommation de produits carnés, voire dans l’adoption d’un régime végétarien ou végétalien. On voit là apparaître de manière évidente le caractère pathologique de la société industrielle où l’intérêt économique prime sur le bien commun. Fin de la digression.

Pour commencer, l’agriculture a posé les bases de la révolution néolithique qui a enfanté les premières civilisations. Depuis ses origines, l’agriculture intensive a été une nuisance sur les plans écologique et social. Dans Homo Domesticus, l’anthropologue James C. Scott évoque la condition des premiers agriculteurs, bien souvent des esclaves aux os déformés par des gestes répétitifs et mécaniques associés au port de charges lourdes. Depuis des millénaires, des zones humides sont asséchées, des cours d’eau domestiqués et des forêts rasées pour développer les grandes monocultures de céréales indispensables à la prospérité des Empires civilisés organisés autour de grandes cités. Le capitalisme a démarré avec l’accumulation de céréales dans les greniers des pouvoirs politique, militaire et religieux. Avec l’avènement des techniques modernes, l’industrialisation de l’agriculture survenue dans les années 1950 n’a fait qu’accélérer une dynamique millénaire ; la production a explosé et avec elle, les dégâts sur les milieux naturels. Rien de nouveau sous le soleil, donc.

D’après le rapport Le dangereux déclin de la nature publié en 2019 par la Plateforme intergouvernementale sur la biodiversité et les services écosystémiques (IPBES)[5], la production des cultures vivrières a augmenté de 300 % depuis 1970. Plus de 33 % de la surface terrestre mondiale et environ 75 % des ressources en eau douce sont consacrées à la culture ou à l’élevage. Dans les régions tropicales, l’expansion agricole s’est accrue de 100 millions d’hectares entre 1980 et 2000, principalement à cause de l’élevage du bétail en Amérique latine (environ 42 millions d’hectares), et aux plantations en Asie du Sud-Est (environ 7,5 millions d’hectares, dont 80 % de palmiers à huile). La moitié de cette expansion s’est faite au détriment de forêts tropicales intactes. L’été dernier, une étude enfonçait le clou : 20 % des exportations brésiliennes (soja et viande bovine principalement) vers l’Europe proviendraient de terres déboisées illégalement. Dans le même temps, selon les chiffres de l’ONU (FAO), au moins un tiers de la nourriture produite pour l’alimentation humaine est perdue ou gaspillée, soit environ 1,3 milliards de tonne chaque année.[6] Et il ne s’agit que de la nourriture à destination des humains, bien moins nombreux sur la planète que les animaux domestiques. Quand l’agriculture et l’élevage se destinent à produire en masse, il s’en suit toujours des désastres sociaux et environnementaux.

Dans ce cadre, il y a plusieurs évolutions possibles si l’Europe décidait d’adopter un régime végétarien, même si un changement culturel d’une telle magnitude paraît bien fantaisiste. D’abord, un changement des habitudes de consommation alimentaire se produit de manière progressive, comme cela a été le cas pour la consommation de viande par le passé. Suite à la contraction du marché, les éleveurs bovins brésiliens chercheraient probablement à trouver d’autres débouchés, peut-être en Chine déjà 1er importateur des produits agricoles brésiliens[7], ou dans d’autres pays émergents d’Asie et d’Afrique. Le secteur agricole brésilien a tout intérêt à cibler des pays d’Afrique en voie d’industrialisation pour bénéficier du pouvoir d’achat en hausse chez les classes moyennes des centres urbains. En vérité, le Brésil exporte déjà nombre de ses produits agricoles vers l’Afrique. Sur le site de L’Observatoire de la Complexité Economique (OEC)[8], un projet initié par le MIT, on constate que les exportations de viande brésilienne sont, dans leur grande majorité, destinées aux pays non-occidentaux. Étant elle-même déjà un important producteur de viande, l’Union Européenne a jusqu’à présent cherché à protéger son marché intérieure. La Chine et Hong Kong importent en valeur 4,6 milliards USD de produits carnés brésiliens (viandes bovine, de porc et de poulet confondues) destinés à l’alimentation sur 13,4 milliards de dollars d’exportations brésiliennes, soit plus de 34 % du total. D’autres pays industrialisés suivent : Égypte (4,5 %), Arabie-Saoudite (7,3 %), Japon (5,34 %), Émirats Arabes Unis (5 %), Chili (4,9 %), etc. En Europe, les Pays-Bas (3,2 %) sont largement en tête, seules l’Italie et la Russie dépassent les 1 %. La France quant à elle culmine à un petit 0,12 %. Précisions que l’on retrouve une configuration similaire quand on isole les exportations de viande bovine, principale cible des propagandistes pro-végétariens : Chine, Hong Kong, Égypte et Iran achètent à eux seuls 74 % des exportations de viande bovine congelée brésilienne qui représente de loin la plus grosse partie de la viande bovine exportée.

Exportations brésiliennes de viande et d’abats en 2018. L’Europe est schématiquement représentée en violet à droite, la taille des rectangles étant proportionnelle à la valeur des exportations destinées à chaque pays. (Source : oec.world)
Exportations brésiliennes de viande bovine congelée en 2018. (source : oec.world)

En ce qui concerne le soja, la majorité des exportations brésiliennes le sont sous forme de grains (plus de 2/3 du soja brésilien exporté), ce qui représente 13,7 % des exportations du pays en valeur (33,2 milliards USD) pour l’année 2018. Là encore, l’Europe se place loin derrière la Chine où partent 82,3 % des exportations de grains de soja brésiliens ! En revanche, la situation diffère pour les tourteaux de soja dont l’Europe achète de grandes quantités pour ses élevages, tout comme plusieurs pays d’Asie du Sud-Est. Mais ce soja transformé en tourteaux ne représente en valeur que 2,81 % (6,8 milliards USD) du total des exportations du Brésil contre 13,7 % (33,2 milliards USD) pour le soja en grains. Idéalement, il faudrait connaître la surface occupée au sol en fonction de chaque type de marchandise exporté pour avoir une meilleure idée de l’impact écologique correspondant. Rappelons au sujet du soja que les tourteaux sont pour partie des résidus obtenus après avoir extrait l’huile des grains, une huile utilisée dans de nombreux domaines (agroalimentaire, industrie, savon, carburant, etc.)

Exportations brésiliennes de grains de soja et leurs destinations. (Source : oec.world)
Exportations brésiliennes des tourteaux de soja et leurs destinations. (Source : oec.world)

Jetons maintenant un œil aux données de l’ONU sur le commerce international compilées par Trading Economics et détaillant les exportations brésiliennes en valeur vers l’Union Européenne. Ces dernières sont en chute depuis 2011. Dans l’ordre, on trouve en 2019[9] :

  • Minerais (fer, cuivre, aluminium, titane, manganèse, etc.) et sous-produits de la métallurgie (scories et cendres) : 4,68 milliards USD
  • Résidus et déchets de l’industrie agroalimentaire, fourrage : 3,1 milliards USD
  • Café, thé, maté et épices : 2,27 milliards USD
  • Pâte de bois, matières fibreuses cellulosiques, déchets : 2,21 milliards USD
  • Combustibles minéraux, pétrole et dérivés (huiles, etc.), produits de distillation : 1,98 milliard USD
  • Graines oléagineuses, fruits oléagineux, céréales, graines, fruits : 1,97 milliard USD

Source : Trading Economics

En 2019, les exportations de viande brésilienne à destination de l’Union Européenne arrivent en 13ème position en valeur (868 millions USD). Ces dernières sont en baisse significative depuis 2011, de même que les exportations d’oléagineux. Précisions que la plus grande mine de fer au monde (Carajás) est exploitée par l’entreprise Vale dans l’état du Pará, en plein cœur de la forêt amazonienne. C’est une mine à ciel ouvert (type d’extraction le plus polluant) d’où sont aussi extraits de l’or, du manganèse, de la bauxite (minerai d’aluminium), du cuivre et du nickel. Ce projet de développement financé par la Banque Mondiale et l’Union Européenne a été une catastrophe pour les Indiens de la région.

L’étude des relations commerciales brésiliennes révèle un tableau infiniment plus complexe que la présentation simpliste d’ordinaire faite au grand public et qui se résume souvent à « devenez végétarien pour sauver l’Amazonie ». Bien que l’Europe compte parmi les principaux importateurs de tourteaux de soja, leur part reste dérisoire dans les exportations brésiliennes. Si les exportations de viande et de tourteaux brésiliens vers l’Europe venaient à cesser du jour au lendemain, on peut s’attendre à un effet limité sur la déforestation. Tant que les éleveurs brésiliens auront accès au marché mondial, aux dizaines de pays émergents en voie d’industrialisation et à leurs dizaines de millions de consommateurs, ils bénéficieront d’autres débouchés et pourront continuer à faire croître leur production en grignotant la forêt amazonienne.

Mais imaginons maintenant que la majorité de la population mondiale se convertisse au végétarisme. Des pans entiers de l’industrie agroalimentaire s’effondreraient et les éleveurs brésiliens feraient vraisemblablement faillite. Pensez-vous que les éleveurs en difficulté se mettraient subitement à planter des arbres dans l’unique but de régénérer la forêt dont ils ne tirent aucun bénéfice économique ? Bien évidemment que non. Certains propriétaires terriens chercheraient certainement à diversifier leurs activités agricoles en se lançant dans la culture de soja ou de maïs quand d’autres, complètement ruinés, tenteraient probablement de vendre leurs terres aux plus offrants ayant déjà un business plan en tête pour rentabiliser leur acquisition foncière. Car le Brésil se positionne parmi les cinq plus importantes puissances agro-exportatrices mondiales. En 2013, d’après le ministère français de l’agriculture, le Brésil était premier exportateur de sucre, de jus d’orange et de café ; second producteur d’éthanol ; second producteur et premier exportateur de soja ; troisième producteur et second exportateur de maïs. Selon toute probabilité, une terre laissée à l’abandon par l’élevage sera rapidement occupée par un autre type d’usage du sol, que ce soit par l’agriculture ou par le secteur minier lui aussi très puissant. En outre, le gouvernement de Jaïr Bolsonaro compte bien livrer les territoires des peuples de la forêt en pâture à l’industrie minière.[10]

Autre élément largement passé sous silence – consciemment ou non – dans cette grotesque propagande pro-végétarienne : le bois est considéré dans le système capitaliste comme une ressource naturelle. Parmi les colons pénétrant sur les territoires indigènes intacts, il y a des fermiers mais aussi des bûcherons à la recherche d’essences exotiques valorisées sur les marchés internationaux. Le bois de l’Ipé peut par exemple atteindre jusqu’à 2 500 dollars le mètre cube.[11]

Greenpeace précise ceci au sujet du secteur forestier brésilien :

« [E]ntre août 2011 et juillet 2012, 78 % de l’exploitation forestière de l’état du Pará – principal producteur et exportateur de bois brésilien d’Amazonie – était jugée illégale. »[12]

Le secteur forestier brésilien présente de multiples défaillances utilisées pour blanchir le bois coupé illégalement et l’exporter vers l’Europe. La France se classerait à la seconde place des importateurs d’Ipé coupé illégalement, avec plus de 3 000 mètres cubes importés par une vingtaine d’entreprises françaises entre 2016 et 2017 auprès du seul État du Pará.

Toujours d’après le ministère français de l’agriculture, en 2014, les produits forestiers brésiliens (75 % cellulose et papier, le reste provenant du bois) comptaient pour 10,3 % des flux en valeur des exportations agricoles du Brésil et pour 4,4 % dans les exportations totales. Ce segment était en hausse de 10,6 % en volume entre 2012 et 2013. Les plantations industrielles d’eucalyptus sont d’ailleurs en plein essor afin de satisfaire la demande mondiale croissante en cellulose.[13] En 2019, les importations européennes de pâte de bois et de cellulose se classaient en 4ème position en valeur (2,21 milliards USD) parmi les autres marchandises importées du Brésil par le vieux continent d’après les chiffres de Trading Economics. L’UE importait aussi la même année pour 735 millions USD de bois transformé (contreplaqué, etc.)

Source : https://agriculture.gouv.fr/bresil

D’après l’Atlas des flux illicites mondiaux produit par Interpol, l’ONU et Global Initiative Against Transnational Organized Crime[14], l’exploitation forestière illégale rapporterait entre 50 et 152 milliards de dollars chaque année au niveau mondial et jusqu’à 30 % du commerce de bois licite proviendrait de coupes illégales, les routes commerciales légales servent à blanchir le bois coupé illégalement. Le rapport précise :

« Le Programme des Nations unies pour l’environnement et INTERPOL estiment que 62% du bois exotique qui pénètre aux États-Unis et 86% de celui qui entre dans l’Union européenne arrive sous forme de papier, de pâte à papier ou de copeaux, et non de bois rond, de bois de sciage ou de mobilier, qui ont reçu le plus d’attention par le passé.

Au cours des dernières années, le bois exotique illicite a vu son prix chuter de plus de 30% sur le marché — INTERPOL estime que 50 à 90% du bois abattu dans les pays tropicaux fait l’objet d’un trafic illégal —, contribuant probablement ainsi à l’effondrement d’un grand nombre d’industries forestières et papetières européennes ainsi qu’à la disparition de plus de 270 000 emplois entre 2000 et 201074. Dans l’ensemble, le secteur forestier européen (qui employait plus de 3,3 millions de personnes en 2016) a perdu environ 560 000 emplois depuis 2000, soit 17% des effectifs.

Dans l’Union européenne des vingt-huit, le taux d’embauche dans l’industrie manufacturière a chuté de 16,8% dans la période allant de 2000 à 2015, mais c’est le secteur de la fabrication de meubles qui a connu la baisse la plus importante (29% d’embauche en moins). La production de pâte à papier, de papier et de produits dérivés du papier a diminué de 22,2% et l’emploi dans le secteur manufacturier du bois a baissé de 26,5%. Les entreprises de papier et de pâte à papier asiatiques représentent aujourd’hui presque la moitié des parts du marché mondial. »

Source : Atlas mondial des flux illicites

Il y a donc de fortes chances pour qu’une partie des arbres des forêts tropicales finissent en rouleaux de PQ destinés aux fesses des privilégiés d’Europe et des États-Unis[15].

Mais les menaces sur les forêts brésiliennes ne s’arrêtent pas là. Le Brésil est le premier producteur mondial de charbon de bois, un produit principalement destiné à l’industrie sidérurgique nationale (67 %). D’après une étude du Cirad datant de 2006, « des plantations d’espèces sélectionnées d’Eucalyptus permettent de répondre à 78 % de la demande en bois » et « des essences natives de forêts naturelles sont encore utilisées. »[16] Chose étonnante, la production de charbon de bois répond aux exigences du protocole de Kyoto car c’est une « énergie renouvelable » , il s’inscrit donc dans l’inepte logique du développement durable. Le charbon de bois est considéré comme de l’énergie biomasse, une industrie dont l’essor accélère la déforestation en Amérique du Nord et en Europe grâce à aux subventions des États. Les centrales à charbon sont converties en centrales à biomasse, on y brûle désormais des arbres à la place du charbon.

Dans un avenir proche, rien n’exclut que le Brésil investisse massivement dans la production d’huile de palme pour optimiser l’exploitation des terres, car l’élevage extensif rapporte peu à l’hectare. De plus, le Pérou rase déjà ses forêts pour planter des palmiers à huile. Rhett Butler, le fondateur du site web Mongabay, un média spécialisé sur les sujets liés à la conservation de la nature, a déclaré :

« Le Brésil a l’opportunité de convertir les pâturages pour le bétail en cultures de palmiers à huile, mais il y a un risque de voir la forêt également convertie pour ces cultures. »

D’après un article du journal britannique The Guardian, la surface des terres dédiées à la culture de palmiers à huile a doublé au Brésil entre 2004 et 2010, et celle-ci devrait encore doubler entre 2017 et 2025. Comme principaux débouchés, l’Embrapa, l’agence étatique brésilienne spécialisée dans la recherche agronomique, envisage d’abord la production de biodiesel pour le marché domestique pour devenir à terme un exportateur majeur de ce carburant. Les industries agroalimentaires et cosmétiques consomment également de grandes quantités d’huile de palme. Pour le moment, le Brésil est un importateur net d’huile de palme, mais il devrait être rapidement autosuffisant. L’expansion des plantations d’huile de palme provoque une augmentation des prix du foncier produisant des tensions et des conflits. En 2016, 61 personnes ont été assassinées au Brésil dans des conflits liés aux terres.[17]

Il existe certainement de multiples autres raisons économiques motivant l’ablation de la forêt amazonienne, et d’innombrables autres qui ne demandent qu’à être inventées. Mais ayons confiance, science et progrès technique enfanteront les innovations de demain offrant d’autres débouchés permettant d’exploiter comme il se doit la totalité des territoires improductifs de la planète, et ce jusqu’à ce que la mort de la biosphère s’en suive.

Voici trois pistes à envisager pour sauver les forêts. Cette liste ne se veut pas exhaustive.

Détruire les routes

Si le climatologue Eneas Salati parlait (en plaisantant) de dynamiter les routes, c’est parce qu’elles tracent des saignées fragmentant la forêt et facilitant l’accès à ses richesses. La présence de routes toujours plus nombreuses suffirait certainement à elle seule pour détruire lentement la forêt. Dans le bassin du Congo, les routes tracées dans la forêt par l’industrie du bois amplifient les sécheresses provoquées par El Niño et sont suspectées d’augmenter le risque d’incendie.[18] Au Brésil, aux États-Unis et en Europe, les routes tuent respectivement 400 millions, 365 millions et 200 millions d’animaux sauvages chaque année. Les villes, véritables aspirateurs à « ressources naturelles », déploient des bandes d’asphalte comme autant de tentacules phagocytant tous les produits de la forêt, du bois exotique aux animaux chassés en masse pour leur viande et vendus par les braconniers et trafiquants sur les marchés urbains. Régulièrement, suite à l’implantation d’une nouvelle exploitation forestière industrielle, telle une tumeur cancéreuse, une ville ouvrière sort de terre dans des territoires reculés au beau milieu de la forêt, et attire des colons venus d’autres régions pour travailler. S’en suit le développement de trafics en tous genres (viande de brousse, ivoire, drogues, prostitution, etc.). Pour que cesse de se reproduire à l’infini les métastases urbaines du monstre civilisationnel, il faut lui sectionner les artères, et donc détruire ces immondes rubans de bitume violant les forêts.

La forêt doit devenir sacrée

La civilisation se caractérise par son épicentre urbain et par une séparation marquée entre culture et nature. Cette fracture n’existe pas dans de nombreuses autres cultures traditionnelles, multiséculaires et souvent millénaires, qui ont su prospérer en respectant la diversité biologique. Dans ces sociétés, le centre de la vie communautaire s’organise souvent autour du village. Les villageois considèrent les forêts et leurs habitants non-humains comme intégrés à leur société et non pas comme de vulgaires « ressources naturelles » exploitables à l’infini sans conséquence pour leur avenir. Tant que les humains civilisés penseront de manière hors-sol, c’est-à-dire comme des urbains déconnectés de la terre sans aucun lien d’interdépendance avec la communauté vivante, tant qu’ils imagineront des solutions reposant sur les impasses technologiques et scientifiques, les arbres finiront en parquet, en PQ ou en biomasse.

Refuser le statut du consommateur

En acceptant son statut de travailleur salarié, l’individu évoluant en milieu civilisé renonce à produire lui-même sa subsistance pour dépendre entièrement du marché. En devenant consommateur, il abandonne son autonomie, sa liberté. Il confie son avenir et celui de sa descendance aux acteurs dominant le marché : banques et grandes entreprises. Chaque jour, des preuves s’accumulent démontrant l’impossibilité de réformer le système, sa complexité rendant parfaitement utopique toute reprise de contrôle. Sans une simplification massive impliquant la réappropriation de l’autonomie et de l’autosuffisance alimentaire et matérielle (chose impossible sans l’abolition de la propriété privée des terres et leur mise en commun au niveau local, à l’échelle de chaque biorégion), sans démondialisation et sans désindustrialisation, sans redevenir eux-mêmes les producteurs – paysans, éleveurs, artisans, etc. – des produits qu’ils consomment, les individus du monde civilisé resteront prisonniers du système, à la merci des puissants et de la mission divine dont ils se sentent investis.


[1] https://www.theatlantic.com/science/archive/2019/11/roads-brazil-giant-anteaters/602587/

[2] https://www.livekindly.co/greta-thunberg-promotes-veganism-ellen-viewers/

https://www.carbone4.com/wp-content/uploads/2019/06/Publication-Carbone-4-Faire-sa-part-pouvoir-responsabilite-climat.pdf

https://www.greenpeace.fr/quelle-est-la-position-de-greenpeace-sur-le-vegetarisme/

https://www.wwf.fr/rapport-planete-vivante

https://www.lemonde.fr/les-decodeurs/article/2018/12/11/pourquoi-la-viande-est-elle-si-nocive-pour-la-planete_5395914_4355770.html

[3] https://www.nouvelobs.com/planete/20200908.OBS33054/630-000-morts-par-an-en-europe-la-pollution-tue-plus-que-le-covid.html

[4] https://www.lanutrition.fr/les-news/les-produits-light-font-grossir

[5] https://ipbes.net/news/Media-Release-Global-Assessment-Fr

[6] http://www.fao.org/3/mb060e/mb060e00.htm

[7] https://agriculture.gouv.fr/bresil

[8] https://oec.world/en/profile/country/bra

[9] https://tradingeconomics.com/european-union/imports/brazil

[10] https://news.mongabay.com/2019/09/state-governors-support-bolsonaros-amazon-mining-agribusiness-plans/

[11] https://www.lefigaro.fr/sciences/2018/03/20/01008-20180320ARTFIG00144-la-france-epinglee-pour-l-importation-de-bois-illegal-en-provenance-d-amazonie.php

[12] https://www.greenpeace.ch/fr/story-fr/22152/bresil-le-secteur-forestier-detruit-la-foret-amazonienne/

[13] https://www.sauvonslaforet.org/petitions/765/bresil-la-production-de-papier-met-en-peril-forets-tropicales-et-terres-agricoles

[14] https://globalinitiative.net/world-atlas-of-illicit-flows/

[15] https://www.theguardian.com/environment/2019/jul/05/toilet-paper-less-sustainable-researchers-warn

[16] http://publications.cirad.fr/une_notice.php?dk=533096

[17] https://www.theguardian.com/sustainable-business/2017/jun/29/brazil-palm-oil-amazon-rainforest-deforestation-temer-farming-para-cerrado

[18] https://news.mongabay.com/2016/03/massive-wildfire-rips-through-congo-rainforest-is-logging-to-blame/

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